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La rentabilité des innovations environnementales

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L’examen de nombreuses données concernant les brevets et l’économie en matière d’environnement montre que la plupart des investissements destinés à développer des technologies dans ce domaine ne sont pas rentables à l’heure actuelle. Les incitations dont le marché a été l’objet n’ont donc pas suffi. Attendre que les normes techniques et environnementales se soient imposées avant de s’attaquer à ces technologies n’est cependant pas une option prometteuse. Il vaudrait mieux améliorer les conditions-cadres auxquelles elles sont confrontées.

Le débat actuel sur la sortie du nucléaire et son financement révèle à quel point le chemin censé réorienter l’économie vers des énergies, produits et processus de production davantage respectueux de l’environnement est laborieux. Alors que l’objectif proprement dit d’une société durable n’est guère mis en question, les avis sur la bonne manière de s’y prendre sont parfois diamétralement opposés. La façon dont une économie moderne et respec-
tueuses de l’environnement est fortement marquée par des convictions politiques et économiques de fond. Selon le camp, on réclame soit un rôle actif de l’État, soit le déploiement sans entraves des lois du marché.Le débat sur la bonne manière d’atteindre le but nécessite des données vérifiables, susceptibles de servir de base à une discussion durable. Avec le concours de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (Ifpi), le Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EPFZ a élaboré des données sur la rentabilité des innovations environnementales qu’il présente ici.

Une Suisse innovante en matière de technologies propres?


Nous avons commencé par étudier le développement de technologies environne-mentales novatrices dans les économies 
dominantes de l’OCDE et en Chine, le principal pays émergent. Les données sur les brevets ont servi d’indicateurs: leur examen permet de déterminer la propension d’un pays à innover dans les technologies respectueuses de l’environnement et à les exploiter commercialement. Pour identifier les brevets «verts», nous avons recouru à la définition 
de l’OCDE des technologies propres (indicateur ENV-Tech)
Voir http://www.oecd.org/fr/env/consommation-innovation/indicateur.htm. La comparaison interna-tionale se fonde sur le «taux de spécialisa-
tion relative» de chaque pays, soit le ratio «quote-part dans les inventions environ-
nementales / quote-part dans le total des 
inventions».Si l’on compare les taux de spécialisation relative des pays étudiés, le résultat n’est guère flatteur pour la Suisse. Depuis 1980, ses brevets déposés dans les technologies respectueuses de l’environnement durant chaque décennie la placent souvent dans le bas du tableau (voir graphique 1). Seules l’Irlande, l’Italie et la Grande-Bretagne présentent des résultats aussi faibles. Cela ne signifie cependant pas qu’en termes absolus, les inventions «vertes» sont moins nombreuses qu’ailleurs. C’est même plutôt le contraire. Elles jouent, toutefois, un rôle relativement faible par rapport aux domaines classiques.On remarque une nette cassure dans la plupart des pays pendant la période 2000-2008; seuls l’Allemagne et le Danemark, qui ont soutenu massivement les technologies environnementales ces dernières années, 
ainsi que le Japon et l’Autriche, ont réussi à maintenir leurs taux de spécialisation relative au-dessus de la moyenne. On remarque qu’avec le temps, le taux de spécialisation relative de la Suisse s’affaiblit encore par rapport aux autres pays.

Explications du faible classement de la Suisse


La faiblesse de la Suisse en matière de spécialisation dans les technologies environnementales peut être attribué à plusieurs facteurs. Citons les ressources limitées d’un pays relativement petit, son bon positionnement dans les technologies classiques (industrie pharmaceutique ou construction de machines, par exemple) et des coûts (d’opportunité) relativement élevés liés au virage technologique.Si l’on postule que les produits respectueux de l’environnement sont non seulement nécessaires, mais qu’ils offrent aussi une perspective de croissance économique, on peut se poser deux questions importantes quant au faible classement de la Suisse en matière de technologies environnementales.

