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Vers une politique coordonnée des transports

La Suisse dispose d’un système de transport fiable et fortement développé, ce qui représente un atout de premier plan face à la concurrence économique internationale. Cependant, il est de plus en plus manifeste que l’infrastructure actuelle ne permettra plus de répondre aux besoins futurs. Ce constat suscite un large éventail de questions, notamment: est-il légitime de prétendre à une mobilité illimitée en pratique? Quel est le degré de mobilité compatible avec l’aménagement du territoire? Quelles sont les possibilités de financement de l’infrastructure nécessaire? Ces questions montrent que les options prises par le passé ne pourront pas être transposées telles quelles dans le futur.
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En été 2012, après des années de croissance continue, la population suisse a dépassé le seuil des 8 millions d’habitants. À la faveur d’une économie florissante, la prospérité et donc le pouvoir d’achat des personnes n’ont cessé de croître. Ces facteurs ont conduit à une augmentation marquée de la mobilité: en 2010, les distances parcourues ont atteint le nouveau pic de 37 kilomètres par jour et par personne. Ce besoin croissant de mobilité n’est pas resté sans conséquences: les embouteillages sur les routes sont plus fréquents; aux heures de pointe, les trains interurbains et les RER sont souvent bondés. Un retournement de tendance n’est pas en vue: les statisticiens pensent que la Suisse de 10 millions d’habitants se profile déjà et selon les prévisions en matière de mobilité, les prestations de transport vont augmenter d’ici 2030 de 50% dans les transports publics (TP) et de près de 20% dans le trafic individuel motorisé (TIM). Compte tenu de ces perspectives, la mobilité – en particulier son financement et sa maîtrise – devrait figurer tout en haut de l’agenda politique ces prochaines années. Auparavant, un regard rétrospectif s’impose pour mieux comprendre la politique et le développement des transports de demain.

Du rail à l’automobile

Jeremias Gotthelf écrivait que si la construction de routes continuait comme cela, il faudrait élaborer une loi qui permette de planter des pommes de terre pour les pauvres sur la tête des députés [1]. Il semble s’être trompé, du moins en ce qui concerne le mode de transport. En réalité, on n’a pas assisté à une série d’aménagements routiers spectaculaires, mais à la création, assez mal coordonnée, du réseau ferroviaire suisse. Pendant près de cent ans, soit jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, le rail a dominé tous les autres moyens de transport. La citation du pasteur rebelle de l’Emmental a trouvé une partie de son sens après la guerre, avec la progression triomphante de l’automobile: en 1950, le nombre de personnes-kilomètres transportées par la route et le rail était équilibré, mais durant les décennies qui ont suivi, un déséquilibre s’est installé à l’avantage de la première. La quote-part du TIM est actuellement de 66%, alors que celle des TP est de 23%, ce qui représente un rapport d’environ 3 à 1.[2] Les 11% restants se répartissent entre la mobilité douce (piétons et vélos) et d’autres modes de transport. La part de la mobilité douce (MD) est toutefois en forte croissance si l’on considère, non pas les distances, mais les étapes parcourues: près de la moitié d’entre elles le sont de cette façon, 36% en TIM et 13% en TP. Du point de vue régional, le transport de personnes, tant public que privé, est concentré sur le Plateau.

Financer intelligemment les routes nationales

Le triomphe de l’automobile a été favorisé par la décision prise en 1960 de réaliser le réseau de routes nationales. Il était prévu à cette époque de construire un réseau d’une longueur de 1680 kilomètres. Les calculs d’alors partaient de l’idée qu’une fois ce réseau achevé, les deux tiers de la population habiteraient à 5 km au maximum de la jonction autoroutière la plus proche. Aujourd’hui, ce réseau compte 1840 kilomètres et est, pour ainsi dire, terminé. C’est le fruit d’un financement bien pensé dont la principale source, la taxe sur les carburants, coulait déjà à flots avant même la mise en exploitation des autoroutes, ce qui a permis de réaliser rapidement le réseau prévu. Grâce aux conditions attrayantes qu’elles offraient, notamment la vitesse élevée et un niveau de sécurité comparativement bon, les routes nationales ont pu – conformément à la stratégie définie – absorber bon an mal an la croissance du trafic routier de ces dernières décennies.

La croissance de la mobilité n’obéit à aucune loi naturelle

L’augmentation de la mobilité a de multiples causes. Sous l’angle sociodémographique, ses moteurs principaux sont notamment la croissance de la population évoquée ci-dessus, la prospérité, le niveau de revenu et l’offre de loisirs, de même que les nouveaux modes de vie. Les couples à double revenu ne travaillent en principe pas au même endroit. En matière d’économie des transports, la mise à disposition d’une offre de mobilité à un prix ne couvrant pas les coûts effectifs est un aspect important. Pour les transports publics, ce sont essentiellement les frais d’exploitation qui ne sont pas financés. Pour le TIM, l’accent doit être mis sur les coûts externes non couverts, liés par exemple au bruit et à la pollution atmosphérique. Mettre ces coûts à la charge de ceux qui les occasionnent peut véritablement contribuer à une bien meilleure fluidité du trafic, comme le montre l’exemple de la RPLP (voir encadré 1).201312_04D_Grafik02.eps

Les problèmes de capacité s’aggraveront

Malgré des investissements massifs, l’extension des infrastructures de transport n’a pas été en mesure de suivre la boulimie de croissance du trafic. En 2012, le nombre d’heures d’embouteillage sur les routes nationales a dépassé la barre des 20 000. Pour la plupart, ces encombrements ne sont pas imputables aux accidents ou aux chantiers (qui n’en justifient qu’une infime partie), mais à des surcharges de trafic. Comme ce dernier se concentre dans les agglomérations, il n’est pas surprenant que les embouteillages s’y accumulent également (85 à 90%, selon la statistique). Le problème est, par conséquent, particulièrement aigu dans les centres urbains. Les TP sont confrontés à des difficultés du même ordre: alors que l’occupation moyenne des places assises dans les trains est d’environ 27% et donc en dessous du seuil de rentabilité, les limites de capacité sont atteintes, voire dépassées, depuis longtemps sur divers tronçons aux heures de pointe.

