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Ce que les classements de l’innovation peuvent nous apprendre

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On se réfère volontiers, dans le débat public, aux classements internationaux pour mettre en lumière la capacité d’innovation d’un pays. Un regard critique montre toutefois que ceux-ci ont une valeur relative. En outre, les hypothèses de travail sur lesquelles ils reposent pèsent souvent d’un poids plus lourd qu’on ne pense.

Photo: Keystone


À première vue, la Suisse semble avoir peu de raisons de poser un regard critique sur les classements de l’innovation. Ces dernières années, n’a-t-elle pas figuré très régulièrement dans le peloton de tête, voire sur la plus haute marche du podium? La Suisse compterait ainsi parmi les pays les plus innovants et les plus compétitifs du monde. Si un pays devait se permettre un brin d’autosatisfaction, ce serait bien elle. En est-on sûr?

Des données objectives?


Tenter de mesurer la capacité d’innovation et de la comparer à l’échelle internationale, c’est accepter des compromis à divers niveaux. Le premier, d’ordre méthodologique, concerne un point fondamental de tout classement de l’innovation, pourtant rarement discuté dans la pratique: comment mesurer et comparer pertinemment la performance d’un pays en matière d’innovation et quelles informations sélectionner à cet effet? Autrement dit: quel système cette méthode est-elle censée refléter et comment identifier et comparer la capacité d’innovation des différents pays? Ces présupposés méthodologiques sont rarement rendus publics ou se fondent implicitement sur des modèles économiques de portée générale.

Un compromis méthodique et politique


Afin de s’assurer de la relative solidité de l’édifice statistique mis en place, on le soumet à des tests de robustesse et on vérifie la plausibilité de ses résultats par d’autres méthodes de calcul et de pondération. Lorsque le modèle passe avec succès les tests statistiques et que le recours aux autres méthodes (par exemple la pondération différente de certains indicateurs) aboutit à des résultats qui ne s’écartent pas trop de ceux du modèle retenu, celui-ci est considéré comme robuste.

Pertinence des classements


Certaines conclusions sont intéressantes pour les destinataires (en particulier les instances politiques):

Quels enseignements tirer pour la Suisse?


Même une analyse approfondie ne peut expliquer précisément pourquoi la Suisse obtient de si bons résultats dans les classements. Certes, il semble établi que ce pays est très innovant. Il a aussi la chance de son côté, car certaines de ses caractéristiques structurelles jouent un rôle prépondérant dans les classements actuels. La Suisse possède, par ailleurs, des particularités qui sont ressenties chez elle comme des atouts, mais qui ne sont pas prises en considération dans les comparaisons internationales. Son système dual de formation, peu répandu à l’étranger, est ainsi ignoré dans les classements, par manque de données comparatives.

Les classements de l’innovation sont un outil et non une fin en soi


Les classements de l’innovation servent à comparer les pays entre eux. On ne peut s’en servir qu’avec précaution pour définir des objectifs politiques. Ils se fondent, en effet, sur des normalisations statistiques afin de rendre comparables des pays très dissemblables. Il faut donc toujours se demander si un tel exercice correspond vraiment aux besoins du moment. Pour certains indicateurs, il est préférable de ne nous confronter qu’à d’autres pays de petite taille. Sur d’autres aspects, la comparaison est plus pertinente avec certaines régions d’autres pays plutôt qu’avec un pays entier.

Encadré 1: Comment établit-on un classement?

Comment établit-on un classement?


Le tableau de bord de l’Union de l’innovation (TBUI) comprend 24 indicateurs reflétant les trois dimensions fondamentales de l’innovation: les «outils», l’activité des entreprises et les résultats.

Les valeurs de ces indicateurs sont normalisées:

  • Les résultats sont triés par indicateur et par ordre décroissant.
  • Le pays ayant obtenu le meilleur score se voient attribuer la valeur 1.00 et le pays le moins performant 0.00.
  • Une valeur située entre 1.00 et 0.00 est calculée pour les autres pays en fonction de leur performance relative.
  • Si un pays ou un petit groupe de pays diffèrent trop vers le haut ou vers le bas par rapport aux autres pays considérés, on procède au lissage de la valeur extrême, afin d’améliorer la lisibilité des différences interétatiques. De la sorte, un pays classé par exemple au 2e ou au 3e rang peut malgré tout obtenir une note de 1.00.
  • Lorsque les données actuelles d’un pays font défaut, on procède à une estimation à partir des chiffres des années antérieures. Il se peut donc que la comparaison porte sur des données qui concernent des années différentes.
  • La moyenne des 24 indicateurs, rendue sous la forme d’une note entre 1.00 et 0.00, détermine le rang de chaque pays au classement général. Théoriquement, le pays qui veut s’assurer une note finale 1.00 devrait faire en sorte d’obtenir 1.00 pour chaque indicateur.


La normalisation s’apparente en quelque sorte à un examen: celui qui a obtenu le plus de points reçoit la note 1.00 et celui qui a rendu la plus mauvaise copie la note 0.00. Les notes obtenues par les autres candidats à l’examen dépendent du meilleur et du moins bon résultat. Dans le cas de figure où un examen permet théoriquement d’obtenir 15 points et où le meilleur candidat n’en récolte que 10, celui-ci reçoit quand même la note maximale 1.00. À l’inverse, si le moins bon élève, qui reçoit un 0.00, a tout de même glané 2 points, ce dernier résultat détermine la valeur de référence inférieure. Ainsi, un candidat ayant obtenu 8 points se verrait attribuer la note 0.75. Toutefois, si le meilleur élève avait mieux réussi son examen, ou si le moins bon élève avait au contraire été encore plus médiocre, cette note s’en serait trouvée changée. Exemple: si le meilleur candidat avait obtenu 12 points à l’examen, l’élève ayant obtenu 8 points recevrait une note de 0.6.

À noter également que, pour des raisons de commodité, on a opté dans le TBUI pour le principe «plus, c’est mieux». Par exemple, un pays où 100% des personnes âgées de 30 à 34 ans seraient titulaires d’un doctorat obtiendrait la première place pour l’indicateur correspondant et donc la note 1.00. Mais cette valeur constituerait-elle un avantage réel en termes d’innovation? Pour certains indicateurs, il est possible et même probable qu’une valeur «optimum» existe; aller au-delà n’aboutit à aucun gain et peut même s’avérer pernicieux.

Proposition de citation: Zurfluh, Rahel (2013). Ce que les classements de l’innovation peuvent nous apprendre. La Vie économique, 01. octobre.