  1. Les entreprises réussissent-elles à commercialiser des technologies respectueuses de l’environnement dans le contexte actuel? Autrement dit, ces technologies sont-elles rentables, économiquement parlant?
  2. Vaut-il la peine d’attendre les progrès constants de la technologie pour profi-
ter du savoir d’autres pays ou d’autres 
industries, et éviter ainsi des investis-
sements à risque et de longs processus d’apprentissage?

Rendement des innovations ­respectueuses de l’environnement


Pour répondre à la première question, nous avons étudié le lien entre innovations respectueuses de l’environnement et rendement
Soltmann C., Stucki T. et Wörter M., The Performance ­Effect of Environmental Innovations, KOF Working Paper n° 330, Zurich, 2013.. Ce dernier terme désigne la valeur ajoutée, soit le chiffre d’affaires moins les intrants. Il est évident que les investissements dans le développement de technologies respectueuses de l’environnement se poursuivraient ou s’intensifieraient si celles-ci étaient rentables. Dans un pareil cas, le cadre réglementaire actuel de chaque pays suffirait à ce que les technologies anciennes soient remplacées au fur et à mesure par de nouvelles, plus respectueuses de l’environnement. Si, inversement, les investissements concernés n’étaient pas rentables, il faudrait imaginer de nouvelles mesures incitatives. La question du rendement est donc décisive pour orienter la politique économique dans ce domaine.Pour étudier le rendement des innovations écologiques, nous avons constitué un stock important de données et l’avons analysé à l’aide de modèles économétriques et d’une série de contrôles de robustesse. Ce stock comprend 30 ans de données sur les brevets et de statistiques économiques sur 22 secteurs industriels de douze pays de l’OCDE.Le dépouillement de ces données et le calcul de la moyenne de tous les secteurs industriels établissent finalement une fonction en U entre le nombre et le rendement des nouvelles technologies respectueuses de 
l’environnement (voir graphique 2). Au début, un petit nombre d’innovations ont un effet positif sur le rendement, mais leur cumul est négatif, ce qui affecte le rendement global. Au-delà du point A, l’apport des innovations respectueuses de l’environnement devient négatif et le déficit se creuse jusqu’au point B.C’est à partir de ce dernier point que la courbe en U se redresse. Autrement dit, l’ajout de nouvelles innovations bénéficie au rendement. Celui-ci devient même positif à partir du point C.Selon l’estimation modélisée, le point de retournement B se situe cependant à un nombre si élevé d’innovations qu’il n’est atteint que dans très peu de branches. Les industries qui possèdent un savoir particulièrement développé et qui se montrent très actives dans le domaine des innovations respectueuses de l’environnement sont donc les plus susceptibles d’atteindre la zone positive de rendement. Ce constat s’applique notamment à des branches très spécialisées, comme l’électrotechnique ou l’électronique, qui ont investi massivement dans les innovations «vertes» et ont déjà accumulé le savoir-faire correspondant. On constate cependant que c’est aussi le cas pour des entreprises qui ont relativement peu investi dans le savoir écologique et dont le socle technologique reste encore très proche de la base classique (jusqu’au point A).En ce qui concerne la majeure partie des secteurs industriels étudiés, il apparaît que les investissements dans le développement de technologies respectueuses de l’environnement n’ont pas encore payé actuellement (voir la zone située entre les points A et C). Cela s’explique de plusieurs façons. D’une part, les coûts de développement dans de nouveaux domaines technologiques sont généralement plus élevés que dans les domaines classiques. De l’autre, il semble que le problème crucial auquel les entreprises sont confrontées en matière d’environnement et qui explique la faiblesse du rendement soit celui dit des externalités. Il consiste en ce que le bénéfice additionnel d’une nouvelle technologie plus écologique que l’existante profite aussi au grand public. De ce fait, les clients potentiels ne sont pas enclins à payer nettement plus pour ce bénéfice additionnel que pour la technologie existante. Les coûts – bien que supérieurs – du développement de technologies plus respectueuses de l’environnement ne peuvent donc être répercutés que modérément sur la clientèle.Les résultats de notre étude montrent globalement que, dans les conditions actuelles du marché, beaucoup d’entreprises ne sont peut-être même pas disposées à effectuer des investissements importants – et donc à risque – dans de telles technologies, puisqu’ils pèsent sur leur rendement. Étant donné la forte position de la Suisse dans les technologies classiques et le rendement globalement insuffisant des technologies environnementales novatrices, il est compréhensible que ses entreprises se montrent plutôt réservées. La faiblesse de la Suisse, évoquée plus haut, s’explique donc par le contexte actuel du marché.

