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L’avenir du tourisme de vacances en Suisse

L’avenir du tourisme de vacances en Suisse

Depuis les années quatre-vingt, le tourisme suisse de vacances a vu ses conditions se détério-rer. Le secteur doit trouver de nouveaux moyens d’améliorer sa ­compétitivité. Malgré la dif-ficulté du contexte, de nom-breux facteurs donnent à pen-ser qu’il réussira à s’adapter et continuera d’être l’épine dorsale de l’économie de montagne. Certaines destinations touristiques deviendront, cependant, insignifiantes.

Retour en arrière


Même si l’on étudie de près l’évolution du tourisme, il reste difficile d’en prédire l’avenir. Les changements sont tellement lents qu’on ne les perçoit guère. Pour les déceler, il faut donc considérer des périodes longues.Cet exposé commencera par identifier les transformations essentielles qui ont marqué les deux dernières décennies, sans prétendre à l’exhaustivité (voir tableau 1). Il tentera, ensuite, d’en déduire l’avenir.

Abolition des distances


Depuis les années quatre-vingt, le prix des transports aériens n’a cessé de diminuer grâce à l’amélioration constante des avions et des infrastructures; la libéralisation du marché a accéléré le mouvement . Cette forte réduction des coûts a fait que, pour les vacanciers, le billet d’avion ne représente plus qu’une fraction du budget total et ne joue donc presque plus de rôle pour les séjours d’une semaine et plus. Il en résulte que les consommateurs des marchés alpins traditionnels disposent librement de l’offre mondiale de vacances. Aujourd’hui, les pays à hauts salaires de l’Arc alpin sont 
en concurrence directe avec ceux à bas salaires du Sud. Les vacances de sports d’hiver, qui sont le produit par excellence des Alpes, ne sont donc plus seulement confrontées 
aux prix de la concurrence, mais également 
à d’autres formes de loisirs, comme les 
vacances balnéaires et les voyages d’aventure.

Perte de parts de marché et 
réduction ­de la ­durée des séjours


La Suisse subit une forte pression en raison du renchérissement relatif de son offre, en particulier pour ses produits principaux, soit les vacances d’été et d’hiver. Les statistiques montrent que depuis les années nonante, les Européens de l’Ouest achètent moins de semaines de vacances, aussi bien pour la saison d’hiver que pour celle d’été. Leur absence est partiellement compensée par la multiplication des courts séjours enregistrée sur les marchés de proximité. C’est possible parce que le facteur distance joue un plus grand rôle dans ce cas; en effet, comme la durée du voyage est moindre, la concurrence-prix internationale joue un rôle plus faible. En conséquence de quoi, le tourisme de vacances s’est davantage concentré sur les courts séjours et les week-ends de clients 
résidant en Suisse, d’où une réduction des durées de séjour et une hausse des pics de demande et d’arrivée (voir graphique 1 et graphique 2). En outre, le séjour en montagne est plutôt considéré aujourd’hui comme un voyage de deuxième, troisième ou quatrième priorité.Parallèlement, la Suisse peut profiter de nouveaux marchés, en particulier dans les économies émergentes d’Asie. L’expérience a montré qu’on ne peut guère gagner de vacanciers à la semaine sur ces marchés lointains. Il s’agit avant tout de personnes qui visitent le pays lors d’un tour d’Europe. Du même coup, seules quelques destinations qui s’y intègrent facilement en profitent. Les marchés émergents d’Europe centrale sont certes demandeurs de vacances de neige, mais comme ils sont très sensibles aux prix, les fournisseurs suisses sont à la peine.

