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Lutter contre l’extrême pauvreté par la mode éthique

Créer de l’emploi au bénéfice des plus démunis de ce monde en ­introduisant la mode éthique en Europe, telle est la finalité de l’Ethical Fashion Initiative, mise en uvre par le Centre du commerce international («International Trade Centre», ITC) au Ghana. Le centre de ­prestations Coopération et développement économiques du ­Secrétariat d’État à l’économie (Seco) en assure, de son côté, le financement et la direction. Le projet se veut un lien entre les cultures du Nord et du Sud. Il permet, par la promotion commerciale de la mode éthique, de créer des emplois et prouve ainsi son efficacité ­économique.
Un programme mis en œuvre par Helvetas.



C’est en 2008 que l’Italien Simone Cipriani lançait au Kenya, sous la houlette de l’ITC – une institution onusienne chapeautée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) – un partenariat public-privé qui devait devenir l’Ethical Fashion Initiative. L’idée consistait à réunir des artisans pauvres des communautés rurales, de jeunes stylistes africains, un centre de production et de développement en vêtements et accessoires, une fondation de mode éthique à but social, des acheteurs de grandes maisons de vêtements et des distributeurs en Europe.D’illustres stylistes engagés dans la mode éthique en Europe, telles Vivienne Westwood et Ilaria Venturini Fendi, acceptèrent de jouer le jeu, ce qui permit le lancement d’une première gamme de vêtements et d’accessoires. La plupart de ces objets sont fabriqués par des femmes qui exercent au sein de l’entreprise sociale (le «Hub») et dans les sites de production excentrés, situés dans les bidonvilles de Nairobi ou des régions rurales défavorisées. C’est ainsi que la nouvelle agence a su créer plusieurs centaines d’emplois à Korogocho, l’un des bidonvilles les plus délabrés de la capitale kényane, où vivent près de 150 000 personnes majoritairement employées dans le secteur informel.

Le Seco reprend le concept au Ghana


Convaincu par l’expérience, le Seco a approuvé en 2011 le financement d’un projet similaire au Ghana, l’un des pays prioritaires de son aide au développement. Les exportations de textile représentent une des sources d’emplois les plus importantes du pays. Elles font vivre les villages traditionnels et pauvres de la Volta, une région située à quelques heures de la capitale, où des artisans créent les tissus qui serviront à réaliser les produits exportés. Le projet prévoit un transfert de savoir-faire à chaque étape de la chaîne de production, afin d’améliorer la fabrication, d’accroître les exportations de textile et d’habillement et de créer des emplois.Trois structures de soutien ont progressivement été mises en place:

  • Un centre de production et de développement où les nouveautés textiles et les prototypes , puis soumis pour approbation aux acheteurs européens.
  • Une fondation à but social, The Ethical Ghana Foundation, qui gère tous les éléments logistiques et financiers pour la production des vêtements et accessoires dans les communautés d’artisans. Cette fondation est dirigée par un responsable de projet ghanéen disposant de connaissances sur les normes environnementales et sociales, éléments essentiels au développement durable d’un pays.
  • Des communautés d’artisans qui produisent les tissus régionaux et gèrent chaque étape de leur fabrication (teinture, tissage, couture, impression de motifs, finition). Dans ces lieux de travail, l’ITC vérifie le respect des normes environnementales et sociales, en collaboration avec d’autres organisations internationales.

Respect des normes environnementales et sociales


Le projet au Ghana comprend, par ailleurs, une collaboration intensive avec le Burkina Faso et le Mali, où le Seco est actif depuis plusieurs années dans l’assistance à la production et à l’exploitation de coton biologique1. Les produits fabriqués au Ghana utiliseront cette matière première. L’expérience a d’ailleurs démontré que les riches tissus produits dans les deux autres pays partenaires intéressent les stylistes occidentaux.Pour plusieurs cédis (monnaie du Ghana) additionnels et un travail physique allégé grâce à des machines de tissage performantes achetées dans le cadre du projet, les artisans ghanéens des communautés pauvres produisent des tissus de haute qualité, respec-tant les tendances de la mode ainsi que les directives environnementales et les labels sociaux. Ces exigences répondent à la norme ISO 26 000 qui intègre des lignes directrices pour toute entreprise cherchant à assumer l’impact à long terme de ses décisions. Elle définit la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
La RSE contribue au développement durable, y compris à la santé des personnes et au bien-être de la société. Elle prend en compte systématiquement sept éléments fondamentaux: la gouvernance de l’organisation; les droits humains; les relations et conditions de travail; le maintien de l’environnement; la loyauté des pratiques; les questions relatives aux consommateurs; le maintien des communautés et le développement local. – en termes de transparence, de durabilité et d’éthique – envers la société et l’environnement.Les pratiques utilisées dans le cadre du projet sont, en outre, guidées par la Fair Labour Association (FLA), dont le but est de promouvoir et de protéger les droits des travailleurs, ainsi que d’améliorer les conditions de travail en les rapprochant des standards internationaux. Enfin, l’ITC travaille avec le programme Score3, mis en œuvre par l’Organisation internationale du travail (OIT) et financé par le Seco. La conformité des conditions de travail est régulièrement contrôlée au sein des communautés d’artisans.Le projet se compose d’un dernier volet visant la durabilité et l’accroissement des produits textiles exportés: la protection des droits de propriété intellectuelle, à travers la reconnaissance d’indications géographiques de motifs régionaux (par exemple tissus Kente modernisés, symboles visuels d’Adinkra de la région d’Ashanti) et des droits de marque. Le Seco et l’ITC collaborent avec le ministère du Commerce et de l’Industrie du Ghana (Moti), afin notamment d’aboutir à une stratégie nationale en la matière.