Attendre a-t-il un sens?


Faut-il attendre que les technologies environnementales se développent pour surmonter ce problème de rendement? La faiblesse du taux d’innovation dans ce domaine ne pose en principe pas de problème économique. Si le savoir sous-jacent peut être importé de l’étranger, il est tout à fait possible d’entrer plus tard sur le marché, par exemple après une phase de consolidation. Cette opinion est particulièrement répandue en Suisse, car selon elle, l’intensité des innovations dans les technologies classiques constitue une excellente base pour entrer rapidement sur le marché des technologies respectueuses de l’environnement.Sur la base des mêmes données que celles utilisées pour l’étude que nous venons de résumer et qui couvre 22 secteurs industriels de douze pays de l’OCDE pendant trente ans, une autre étude du KOF
Stucki T. et Wörter M., Determinants of Green Innovation: The Impact of Internal and External Knowledge, KOF Working Paper n° 314, Zurich, 2012. s’est penchée sur le lien entre les diverses sources du savoir technologique existant et les activités d’innovation actuelles. Comme l’illustre le graphique 3, on distingue ici entre savoir technologique spécifique à l’environnement et savoir classique. À l’intérieur de chaque branche, on distingue de surcroît entre le savoir externe obtenu en Suisse et celui provenant de l’étranger. Ces différentes sources de savoir ont une influence sur la probabilité de générer des innovations respectueuses de l’environnement.En analysant les sources du savoir à l’aide d’un modèle économétrique, on peut déterminer l’influence de chaque source respective. Le résultat montre que les activités actuelles en matière d’innovation se fondent essentiellement sur le savoir écologique gagné à l’intérieur même du secteur. Le savoir spécifique généralement disponible en Suisse ou à l’étranger a, certes, un effet positif sur les innovations environnementales, mais dans une mesure bien moindre que les connaissances et le savoir-faire propres au secteur. Il en va d’ailleurs de même pour le savoir gagné à l’interne en matière de technologies classiques.Ces résultats indiquent que les entreprises doivent accumuler avant tout des connaissances qui leur sont propres en matière 
d’environnement pour réussir sur le marché des technologies vertes. La stratégie du profiteur, qui exploite le savoir-faire d’entreprises plus innovantes, ou la confiance exclusive 
en son (propre) savoir classique sont peu prometteuses.

Solutions possibles


De nos jours, la nécessité de disposer de technologies respectueuses de l’environnement est largement reconnue. Les efforts en faveur d’une production de biens et de services qui vont dans ce sens sont amplement soutenus, tant au niveau national qu’international, d’où le potentiel commercial croissant de ce type de technologies. La retenue des entreprises suisses en matière d’innovations environnementales est donc sujette à critique, que ce soit du point de vue social ou économique. Si l’on entend profiter du marché émergent des technologies vertes et ne pas rater le train de tête, l’étude du KOF sur le rôle des sources internes et externes du savoir environnemental déconseille toute stratégie d’attente prolongée. Il faudrait au contraire travailler au plus vite sur un contexte commercial récompensant davantage les entreprises qui investissent dans le développement de technologies respectueuses de l’environnement et posent ainsi les bases de leur compétitivité sur un segment porteur.

Graphique 1: «Spécialisation internationale moyenne (valeurs RTA), 1980–2008»

Graphique 2: «Évolution de la contribution globale des innovations respectueuses de l’environnement au rendement en fonction de leur nombre (représentation schématique)»

Graphique 3: «Distinction des sources de savoir exerçant une influence sur les activités d’innovation dans une ­technologie donnée»

Proposition de citation: Stucki, Tobias (2013). La rentabilité des innovations environnementales. La Vie économique, 01. juin.