Rechercher

Optimiser la politique du logement de la Confédération sans intervenir immédiatement sur le marché

Optimiser la politique du logement de la Confédération sans intervenir immédiatement sur le marché

Quiconque doit déménager, que ce soit pour des raisons professionnelles, de formation, en raison de la perte de son logement, parce qu’il souhaite se mettre en ménage ou qu’il arrive de l’étranger, connaît bien le problème: la recherche d’un logement est laborieuse, en particulier si elle se focalise sur une zone centrale ou très attrayante. Les personnes dans cette situation ne finissent souvent par trouver qu’en périphérie et sont ensuite contraintes à de longs trajets pour se rendre à leur travail. L’immigration résultant de la libre circulation des personnes est rendue responsable de la tension sur le marché du logement des villes et des agglomérations. D’aucuns exigent donc que soient mises en place pour y remédier des mesures d’accompagnement analogues à celles du marché du travail.

L’adoption de mesures d’accompagnement dans le domaine du logement doit contrer le scepticisme de la population à l’égard de l’ouverture des frontières et permettre la poursuite de la libre circulation des personnes, qui présente un intérêt économique évident. Lors de sa session du printemps dernier, le Conseil national a donc transmis au Conseil fédéral un postulat le chargeant d’examiner si de telles mesures devaient être prises dans le domaine du logement afin de remédier aux problèmes engendrés par cette ouverture des frontières
Postulat Ceate-CN (12.3662) du 20 août 2012: Mesures concernant le logement.. Dans son rapport sur les conséquences de la libre circulation des personnes, le Conseil fédéral a lui aussi constaté que l’immigration avait des répercussions sur le marché du logement et celui de l’immobilier.

S’en tenir aux principes d’une 
politique qui a fait ses preuves


Le 15 mai dernier, le Conseil fédéral a publié les résultats de son analyse. Il entend s’en tenir à sa politique actuelle en matière de logement. Les habitations proposées à la population doivent continuer de l’être, au premier chef, par l’économie privée. Le principe du libre marché a fait ses preuves dans des contextes conjoncturels différents et c’est grâce à lui que la Suisse appartient traditionnellement aux pays affichant une très bonne offre en logements. Selon les estimations d’experts en immobilier, la surface disponible par habitant se monte actuellement à 50 m2 en moyenne. Les bailleurs, de leur côté, sont tout à fait disposés à investir dans la construction et la rénovation d’objets consacrées à la location. Les logements sont de bonne qualité et généralement bien entretenus, et les loyers sont abordables pour une grande partie de la population: les ménages consacrent en moyenne quelque 20% de leur revenu brut à leur loyer et aux frais annexes (voir graphique 1). Le deuxième principe de cette politique veut qu’en complément à l’offre libre, la Confédération soutienne la construction de logements d’utilité publique. Ces derniers revêtent une importance certaine dans l’accès au logement des groupes économiquement faibles. Ils contribuent à une composition équilibrée de la population dans les villes et les agglomérations. Le Conseil fédéral entend créer les conditions permettant à la construction de logements d’utilité publique de mieux jouer son rôle. Il s’agit, en particulier, de faciliter l’acquisition de terrains à bâtir appropriés. Les prêts à taux préférentiel accordés par la Confédération pourront aussi être sollicités à cette fin. L’examen de différentes mesures dans le domaine de l’aménagement du territoire doit également améliorer les chances sur le marché des bailleurs de logements d’utilité publique. D’autres mesures concernent le maintien d’habitations à loyer modéré, même si le Conseil fédéral refuse d’intervenir dans la fixation des prix en limitant, par exemple, l’augmentation du loyer lors d’un changement de locataire. De telles mesures permettraient bien entendu à court terme de conserver un parc d’habitations à loyer modéré; elles donneraient, en revanche, de mauvais signaux pour les investissements, indispensables à long terme dans la construction de logements. L’intensification du dialogue avec les cantons et les villes, qui sont les mieux à même de connaître la situation locale et sont en partie responsables – avec l’économie privée et la Confédération – de l’approvisionnement en logements, constitue un élément important de la stratégie du Conseil fédéral. Comme toujours dans le débat sur la politique du logement, les réactions aux décisions du Conseil fédéral ont été très diverses. Certains estiment que cette stratégie ne va pas assez loin et ne permet ni de résoudre les problèmes sur le marché du logement, ni d’apporter le soutien politique nécessaire à la libre circulation des personnes. À l’autre bout de l’échiquier politique, on considère que les mesures engagées vont déjà trop loin ou ne servent qu’à lutter contre les symptômes sans s’attaquer à la cause, à savoir l’immigration.

