Les années de crise ont clairement montré que l’évolution de l’économie réelle est fortement liée à celle des marchés financiers. Les remous que ces derniers ont traversé en 2008 ont entraîné l’économie étasunienne dans sa plus grave récession depuis les années trente. En l’espace de deux ans, le taux de chômage a explosé, passant de 4,7 à 10%[1], tandis que le produit intérieur brut (PIB) se réduisait de plus de 4%[2]. Craignant les répercussions de la crise financière sur l’économie réelle, le gouvernement des États-Unis ne s’est pas contenté de consacrer 700 milliards d’USD à un vaste programme destiné à sauver le système bancaire («Troubled Asset Relief Program»). En février 2009, il a débloqué 800 milliards supplémentaires pour financer un important plan de relance pluriannuel («American Recovery and Re-investment Act»). Par ailleurs, le budget de l’État devait encore supporter le poids d’initiatives datant de l’ère de George Bush, comme des réductions fiscales massives, l’extension de l’assurance-maladie des retraités (ou Medicare), ainsi que le coût des guerres menées en Irak et en Afghanistan. Pour l’année fiscale 2009, les États-Unis ont ainsi enregistré un déficit record de 1,4 billion d’USD, ce qui correspondait à environ 10% de leur PIB[3].
Le conflit budgétaire au Congrès se termine sans trop de dégâts
Depuis 2010, année où les républicains ont obtenu la majorité à la Chambre des représentants, les divergences sur la politique budgétaire – les démocrates étant favorables à la relance et les républicains à l’austérité – se sont transformées en un conflit permanent entre les deux grands partis. Comme c’est le cas systématiquement depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Obama, les dépenses publiques ont été financées durant toute l’année fiscale 2013, non pas par un budget ordinaire, mais par des «continuing resolutions», lois temporaires d’affectation de crédits. L’automne dernier, le budget 2014 a été victime de la division du Congrès – Sénat à majorité démocrate et Chambre des représentants républicaine –, ce qui a provoqué une interruption des activités gouvernementales. Après ce blocage peu glorieux pour les républicains, les deux partis sont parvenus à un accord qui atténue l’impact des coupes budgétaires automatiques («sequester») imposées par la loi de 2011 sur le contrôle du budget («Budget Control Act»). Pour l’année fiscale en cours et la suivante, la politique budgétaire s’inscrit ainsi en principe dans un cadre approprié.
Même s’il reste vivement critiqué, le mécanisme de «séquestre» a nettement apaisé la situation budgétaire. Son effet s’est combiné avec d’autres coupes décidées dans le cadre du «Budget Control Act» et la non-prolongation des allégements fiscaux octroyés aux personnes disposant d’un revenu dépassant 400 000 USD par an. Selon les prévisions du service d’études budgétaires du Congrès (Congressional Budget Office, CBO), le déficit budgétaire correspondra cette année encore à un peu plus de 3% du PIB, mais il passera au-dessous de ce seuil d’ici la fin de la décennie. En même temps, le taux d’endettement devrait se stabiliser à 75% du PIB (pour la dette contractée sur les marchés publics)[4] ou à 100% (pour le total de la dette)[5].
Malgré cette tendance encourageante, il faut relever que les coupes ont été opérées jusqu’ici exclusivement dans le budget discrétionnaire, autrement dit dans le tiers des dépenses publiques dont le Congrès peut disposer librement. Hormis la défense, elles touchent en particulier l’infrastructure et l’éducation, deux secteurs clés pour l’avenir de l’économie. Cela ne résout pas le problème plus profond que pose la hausse, insoutenable à long terme, des dépenses obligatoires dans les domaines de la santé et de l’assurance-vieillesse.
