Rechercher

La production de logements et ses chantiers à venir

En Suisse, la construction de logements est essentiellement une tâche de l’économie privée. Les pouvoirs publics établissent le cadre juridique dans lequel cette dernière peut exercer ses activités. En outre, la Confédération, les cantons et les communes veillent à concilier les intérêts contraires et à corriger les effets indésirables du marché, que ce soit pour préserver l’environnement et les ressources naturelles ou pour limiter les inégalités sociales. Concernant l’avenir du logement, plusieurs chantiers se profilent sur les plans politique et législatif.

La production de logements et ses chantiers à venir

La mise à disposition de logements fait partie des tâches de l’économie immobilière. Ce secteur hétérogène englobe une multitude de branches distinctes, dont les activités concernent le développement, le financement, la production, la commercialisation, la gestion et la revalorisation des terrains et des bâtiments.

Le graphique 1 résume les liens entre la construction de logements et certaines réglementations qui permettent aux pouvoirs publics d’en influencer le cours. Il illustre le rôle central de l’investisseur qui consiste généralement en une personne privée, une institution, une coopérative d’habitation ou une société de construction immobilière[1]. Sans lui, aucun logement ne peut être construit. Que ce soit pour créer ou rénover des logements, l’investisseur a besoin, suivant son activité, de terrains, de prestations pour la construction et de capital. Pour cela, il fait appel, à travers les marchés spécifiques, aux propriétaires fonciers, aux sociétés offrant des prestations en matière de planification et de construction, ainsi qu’aux banques. Il peut également acquérir sur le marché des bâtiments existants. L’investisseur vend, ensuite, ces objets à des ménages sur le marché des logements en propriété. Les acquéreurs deviennent par conséquent les investisseurs finals; ils peuvent habiter en propre le logement acquis ou le louer. Toutefois, celui qui investit dans la construction peut également agir comme investisseur final en proposant les logements sur le marché des biens locatifs.

201311_04F_Grafik01.eps[1]

L’objectif de la vente ou de la location de logements est d’obtenir un retour sur investissement sous forme de bénéfice ou de rendement adéquat. Pour l’atteindre, il faut qu’une demande supplémentaire existe et que l’offre corresponde aux attentes et au pouvoir d’achat des locataires ou des propriétaires.

Le logement, une préoccupation croissante des responsables politiques

La Suisse a bien su gérer la question du logement avec son modèle basé sur l’économie privée. La surface habitable par personne est très élevée en comparaison avec d’autres pays. Les coûts des logements sont supportables pour la majeure partie de la population. En principe, les investisseurs et le capital ne manquent pas, les logements sont d’excellente qualité, bien entretenus, et les activités de construction sont florissantes. Dans ce contexte, suite aux mauvais souvenirs laissés par la crise immobilière des années nonante, il n’y a pas eu lieu, pendant longtemps, d’agir sur le plan politique. La question du logement est (re)devenue une préoccupation importante pour la Confé- dération, les cantons et les communes en raison de l’augmentation continue de la demande ces dernières années. Les délais dans la construction de nouveaux logements ont, en effet, causé des pénuries sur certains marchés régionaux, ce qui, conjointement avec la baisse des taux d’intérêt, a provo- qué une hausse parfois importante des prix. En mai dernier, le Conseil fédéral a pris diverses mesures à moyen et long termes, permettant à la Confédération de concourir à lever les défis qui se posent au marché du logement[2].

Les investisseurs face à l’incertitude de la demande

La construction de logements se caractérise par les longues durées nécessaires à la planification et la production. Pour les projets de construction importants, il faut compter avec des phases de développement et de construction, qui, en fonction de leur complexité, peuvent durer jusqu’à dix ans entre le lancement du projet et l’occupation du logement. Durant cette longue maturation, l’investisseur court un certain risque. Il doit prendre des décisions sans jamais pouvoir être sûr que, une fois la construction achevée, il existera une demande de nouveaux logements dans le lieu en question. Si tel est le cas, rien ne dit que son offre correspondra aux attentes, aux besoins et aux moyens financiers des locataires et des propriétaires, même s’il a sondé le marché avec soin.

Il existe peu d’indices fiables permettant de prédire l’évolution de la demande de logements. La structure par âge de la population en est un. La proportion de personnes âgées est en augmentation et ces dernières deviennent une composante importante du marché. Avec l’âge, les besoins varient énormément suivant l’état de santé, le statut social, le style de vie et le pouvoir d’achat. Il est donc dans l’intérêt public que les investisseurs réagissent par une offre variée qui facilite une occupation durable du logement, favorise les liens sociaux et repousse tant que possible le départ des habitants vers de coûteux établissements médicosociaux.

Outre ce facteur démographique, la demande de logements est principalement tributaire de la situation conjoncturelle. À cet égard, les observateurs s’attendent à une reprise progressive de l’économie mondiale et, par extension, à un surcroît de vitalité de la conjoncture économique suisse. Notre pays restera une destination attrayante pour les immigrants et, si la libre circulation des personnes est maintenue, le nombre de ménages dont émanera la demande future de logements continuera d’augmenter. De plus, une évolution favorable des revenus devrait renforcer la tendance vers des foyers de plus petite dimension et assurer que la majorité de la population dispose de moyens suffisants pour ses dépenses en logement.