Pourquoi cette croissance 
de la ­demande?


À l’évidence, selon le point de vue politique, la situation sur le marché du logement et la nécessité de prendre des mesures sont appréciées très diversement. Il convient donc de jeter un regard objectif sur les faits. Les conséquences de la crise immobilière des 
années nonante sont restées perceptibles 
plus d’une décennie. Peu à peu, le marché 
a retrouvé une nouvelle dynamique qui 
s’est poursuivie jusqu’aujourd’hui. Celle-ci résulte de plusieurs facteurs:

  1. des conditions économiques favorables;
  2. la croissance de la population et la réduction de la taille des ménages;
  3. le bas niveau des taux d’intérêt, qui découle d’une politique monétaire internationale expansionniste;
  4. une modification des comportements de placement suite à la crise financière;
  5. une préférence pour l’habitat urbain et périurbain.


Entre 2007 et 2012, la population résidante permanente s’est accrue de quelque 84 000 personnes chaque année. En 2008, elle a même gagné plus de 108 000 individus. Avec une telle croissance, en grande partie imputable à l’immigration, les besoins en logements ont fortement augmenté. En ce qui concerne la localisation, la proximité du lieu de travail et de l’offre culturelle arrive au premier plan de la demande, raison pour laquelle celle-ci se concentre sur les villes et les agglomérations. À cela s’ajoute une augmentation intérieure de la demande: entre 2000 et 2010, le nombre de ménages d’une seule personne a crû de 18% et ceux de deux personnes de 19%; ces chiffres sont nettement supérieurs à la progression du nombre total des ménages (14%). Aujourd’hui, plus des deux tiers des logements sont occupés par une ou deux personnes seulement.

Des marchés régionaux tendus en dépit d’une forte activité dans la construction


Le secteur de la construction a réagi à la hausse de la demande et le nombre de nouveaux logements est passé d’à peine 29 000 en 2002 à quelque 47 000 en 2011 (voir graphique 2). Grâce à cette accélération de la construction, le taux de vacance évolue aujourd’hui aux alentours de 1% sur l’ensemble de la Suisse. Le 1er juin 2012, on comptait à peine 39 000 logements vacants, soit 0,94% du parc complet. Des écarts importants s’observent, toutefois, suivant les régions et les segments du marché. Les taux sont nettement inférieurs à la moyenne suisse dans les cantons de Zurich, Lucerne, Zoug, Vaud et Genève, ainsi que dans les deux Bâle, tandis qu’ils sont nettement au-dessus dans les cantons de Soleure, Argovie, Thurgovie, Saint-Gall et Jura, notamment. Alors que les cantons où le marché est tendu font face à un manque d’objets à louer et à vendre, le nombre de logements à louer est nettement supérieur à la moyenne dans le deuxième groupe de cantons. Dans ces régions plutôt rurales, comme dans l’ensemble de la Suisse, les objets réalisés sont surtout des logements en propriété. Les ménages sont nombreux à profiter des conditions avantageuses pour les acquérir et quitter leurs habitations en location, lesquelles ne retrouvent pas tout de suite de repreneur.

Des prix de l’immobilier en forte 
hausse suivant les régions


Il y a plusieurs raisons à la forte demande immobilière observée dans toute la Suisse. La première est le bas niveau historique des taux d’intérêt, fruit d’une politique monétaire expansionniste. Les faibles coûts de financement ont rendu le logement en propriété plus avantageux que la location et permis à de nombreux ménages de la classe moyenne de réaliser leur rêve en ce domaine. La statistique fédérale montre que la proportion de logements en propriété est ainsi passée de 34,6% à 37% entre 2000 et 2010. Cette évolution a, toutefois, son revers: les faibles taux d’intérêt et la forte demande ont tellement fait monter les prix dans les régions recherchées que différents observateurs y voient les signes d’une nouvelle bulle immobilière (voir graphique 3).

Des loyers stables pour les 
contrats de bail existants…


L’abaissement du taux d’intérêt hypothécaire de référence, déterminant pour la formation des loyers dans toute la Suisse depuis septembre 2008, est une autre conséquence de la politique des taux d’intérêt bas. Depuis son introduction, ce taux est passé de 3,5% à 2,25% actuellement. Les loyers sont donc, la plupart du temps, restés stables durant cette période, lorsqu’ils n’ont pas baissé. On observe, toutefois, des processus inverses qui induisent des augmentations de loyers parfois importantes dans les régions où la demande est forte.