Politique monétaire expansionniste: le début de la fin
La stabilisation prévue sur le graphique 1 implique une vigoureuse croissance réelle de l’économie. Le CBO pense que celle-ci sera en moyenne supérieure à 3,1% durant chacune des quatre années à venir. Jusqu’en 2018, l’inflation devrait rester, selon le FMI, très légèrement au-dessus de l’objectif de 2% fixé par la Réserve fédérale des États-Unis (Fed). Étant donné la détente attendue sur le marché du travail, la banque centrale a annoncé le retrait progressif («tapering») de sa politique d’assouplissement quantitatif («quantitative easing»). Aussi longtemps que l’inflation se situe au-dessous de 2% et le taux de chômage au-dessus de 6,5%, elle entend toutefois s’en tenir au niveau bas du taux directeur, le «federal funds rate», et donc conserver une politique monétaire expansionniste. Certes, de nombreuses entreprises profitent actuellement d’un marché extrêmement liquide. Néanmoins, les autorités compétentes doivent surveiller cette masse monétaire excessive, qui atteint 2,5 billions d’USD. Si la Fed – et sa nouvelle présidente Janet Yellen – ne parvient pas à résorber en temps voulu la surabondance de liquidités, devenue systémique, on doit s’attendre à voir le renchérissement atteindre à moyen terme un niveau indésirable.
Il existe en la matière un conflit d’objectifs, puisqu’une éventuelle hausse des taux d’intérêt pourrait aggraver le problème budgétaire en alourdissant le service de la dette. Dans ce contexte, le CBO laisse entrevoir que le paiement des intérêts sur les obligations d’État pourrait quadrupler d’ici 2024. Cela montre que la distinction classique entre politique monétaire et fiscale est toujours plus difficile à établir.
L’évolution démographique a des effets sur le marché du travail
Le taux de chômage, qui est monté en flèche dès 2007, est retombé dans le courant de 2013 de 7,9 à 6,7%, son niveau le plus bas en cinq ans. Selon la Fed, cette embellie devrait se poursuivre durant les prochaines années et se stabiliser autour de 5,5% à partir de 2016. Le taux a donc peu de chance de repasser à moyen terme sous la barre des 5%, où il évoluait avant la crise.
En décembre 2013, le nombre d’États-uniens inscrits au chômage a diminué d’environ 490 000 par rapport au mois précédent, mais cela ne veut pas dire que tous ont retrouvé un emploi. Plus des deux tiers – soit 347 000 personnes – ont renoncé à chercher du travail et n’apparaissent ainsi plus dans la statistique de la population active, émise par le Bureau of Labor Statistics (BLS). Les prévisions mentionnées plus haut sont donc à prendre avec précaution, car elles dépendent de la proportion de la population considérée comme active. Le BLS estime que la tendance au déclin du taux d’activité – soit la part des adultes actifs sur le marché du travail – se maintiendra. Ce taux, qui était encore de 66,6% en 2002, est tombé aujourd’hui à 62,8%. Selon le BLS, il descendra à 61,6% d’ici 2022. Cette érosion proviendra notamment d’une diminution de plus de 5% des actifs dans la tranche d’âge des 16–24 ans et du départ à la retraite de la génération du «baby-boom».
En chiffres absolus, on a créé en moyenne au moins 180 000 emplois par mois en 2013, comme en 2012. Pour les années à venir, c’est dans les domaines de la santé et de la construction que le BLS voit les plus forts potentiels de croissance. Il prévoit en revanche un recul dans l’agriculture et la fonction publique. L’essor démographique continu constitue un autre défi, puisque la popu- lation active a augmenté de 9 millions de personnes[6]; il a fallu créer chaque mois environ 75 000 nouveaux emplois pour maintenir un taux de chômage constant.
Nombre de problèmes apparaissent à long terme
Bien que plusieurs épreuves l’attendent encore, l’économie étasunienne peut envisager sereinement l’avenir immédiat. À moyen terme, l’endettement devrait se stabiliser – du moins par rapport au PIB –, le marché du travail évoluer positivement et le pays retrouver une croissance saine. La condition, toutefois, est que les liquidités dormant actuellement dans le système financier n’arrivent pas librement sur le marché de la consommation, que le Congrès vote les futurs relèvements du plafond de la dette et que l’économie étasunienne ne subisse pas un choc externe. À long terme, par contre, les États-Unis devront faire face à des problèmes considérables. Ceux-ci seront liés d’une part à la hausse incontrôlée des coûts dans les domaines de la santé et de la prévoyance vieillesse, d’autre part à un système fiscal complexe qui freine les investissements avec un taux d’imposition des bénéfices qui est le plus élevé au monde.
Proposition de citation: Renggli, Josef; Maeder, Nicolas (2014). Qu’en est-il de la situation conjoncturelle aux États-Unis? La Vie économique, 01. mars.