Construire en rase campagne: une solution sans avenir

Une demande importante de logements implique qu’un grand nombre de nouveaux bâtiments devront être construits dans le futur. Les investisseurs seront-ils en mesure d’acquérir les terrains à bâtir nécessaires sur le marché foncier? Diverses votations récentes indiquent que la population est très attachée à la protection du paysage et des terres cultivées. Par conséquent, les nouvelles constructions ne doivent pas, dans la mesure du possible, les dégrader. Le 3 mars dernier, le peuple a voté une révision de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT), afin d’établir des principes qui encouragent une meilleure utilisation des zones à bâtir existantes et favorisent la densification urbaine. Il appartient désormais aux cantons et aux communes d’adapter leurs réglementations et leurs zonages de façon à ce que des terrains soient disponibles en quantité suffisante pour la construction de logements. Les bâtiments neufs en rase campagne apparaissent de moins en moins comme une solution d’avenir. Il faut densifier le milieu bâti et reclasser des friches industrielles – et bientôt, peut-être, également des «friches commerciales» – en vue d’y construire des logements. Le reclassement de certaines zones et un accroissement de l’indice d’utilisation du sol dans les périmètres d’habitation existants devraient stimuler les surélévations d’immeubles et les démolitions-reconstructions. Dans une démocratie caractérisée par un droit de codécision bien établi, une densification réussie de l’habitat implique que les autorités locales consultent la population sur la planification. Elles doivent, en outre, veiller à ce que les investisseurs conçoivent des projets de densification qui génèrent une plus-value pour le voisinage et sont ainsi acceptés.

Importance de l’évolution des taux d’intérêt pour les propriétaires

Ces dernières années, la vente de nouveaux logements sur le marché de la propriété représentait une option lucrative pour les investisseurs visant un profit à court terme. Grâce à des taux d’intérêt bas, de larges couches de la population ont pu accéder à la propriété de leur logement. Ce mouvement s’est, toutefois, accompagné d’une forte augmentation des prix, en particulier dans les régions attrayantes. L’évolution des taux d’intérêt est le principal facteur qui déterminera si, à l’avenir, les investisseurs continueront de construire et de commercialiser principalement des logements en propriété. Une hausse de ces taux serait positive, puisqu’elle constituerait un frein supplémentaire à la dynamique des prix. Deux mesures ont déjà été efficaces en ce domaine: les directives d’autoréglementation du marché hypothécaire, introduites par les banques au milieu de l’année 2012[3], et la décision prise en février dernier par le Conseil fédéral d’activer partiellement le volant anticyclique à fin septembre. Cependant, une hausse des taux d’intérêt réduirait le nombre de propriétaires potentiels et, surtout, mettrait en difficulté une partie des ménages qui ont récemment acquis un objet à l’aide d’un capital emprunté important en faisant preuve de beaucoup d’optimisme. Ces propriétaires pourraient, en effet, voir leurs frais de logement dépasser un niveau supportable et même perdre leur bien si le coût du capital venait à augmenter.

La propriété par étages doit encore faire ses preuves

Au niveau de la politique du logement, l’augmentation du nombre de propriétaires et l’accroissement sous-jacent du taux de logements en propriété sont une bonne chose. D’un point de vue écologique, on constate avec satisfaction que la propriété par étages est plus populaire que la maison individuelle. Ce succès est, toutefois, relativement récent – l’introduction de la propriété par étages date de 1965 – et le concept doit encore faire ses preuves. C’est seulement maintenant que, petit à petit, des travaux de rénovation importants sont nécessaires. On met fréquemment en doute le fait que les membres des communautés de copropriétaires, souvent devenues hétérogènes, puissent se mettre d’accord sur une stratégie d’assainissement commune et qu’ils disposent tous de moyens permettant de financer ces travaux. Si la question des rénovations devenait un problème majeur, des mesures devraient être envisagées, quitte à devoir réviser le code civil en conséquence. En outre, le traitement fiscal de la propriété, notamment concernant les déductions pour les propriétaires[4], restera vraisemblablement un chantier législatif, d’autant plus que si le taux de logements en propriété continue d’augmenter, les propriétaires constitueront bientôt la majorité des votants.

Marché du logement locatif: encourager les investisseurs

Les investisseurs qui, comme les caisses de pension ou les assurances, visent un placement de capitaux à long terme et un profit durable, continueront à cibler principalement le marché des logements locatifs. Une demande adéquate devrait se maintenir, puisque, comme par le passé, de nombreux ménages ne voudront pas accéder à la propriété ou ne disposeront pas des moyens financiers nécessaires. Afin d’assurer une offre suffisante de logements pour toutes les couches de la population et de conserver des loyers équitables, il est important que les règlementations en matière de droit du bail encouragent les investisseurs tout en tenant compte des exigences légitimes des locataires. Par conséquent, le Conseil fédéral s’est prononcé en mai dernier contre toute intervention dans la fixation des prix sur le marché des logements locatifs. En raison de leurs intérêts opposés, le bras de fer entre les locataires et les bailleurs devrait continuer à occuper le Conseil fédéral et le Parlement dans les années à venir.