… et de fréquentes augmentations de loyer en cas de changement de locataire ou de propriétaire


Lors d’un changement de locataire, ce qui concerne chaque année une location sur six en moyenne, on assiste fréquemment à des hausses de loyer. Un sondage mené de 2010 à 2012 indique que les loyers ont augmenté dans un peu moins de la moitié des cas, qu’ils sont restés stables presque aussi souvent et qu’ils ont baissé une fois sur dix. Les organisations de locataires reprochent aux bailleurs de ne pas toujours attendre un changement de locataire pour adapter les loyers au marché et d’accélérer le processus en dénonçant les contrats de bail.Des augmentations de loyer peuvent aussi survenir lorsqu’un bien-fonds change de mains. Suite à la crise financière, faute d’alternative en matière de placement, la demande en «immeubles de rendement», comme on les appelle, a explosé. Selon UBS, les prix pour de tels objets ont augmenté de 6% par an en moyenne depuis 2008. Quand un immeuble est vendu à ce titre, on assiste souvent à une adaptation immédiate des loyers au prix d’achat. Il est à noter que les baux sont souvent résiliés lorsque les logements sont entièrement rénovés et assainis sur le plan énergétique. Il arrive aussi que suite à des rénovations, l’objet ne soit plus remis sur le marché de la location, mais vendu en propriétés par étage.

L’immigration, un facteur parmi d’autres


Le tableau tracé ici montre bien que dif-férents facteurs influencent la dynamique 
du marché. L’immigration n’en est qu’un parmi d’autres. Ce sont, finalement, la santé économique de la Suisse et son attrait en tant que lieu de travail et de domicile qui ont 
fait croître la demande en logements dans 
de nombreuses régions. L’activité enregis-trée dans la construction indique que glo-
balement, le marché fonctionne. Elle peine 
à suivre l’évolution de la demande, certes, mais dans une perspective nationale, elle 
a été suffisante ces dernières années pour 
éviter que la tension ne s’aggrave sur le 
marché.

Un avenir incertain


L’évolution future sur les marchés du logement dépend fortement de la conjoncture. Selon le Secrétariat d’État à l’économie (Seco), les perspectives à court terme sont mitigées pour les prochains mois. Dans ces conditions, l’immigration ne devrait pas augmenter davantage, d’autant qu’au printemps dernier, le Conseil fédéral a décidé 
de restreindre l’accès au marché suisse du travail pour les ressortissants des pays de l’UE durant les douze prochains mois. Pour le marché du logement, cela signifie qu’à court terme, la demande devrait rester forte, sans toutefois continuer d’augmenter. De plus, de nombreuses habitations nouvelles seront mises sur le marché en 2013 ainsi 
que les deux années suivantes. À la fin du quatrième trimestre 2012, on comptabilisait plus de 75 000 logements en construction. Compte tenu des permis de construire accordés cette année-là, plus de 45 000 unités devraient voir le jour durant les prochaines années. Au vu de ce qui précède la situation ne devrait pas continuer de se tendre sur ce marché. .Si contrairement aux attentes, le marasme actuel devait évoluer vers une récession, les régions moins attrayantes se retrouveraient vite avec une offre très excédentaire et les prix subiraient une pression à la baisse. Face à une stagnation économique durable sans croissance de revenus, associée à une faible augmentation de population, le marché de l’immobilier pourrait même se retrouver en crise.Compte tenu de ces perspectives incertaines, les décisions du Conseil fédéral doivent être considérées comme prudentes et appropriées. La situation actuelle sur le marché n’appelle pas impérativement une intervention urgente. Elle nécessite, en revanche, des mesures susceptibles à moyen et long termes d’assurer que toutes les catégories de la population continuent de trouver un logement adéquat en Suisse. À l’enseigne du dialogue avec les cantons et les communes, d’autres mesures devront être étudiées en tenant compte des différents besoins régionaux et bénéficier du soutien des administrations concernées.

Graphique 1: «Répartition des ménages par classe de charge locative»

Graphique 2: «Évolution de la construction de logements et taux de vacance, 1980–2012»

Graphique 3: «Évolution des prix de l’offre de logements en propriété, 1996–2012»

Proposition de citation: Ernst Hauri (2013). Optimiser la politique du logement de la Confédération sans intervenir immédiatement sur le marché. La Vie économique, 01 juin.