Dépendance accrue vis-à-vis du taux de change


L’introduction de l’euro, dans les années nonante, a pratiquement scindé en deux 
la demande globale adressée au tourisme 
de vacances helvétique: d’un côté la Suisse, avec son franc fort, de l’autre presque tout le reste de l’Europe, avec un euro enclin tantôt à la force, tantôt à la faiblesse. Auparavant, l’Europe connaissait plusieurs monnaies 
importantes qui n’avaient pas les mêmes 
caractéristiques et ne bougeaient pas forcément en cadence. Le marché crucial de l’Allemagne jouissait en particulier d’une devise relativement forte. La fluctuation des cours pouvait donc parfois pencher en faveur de la Suisse. Or, c’est désormais le taux de change du franc par rapport à l’euro qui joue un rôle décisif dans la compétitivité internationale du tourisme suisse sur les marchés clés. Les statistiques montrent en effet que ce dernier était parvenu à regagner des parts de mar-ché en Europe occidentale dans les années 
où l’euro valait 1,60 franc et plus (voir graphique 1Flambée des résidences secondaires 
et ­diminution de la volonté de louer


L’industrie du tourisme comprend aussi l’immobilier, secteur qui a connu une forte expansion en Suisse ces dix ou quinze dernières années. La construction d’appartements de vacances reflète également le souhait d’effectuer de courts séjours dans les Alpes. L’accroissement de la prospérité en Suisse et le faible rendement des capitaux ont permis à la demande en résidences secondaires de conserver sa robustesse et aux ­vendeurs de réaliser des gains intéressants. Parallèlement à cette flambée de la construction, la volonté de mettre en location de nouveaux appartements de vacances a diminué. D’une part, les propriétaires n’ont plus besoin de le faire, financièrement parlant; de l’autre, la plupart des logements sont utilisés le week-end, ce qui complique la location, voire la rend impossible. Il en résulte qu’en haute saison, l’on dispose de nettement moins d’offres bon marché pour satisfaire ce produit familial typique que sont les «vacances de ski en appartement de vacances», surtout dans les destinations à résidences secondaires. Cela a abouti à diminuer la fréquentation de plusieurs localités, même en haute saison.

Stagnation des jours-skieurs et ­problèmes de ­relève


Les remontées mécaniques sont également affectées par la disparition des vacanciers hivernaux traditionnels en provenance d’Europe occidentale. Contrairement au secteur de l’hébergement, elles ont pu partiellement les remplacer par des clients à la journée. Elles profitent en outre des résidents secondaires, qui, du point de vue marketing, se comportent plutôt comme des clients à la journée. Par conséquent, les pics de demande se sont accentués le week-end. La diminution de la clientèle à la semaine a abouti à ce que les installations ne sont pas exploitées à pleine capacité les jours ouvrables, d’où un défaut de couverture. Contrairement au secteur de l’hébergement, fortement exposé à la concurrence-prix internationale, les remontées méca-
niques sont plus à l’aise pour imposer des hausses tarifaires, étant donné qu’une grande partie de la clientèle réside sur place ou ne peut guère aller ailleurs du fait de la distance (courts séjours). Elles sont, en 
revanche, confrontées à la relève en matière de sports d’hiver. Ces dernières années, les enfants nés en Europe occidentale appartiennent en général plutôt aux couches de la population peu enclines aux sports d’hiver (immigrants en provenance du Sud). En Suisse, les écoles organisent toujours moins de camps de ski. Enfin, il existe toujours en hiver des substituts, partout dans le monde.

Séquelles de la crise de l’immobilier


Dans les années nonante, la Suisse a vécu une forte crise de l’immobilier, déclenchée par d’importantes hausses des taux hypothécaires. Jusque-là, de nombreuses entreprises de tourisme se finançaient plutôt en se basant sur la valeur intrinsèque et on tablait principalement sur des perspectives de croissance intactes. Or, la combinaison, dans les années nonante, de taux d’intérêt élevés avec une demande en profonde mutation a fait qu’, le financement se base avant tout sur les valeurs de rendement et qu’on ne tolère plus d’«euphorie de croissance» dans les plans d’affaires. Certains projets touristiques en ont été affectés et le ­tourisme de vacances suisse a manqué de nouveaux 
produits.