À l’avenir, une attention particulière devra être portée à l’offre de logements pour les ménages les moins fortunés. Des charges locatives élevées ne sont pas un problème uniquement pour les personnes concernées. Elles peuvent aussi avoir des conséquences néfastes sur l’ensemble de l’économie, puisqu’elles entraînent une diminution des moyens destinés à la consommation d’autres biens et peuvent mettre les salaires sous pression. Dans ce contexte, la coopération entre la Confédération et les investisseurs d’utilité publique s’est avérée efficace. Ces derniers offrent durablement des logements à prix modéré en appliquant le principe du loyer calculé sur la base des coûts et en agissant sans but lucratif. Le Conseil fédéral a pris différentes mesures de soutien, dont certaines ont déjà été mises en œuvre, afin de renforcer la position des investisseurs d’utilité publique sur le marché foncier et sur celui des logements locatifs. Il a notamment décidé d’étendre les aides financières à l’acquisition de terrains dès 2014. En outre, il fait évaluer des mesures d’aménagement du territoire susceptibles d’encourager la construction de logements à prix modéré ou d’utilité publique.

Repenser la législation

La question du prix est étroitement liée aux coûts de la construction. La hausse du loyer moyen provient aussi du fait que les surfaces offertes et demandées ont continuellement augmenté au fil des années. La loi de l’offre et de la demande n’est pas la seule à influencer le marché de la construction. Il faut y ajouter les prescriptions en matière d’environnement, de santé et de sécurité, qui, durant ces dernières décennies, sont venues étoffer les actes législatifs cantonaux et communaux, ainsi que les normes établies par les organisations professionnelles, qui entraînent une hausse des prix de la construction. Liée au fédéralisme, la diversité des prescriptions, des concepts, des méthodes de mesure ainsi que des procédures d’autorisation et de recours en matière de construction fait également grimper les prix. Elle entrave la réalisation de certains projets, en particulier pour des investisseurs actifs au niveau suprarégional. À l’avenir, l’harmonisation de ces prescriptions devrait continuer à occuper les autorités à tous les niveaux de l’État. Espérons que les efforts à fournir seront poursuivis au moins au niveau des cantons, car la vieille idée d’un «droit fédéral de la construction» restera sans doute un vœu pieux.

Entretenir le parc de logements

Jusqu’ici, nos considérations se sont concentrées sur la construction de nouveaux logements. Il ne faut, cependant, pas oublier que les nouvelles unités mises sur le marché chaque année ne représentent que 1% de l’ensemble des logements. L’offre future est en majeure partie déjà présente sur le marché de l’immobilier. À l’avenir, il sera important que les propriétaires entretiennent, rénovent et adaptent leurs bâtiments à de nouvelles exigences. Dans ce contexte, les assainissements énergétiques revêtiront une importance fondamentale. Ils devraient être plus fortement encouragés par la Confédération et par les cantons dans le cadre du programme Bâtiments, comme le veut la Stratégie énergétique 2050. L’un des défis consistera à assainir les logements locatifs dans les endroits où le marché ne permet pas les hausses de loyer liées aux investissements. En outre, les discussions politiques, au niveau fédéral, concernant la question du marché de l’immobilier devraient se cristalliser autour de la «Lex Koller». Le Parlement a enjoint le Conseil fédéral de s’en tenir à la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger, contrairement à ses intentions antérieures, et de lui soumettre un message en conséquence. Puisque les interventions récentes vont jusqu’à exiger un durcissement de la «Lex Koller», le débat concernant la position des investisseurs étrangers sur le marché immobilier suisse risque de se prolonger.

  1. En raison du nouveau système de recensement des bâtiments et des logements, qui ne se fonde plus sur les informations fournies par les propriétaires, mais prend désormais la forme d’une enquête basée sur les registres, il n’existe aucune donnée récente concernant la répartition des logements suivant les différents groupes de propriétaires. En 2000, les particuliers étaient les principaux «investisseurs finaux», suivis par les groupes de propriétaires dans l’ordre mentionné. []
  2. Ernst Hauri, «Optimiser la politique du logement de la Confédération sans intervenir immédiatement sur le marché», La Vie économique, 6-2013, pp. 12–15. []
  3. Un taux de 10% de fonds propres ne provenant pas de l’avoir du deuxième pilier et des amortissements d’hypothèques représentant jusqu’à deux tiers de la valeur de nantissement sur une durée maximale de vingt ans. []
  4. Traitement fiscal de la valeur locative, déductibilité fiscale des intérêts passifs et des frais d’entretien. []

Proposition de citation: Ernst Hauri (2013). La production de logements et ses chantiers à venir. La Vie économique, 01 novembre.