Vendre la mode éthique


En Europe, l’équipe de l’ITC négocie des contrats de collaboration avec de prestigieux stylistes pour permettre aux produits africains de se positionner sur les marchés européens et d’être vendus à travers les grands distributeurs textiles. En parallèle, des contrats sont directement négociés avec des grandes surfaces de vente, comme Manor en Suisse. Depuis plusieurs mois déjà, les consommateurs peuvent y acheter de magnifiques accessoires (par exemple sacs, étuis) issus du projet. Ailleurs, d’importants distributeurs, tels Macy’s (États-Unis), Takashi-maya et United Arrows (Japon), ou Myers (Australie), ont rejoint l’initiative et la tendance se répand peu à peu mondialement.L’intérêt grandissant des acteurs de la mode et des grands distributeurs influencera le comportement des consommateurs tant que l’offre en textiles et accessoires éthiques restera de haute qualité et accessible à diverses couches de la population. Une promotion propre de la mode éthique reste, toutefois, nécessaire sur le marché suisse. Deux organisations, Ecos à Bâle et ICVolontaires à Genève, sont aussi intégrées dans le projet. Elles veillent à ce que le débat ait lieu, que la communication soit entretenue et que des études de marché se sur les consommateurs suisses. En effet, la prise de conscience des consommateurs pour la mode éthique est encore à mille lieues de leur intérêt pour une alimentation saine et durable. Accroître la responsabilité individuelle par le simple achat d’un vêtement ou d’un accessoire de type éthique, constituera un défi pour la prochaine décennie sur le marché de la consommation.

Encadré 1: Une créativité partagée 
entre le Nord et le Sud

Une créativité partagée 
entre le Nord et le Sud


Au centre d’Accra, dans un édifice mis à disposition par le ministère du Commerce et de l’Industrie du Ghana (Moti) a, un groupe de jeunes stylistes écoutent attentivement les conseils de Kofi Ansah, créateur de mode ghanéen internationalement reconnu et directeur créatif du projet financé par le Seco. Ils font partie de l’association de designers créée à travers le projet suisse et leur but est d’être sélectionnés à Alta Roma Alta Moda b, l’une des plus prestigieuses semaines de la mode et de la haute couture d’Europe.

Au fond de la salle, sur un grand écran, une directrice artistique italienne de renom explique par conférence vidéo aux jeunes créateurs la manière d’adapter les compositions textiles colorées aux goûts des consommateurs européens. Plus de sobriété, moins de mélange de couleurs, tout en préservant l’ethnicité africaine. Le noir et le blanc peuvent se conjuguer avec harmonie aux motifs régionaux. Les jeunes stylistes cherchent ainsi à adapter leur création à la demande européenne sans perdre leur identité. L’équilibre à trouver entre la créativité du Sud et les tendances du Nord suscite toutefois de vifs débats. Au milieu de la salle, Simone Cipriani essaie de tempérer les discussions animées. Il met en lumière l’importance pour les acteurs locaux africains de bien connaître les marchés occidentaux, car le commerce de la mode est complexe et ne pardonne aucune erreur.

a Le Moti est le principal partenaire étatique du Seco dans ce projet.
b Alta Roma Alta Moda dispose d’une plateforme particulière destinée à promouvoir de nouveaux talents de la mode provenant des pays en développement. Deux jeunes stylistes ghanéennes présenteront leurs collections lors de la prochaine manifestation d’Alta Roma

Proposition de citation: Irenka Krone-Germann ; Anne Aymone de Chambrier ; (2013). Lutter contre l’extrême pauvreté par la mode éthique. La Vie économique, 01 juillet.