Incapacité d’agir des entreprises


À partir des années soixante et jusqu’au seuil des années quatre-vingt, le tourisme a profité d’un contexte économique favorable, si bien que les clients venaient sans qu’il faille forcer sur le marketing. On a vu naître une quantité d’exploitations certes capables d’absorber la demande existante, mais pas vraiment en mesure de recruter de nouveaux clients à la force du poignet. Or, le contexte économique s’est transformé dans les années nonante, si bien qu’il est devenu toujours plus important d’intervenir soi-même sur le marché et de séduire la clientèle avec son produit; toutefois, seule une fraction des exploitations touristiques bénéficient de la taille et des structures permettant d’agir en amont. On constate donc une forte disparité entre les exploitations capables d’agir, qui atteignent des taux d’occupation de 60% et plus, et les moins capables, avec des taux d’occupation entre 25 et 35%, qui doivent vivre du trop-plein de clientèle (toujours plus rare) au cœur de la haute 
saison.

Main-d’œuvre disputée


La mondialisation a eu pour effet de détériorer les conditions générales de l’industrie suisse du tourisme de vacances. En même temps, des branches comme l’industrie pharmaceutique et la finance en ont profité. Ce contraste aboutit à ce que les salaires croissants des secteurs gagnants exercent un attrait élevé sur la main-d’œuvre, ce qui oblige l’industrie du tourisme à s’aligner. Le handicap des coûts ne fait, dès lors, que s’accentuer par rapport à l’étranger.

Thèses pour l’avenir


Que peut-on déduire de cette petite rétrospective quant à l’évolution de l’industrie du tourisme de vacances dans les dix ou vingt prochaines années? Les tendances relevées seront-elles toujours valables? Y en 
aurait-il d’autres, plus décisives?

Ce qui risque de ne pas changer


La banalisation actuelle des coûts de transport devrait persister. Il est vrai qu’ils pourraient remonter une fois le pic pétrolier passé, ce qui modifierait les flux économiques mondiaux. Il faut toutefois partir de l’idée que d’ici là, l’on aura trouvé des produits 
de substitution et que les coûts de transport resteront bas ces dix à vingt prochaines 
années.La possibilité pour l’industrie suisse du tourisme de regagner des parts de marché dans les pays clés d’Europe occidentale dépendra essentiellement du taux de change. À l’heure qu’il est, il est difficile d’imaginer que l’on revienne à 1,68 franc pour un euro, mais si l’Europe maîtrise sa crise, rien ne s’oppose à ce que le taux de change s’améliore sensiblement. Il est aussi concevable qu’il persiste au niveau actuel. Je pense que l’hypothèse d’une hausse de l’euro par rapport au franc suisse est la plus vraisemblable. Je postule, en outre, que l’intégration de la Suisse dans le marché intérieur européen aura tendance à augmenter et que les coûts suisses s’aligneront peu à peu sur ceux des principaux pays de l’UE.Le faible nombre de nuitées indique que l’hôtellerie est fortement axée sur les courts séjours de clients en provenance des marchés de proximité et de touristes de passage. Si le taux de change s’améliore, il est possible que la durée des séjours s’allonge un peu, puisque l’on pourra de nouveau vendre des vacances d’une ou deux semaines aux clients européens. Toutefois, la tendance qui consiste à partir pour une période relativement brève devrait persister: en effet, la croissance sur les marchés d’outre-mer et 
la demande intrinsèque en courts séjours feront que ces derniers auront de plus en plus la cote.On déclare sans cesse que le tourisme d’hiver perdra en importance à cause du changement climatique. Il est difficile d’estimer ses effets à long terme dans les Alpes suisses. Sur un horizon de dix à vingt ans, je tendrais à les juger négligeables.La concurrence pour la main-d’œuvre ne devrait guère s’atténuer. L’industrie du tourisme sera donc contrainte d’améliorer sa productivité horaire et, parallèlement, 
sa marge de manœuvre pour relever les 
salaires.

