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Conserver une capacité d’innovation

La Suisse veut rester innovante. Elle pourra atteindre cet objectif si elle fait en sorte que son système de formation, de recherche et d’innovation (FRI) reste viable et capable de s’adapter à un environnement en mutation. Une étude récente met pour la première fois en évidence les tenants et les aboutissants de ce système. Certains de ses résultats sont surprenants.

Photo: SBFI


Le fait qu’un pays soit ou non propice à l’innovation dépend d’une multitude de facteurs. La difficulté tient toutefois à l’impossibilité de les évaluer et de les contrôler tous, à supposer même qu’on puisse les connaître entièrement.

Deux stratégies de survie


Le système suisse d’innovation est complexe et découle d’une longue évolution. Différentes stratégies peuvent, pourtant, lui permettre de réussir. Examinons-en rapidement deux, que l’on rencontre couramment. Certains systèmes réussissent à s’adapter de manière optimale, ayant trouvé dans leur environnement exactement ce dont ils avaient besoin. Ils atteignent en outre un degré élevé d’efficacité, puisqu’ils ont renoncé à tout ce qui ne concourt pas à leur succès dans des conditions spécifiques. La biologie nous apprend que ces stratégies sont payantes tant que l’environnement ne change pas fondamentalement. En d’autres termes, ces systèmes appellent la stabilité, l’uniformité et la prévisibilité à long terme: cela les rend vulnérables. Au plus tard depuis les travaux de Nassim Taleb, nous savons cependant que cette stratégie est tôt ou tard condamnée à s’arrêter de fonctionner
Nassim Nicolas Taleb, Le Cygne noir. La puissance de l’imprévisible, 2012, éd. Les Belles Lettres; Ibid., Anti-fragile. Les bienfaits du désordre, 2013, éd. Les Belles Lettres..

Une analyse de sensibilité appliquée au système FRI


Les travaux en cybernétique menés par Frederic Vester ont permis d’élaborer une méthode fondée scientifiquement et affinée depuis des décennies; celle-ci sert à déterminer la viabilité d’un système, à la mettre à l’épreuve et, selon les cas, à l’améliorer
L’analyse de sensibilité de Frederic Vester est décrite en détail dans plusieurs de ses livres: Denken, Lernen, Vergessen (DTV 1978), Neuland des Denkens – Vom technokratischen zum kybernetischen Zeitalter (DTV 1984) et Die Kunst, vernetzt zu denken (DTV 1999).. L’analyse de sensibilité, de même que les logiciels correspondants, permettent de détecter et de comprendre les boucles de rétroaction, tant positives que négatives, d’un système. Cette méthode sert aussi à mettre en évidence et à évaluer des attributs (variables) sous-jacents en rapport avec la qualité du système.

Des variables plus qualitatives que quantitatives


L’étude en question s’est appuyée sur une vingtaine de variables susceptibles, selon ses auteurs, de décrire sommairement tous les aspects du système FRI. Il s’agit en l’occurrence d’un choix très subjectif. Seules les variables modifiables et jouer un rôle dans le système considéré ont été retenues. Elles ont été classées en trois catégories: les variables quantifiables (professionnels disponibles sur le marché, création de valeur et mise à disposition de fonds privés ou publics), les variables purement qualitatives – en nombre nettement plus élevé – (qualité de la formation, qualité de la recherche, image, stabilité et sécurité juridique) et les variables propres à la «suissitude» (souci de la qualité, orientation vers les performances et discrétion). Le flou inhérent à ces variables est voulu et typique des analyses de viabilité. Cela fait, il est vite apparu qu’un système ainsi modélisé se distingue fortement de la description traditionnelle de la FRI suisse, de ses acteurs et de ses institutions; les critères de mesure classiques du résultat économétrique de l’innovation (nombre de brevets, de publications, etc.), par exemple, en sont complètement absents. Cette rupture n’est pas le fruit du hasard, mais d’une intention pleinement assumée. En soi, l’analyse de sensibilité ne mesure rien, mais fait apparaître les structures internes ainsi que les tenants et les aboutissants du système.