Le rôle fondamental de l’aménagement du territoire

L’aggravation des problèmes sur le réseau routier et ferroviaire oblige à reconsidérer l’ensemble de la situation. Il est important de poursuivre l’extension des voies de communication, mais cela ne constitue qu’une partie du puzzle. Pour assurer la fonctionnalité du système, de nouvelles approches intelligentes doivent également être développées et mises en œuvre dans le domaine des infrastructures. Il faut renoncer aux aménagements superflus pour mieux exploiter les infrastructures existantes. Celles-ci doivent faire l’objet d’une gestion efficace. Autre priorité: l’aménagement du territoire doit être conçu de manière à réduire les besoins en matière de transport. La planification des zones résidentielles, commerciales et industrielles devra prendre en compte les incidences de chaque type d’affectation sur la mobilité. Cette coordination est primordiale, car le sol disponible en Suisse est limité. Une planification intégrée des deux modes de transport ainsi qu’une meilleure concordance entre la planification des transports et l’aménagement du territoire permettront de freiner le mitage du paysage, d’assurer une densification de qualité et d’éviter un trafic supplémentaire. Le projet de territoire Suisse

http://www.projetdeterritoiresuisse.ch., adopté fin 2012, sert de cadre d’orientation et de concept commun de planification pour la Confédération, les cantons et les communes. Dans ce domaine, la Confédération doit montrer l’exemple, en indiquant comment coordonner et exploiter efficacement la complémentarité de tous les modes de transport.

Tarifer la mobilité

Selon le compte suisse des transports, qui prend en considération les coûts externes, ni le rail ni la route ne couvrent ceux qu’ils occasionnent. Il en résulte une demande de mobilité excessive qui, du point de vue économique, n’est pas optimale. De plus, les tarifs pratiqués actuellement pour ces deux modes de transport ne sont pas adaptés aux importantes variations de la demande selon l’heure et le lieu. Par conséquent, il semble indispensable, à moyen ou long terme, de passer à une tarification de la mobilité («mobility pricing») tenant compte de la diversité des exigences. Cette notion est essentielle dans un tel contexte: elle table sur le paiement de redevances liées à l’utilisation des infrastructures et des services dans les transports individuels et publics[3]. Le but est de parvenir à une demande qui soit économiquement efficace et écologiquement durable, en intégrant les coûts effectifs de la mobilité. Une différenciation tarifaire selon le lieu et l’heure d’utilisation des infrastructures permettrait de la gérer plus efficacement. Aujourd’hui, on observe des incitations qui vont à l’encontre d’un système de transports durable.201312_04F_Grafik02.eps

De quel degré de mobilité avons-nous besoin?

En raison des défis à relever, il est manifeste que les solutions appliquées jusqu’à présent ne pourront pas être transposées telles quelles dans le futur. Une réflexion sur nos besoins de mobilité s’impose: la «garantie d’une mobilité maximale», exigée et présumée par la société actuelle, devra céder le pas à un système de «mobilité optimale». Cela implique une internalisation des coûts externes, mais aussi la reconnaissance du caractère limité des capacités de transport. Une mobilité illimitée est déjà impossible dans les conditions actuelles. Cela vaut encore plus pour une Suisse dont on prévoit qu’elle atteindra les 10 millions d’habitants. Il est donc indispensable de rechercher de nouvelles solutions. Grâce à l’excellence de son système de transport, la Suisse dispose d’un atout économique important. Cependant, ou plutôt pour cette raison, nous devons progressivement nous faire à l’idée qu’il y a des limites à l’accroissement de la mobilité.

Graphique 1: «Surface occupée par les infrastructures de transport, 2004–2009»

Graphique 2: «Augmentation de l’efficacité des transports routiers, 1998–2011»

Encadré 1: L’exemple de la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP)

 

  1. Jeremias Gotthelf prête ces paroles à Sime Sämeli dans son roman Visite à la campagne. []
  2. Répartition modale du transport de personnes: OFS, Microrecensements de 2000, 2005 et 2010. []
  3. Voir les articles de Sarah Bochud, p. 14, et de Daniel Müller-Jentsch, p. 16 de ce numéro. []

Proposition de citation: Balmer, Ueli (2013). Vers une politique coordonnée des transports. La Vie économique, 01. décembre.

L’exemple de la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP)

La Suisse a remplacé en 2001 la redevance forfaitaire indépendante des prestations kilométriques, qu’elle percevait depuis 1985, par une redevance liée aux prestations. Celle-ci est calculée sur les bases suivantes:

  • nombre de kilomètres parcourus;
  • poids total autorisé des véhicules;
  • émissions de polluants selon les normes européennes.

Étant donné que les coûts externes, par exemple ceux occasionnés par le bruit ou la pollution atmosphérique, sont intégrés dans le calcul de la redevance, les taux perçus sont relativement élevés en comparaison internationale. De plus, et c’est une différence avec les redevances poids lourds perçues à l’étranger, la RPLP est obligatoire sur toutes les routes, donc également sur les routes cantonales et communales. Cette disposition est dissuasive et empêche le report du trafic poids lourds sur le réseau routier secondaire. Introduite en même temps que le relèvement de la limite de poids pour les véhicules lourds, la RPLP a notablement amélioré l’efficience des transports routiers et démontre l’efficacité des mesures tarifaires.