Ce qui risque de changer


En ce qui concerne la demande de vacances et de courts séjours dans les Alpes, je postule des changements importants, puisque l’on disposera de plus de temps pour les loisirs en Europe. C’est ce que l’on constate à travers l’évolution à long terme. Il est donc fort possible que, d’ici dix ou vingt ans, la population active jouisse en moyenne d’une semaine de vacances de plus. Le vieillissement démographique accroîtra en outre le nombre des retraités, lesquels disposent de beaucoup plus de temps libre pour le tourisme. Les entreprises qui en vivent profiteront donc généralement de cet allongement. Pour l’industrie suisse du tourisme de vacances, on peut entrevoir les potentiels de croissance suivants:

  • sur les marchés de proximité et les marchés clés de la Suisse, on peut s’attendre à une croissance des courts séjours destinés aux sports de montagne, au délassement et à la culture; la demande de la population âgée en courts séjours culturels et délassants continuera de croître;
  • la demande de vacances de sports d’hiver augmentera dans les pays émergents d’Europe;
  • la demande de tours d’Europe progressera sur les marchés d’outre-mer.


La sensibilité aux prix devrait être nettement plus marquée dans le cas des vacances que dans celui des courts séjours, où l’Arc 
alpin est d’abord en concurrence avec les destinations urbaines, plutôt chères. Pour l’industrie du tourisme de vacances, il s’agit de s’adapter le mieux possible à une ou plusieurs de ces tendances. Une gageure particulière, dans l’Arc alpin, consistera à offrir et vendre des produits culturels capables de rivaliser avec l’offre des villes.Après l’acceptation de l’initiative sur les résidences secondaires, il faut partir de l’idée que la croissance sur ce marché va se réduire sensiblement. La demande résiduelle pourrait faire augmenter le prix des résidences secondaires existantes (en nombre limité), ce qui diminuera le nombre de logements susceptibles d’être loués. Je doute, cependant, que cette limitation des résidences 
secondaires profite à l’hôtellerie. Les stations touristiques vont être contraintes de se 
repositionner.Les transformations prévisibles exigent des entreprises de tourisme une grande souplesse ainsi que la faculté d’interpeller et de desservir des clientèles très différentes, sur des marchés hétérogènes. La première condition est que ces entreprises soient structurées de façon à pouvoir agir. Je postule que les petits hôtels qui en sont incapables seront abandonnés et que la disparition de leurs chambres sera partiellement par les grands hôtels en mesure d’entreprendre et de s’exporter. Les remontées mécaniques les moins capables de réagir auront tendance à être reprises par les pouvoirs publics et 
seront gérées à titre de services publics.

Conclusion


La demande touristique devrait continuer globalement à croître. Le premier potentiel de la Suisse réside dans les courts séjours de personnes en provenance des marchés de proximité et dans les périples de clients des marchés lointains. Pour gagner des séjours de vacances internationaux à grande échelle de la part de clients venant des pays clés d’Europe, il faut que l’écart des coûts se réduise nettement. La solution la plus rapide, du point de vue des exportateurs suisses, est que le taux de change franc/euro s’améliore nettement, faute de quoi les coûts ne pourront être abaissés qu’au prix d’adaptations structurelles radicales.Les quelque 400 ou 500 destinations touristiques suisses sont soumises à forte pression et obligées de réagir. Les entreprises capables d’agir et de s’exporter sauront, dans l’ensemble, saisir les chances qu’offrent les courts séjours. Les destinations où les entreprises sont faiblement structurées 
devront y remédier en créant des stations de vacances, en coopérant ou encore en implantant de nouveaux établissements mieux capables d’agir. Dans le cas contraire, le tourisme risque de se replier sur les seules résidences secondaires occupées par leurs 
propriétaires.

Graphique 1: «Évolution de l’hôtellerie dans les régions de vacances typiques de Suisse, 1994–2012»

Graphique 2: «Évolution de la demande saisonnière dans les régions de vacances typiques de Suisse (nuitées-chambres), 1994–2012Grisons, Valais, Oberland bernois, Lucerne/lac des Quatre-Cantons, Tessin»

Tableau 1: «Tendances et moteurs essentiels de l’industrie suisse du tourisme de vacances ces dernières années»

Proposition de citation: Peder Plaz (2013). L’avenir du tourisme de vacances en Suisse. La Vie économique, 01 avril.