Intervenir avec précaution dans le système


L’étude a confirmé bon nombre d’opinions émises sur le paysage suisse de l’innovation. Elle a également fourni quelques résultats inédits et parfois surprenants. Elle montre, par exemple, que la FRI actuelle s’autostabilise et que des interventions extérieures ne sont ni nécessaires dans l’urgence ni récompensées. Cela signifie que la structure fondamentale du système ne devrait être modifiée qu’en cas de nécessité absolue. L’ensemble fonctionne correctement, que ce soit en matière de compétences, d’institutions ou de flux financiers. Les critiques que l’on peut opposer aux orientations du système, qui constituent les principaux résultats de l’analyse effectuée, reposent pour l’essentiel sur le comportement des acteurs privés en matière d’investissements. Le fonctionnement global de la FRI ne dépend toutefois pas seulement de leur sens des responsabilités, mais aussi de leur capacité à partager des valeurs sociales fondamentales, à les reconnaître et à les promouvoir. Si des changements devaient intervenir, les conséquences seraient difficilement prévisibles et le système deviendrait très vite instable.Les valeurs fondamentales, notamment le souci de la qualité, l’esprit de compétitivité et la volonté de s’investir, sur lesquelles repose notre société depuis longtemps, constituent de manière étonnante le pivot du système FRI suisse. Elles contribuent largement à son bon fonctionnement actuel. Le modèle élaboré fait apparaître clairement que la plupart des variables propres à la «suissitude» se rangent dans la catégorie des variables critiques (voir encadré 2

Classification des variables


La classification des variables découle d’une procédure propre à l’analyse de sensibilité, qui détermine sommairement dans quelle mesure chaque variable influe sur les autres (matrice de connectivité, actuellement gérée par un logiciel ad hoc):

  • les variables critiques influent fortement sur le système et sont elles-mêmes fortement influencées par d’autres variables;
  • les variables actives ont une forte influence sur le système, mais ne sont que faiblement influencées par d’autres variables;
  • les variables passives n’influent que faiblement sur les autres variables, mais sont fortement influencées par le système;
  • les variables tampon ont peu d’impact sur le système et ne sont que faiblement influencées par d’autres variables;
  • les variables neutres ne peuvent être rattachées à aucune des catégories énoncées précédemment.


). Pour les organes de pilotage centralisés, ces variables sont problématiques en ce sens qu’elles représentent des points d’intervention certes appréciés, mais si fortement imbriqués dans le système que les effets secondaires d’une telle intervention sont difficiles à estimer.

Future valeur ajoutée


Où tout cela nous mène-t-il? Le modèle pilote élaboré par les auteurs de l’étude doit encore être affiné et validé. Ensuite seulement, on pourra tirer le meilleur parti de la valeur ajoutée proprement dite de l’analyse de sensibilité: certaines variables peuvent être renforcées de manière ciblée (uniquement en termes virtuels, bien sûr) ou au contraire atténuées, ce qui permet de mesurer leur impact sur l’ensemble du système. De telles simulations permettent d’observer la façon dont ce dernier réagit à long terme: la modélisation détaillée de la viabilité devient alors possible. Sur la base de la validation du modèle FRI, des réponses peuvent être apportées aux questions concernant les possibilités d’intervention adéquates, le développement futur du système et son amélioration: on peut, par exemple, se demander si les agences de promotion existantes sont à la bonne place dans le système ou si la politique d’encouragement nécessite une autre logistique. Dans le même temps, le modèle permet d’identifier les points sur lesquels il est préférable de ne pas intervenir, indépendamment de leur attrait initial.

Encadré 1: Informations sur l’étude

Informations sur l’étude


L’étude Sensitivitätsanalyse des BFI-Systems Schweiz a été réalisée en 2012 sur mandat de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie par Christiane Gebhardt et Peter Pattis, du Malik Management Zentrum à Saint-Gall. Elle paraîtra durant l’automne 2013 dans la collection du Sefri: http://www.sefri.admin.ch.

Encadré 2: Classification des variables

Classification des variables


La classification des variables découle d’une procédure propre à l’analyse de sensibilité, qui détermine sommairement dans quelle mesure chaque variable influe sur les autres (matrice de connectivité, actuellement gérée par un logiciel ad hoc):

  • les variables critiques influent fortement sur le système et sont elles-mêmes fortement influencées par d’autres variables;
  • les variables actives ont une forte influence sur le système, mais ne sont que faiblement influencées par d’autres variables;
  • les variables passives n’influent que faiblement sur les autres variables, mais sont fortement influencées par le système;
  • les variables tampon ont peu d’impact sur le système et ne sont que faiblement influencées par d’autres variables;
  • les variables neutres ne peuvent être rattachées à aucune des catégories énoncées précédemment.

Proposition de citation: Sebastian Friess (2013). Conserver une capacité d’innovation. La Vie économique, 01 octobre.