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Chances et risques de la politique d’austérité en Europe

En Europe, le niveau élevé des dettes publiques amoindrit le potentiel de croissance et d’emploi des économies nationales, et constitue un risque pour la stabilité. Il doit donc être réduit durablement. Les mesures de consolidation draconiennes adoptées laissent apparaître des premiers succès dans plusieurs pays de l’UE. Il faut, toutefois, redoubler d’efforts. Pour gêner le moins possible le rétablissement de la conjoncture, il faudrait laisser libre cours aux stabilisateurs automatiques. Il convient, en outre, de combiner l’assainissement des budgets avec des réformes structurelles favorables à la croissance et à l’emploi.

Chances et risques de la politique d’austérité en Europe

En Europe, les dettes publiques ont atteint des sommets au cours de la crise financière. Dans la zone euro, elles ont augmenté de près de 30% en moyenne entre 2007 – dernière année avant la crise – et 2013. Dans plusieurs pays, le taux d’endettement approche 100% du PIB (définition de Maastricht de la dette publique) et les dépasse même significativement pour quelques-uns. Quels sont les effets d’une forte dette nationale? Comment la politique budgétaire devrait-elle y réagir?

Le poids de la dette publique réduit le potentiel de croissance


Diverses études montrent qu’une dette nationale élevée affecte la croissance économique, les taux d’intérêt jouant un rôle important de courroie de transmission. À un certain niveau, les taux d’intérêt augmentent, et il existe des arguments sérieux qui démontrent que cette poussée est particulièrement marquée dans les pays où les exportations sont fortement déficitaires. Toutes choses égales par ailleurs, cette augmentation des taux d’intérêt réels a un effet négatif sur les investissements privés et sur le stock de capital productif de l’économie. Elle réduit ainsi le potentiel de croissance et la capacité des entreprises à créer des emplois. Si l’on veut relancer durablement les économies européennes, il convient de réduire fortement les dettes nationales.

Complexité de l’impact de la politique budgétaire sur les cycles économiques


D’autres facteurs jouent un rôle important dans la faiblesse actuelle de la croissance en Europe. La diminution des dépenses publiques ou l’augmentation des impôts freinent la demande macroéconomique, ce qui s’accompagne en général de pertes de croissance à court terme. Jusqu’où? Cela dépend de plusieurs facteurs. Ainsi, plus la politique monétaire a les coudées franches pour corriger le cap dans le cadre de sa mission de stabilisation des prix, plus l’effet négatif sur la demande sera faible. Un autre paramètre décisif est la mesure dans laquelle la politique de consolidation budgétaire affecte les attentes des agents économiques. Si des dispositions sont prises à temps et qu’elles promettent une amélioration durable des finances publiques, cela peut avoir un effet positif sur la demande privée. On évitera ainsi de futures surcharges du secteur privé par le biais d’augmentations d’impôts ou de réductions des dépenses.

Peut-on escompter pareils effets positifs sur la demande durant l’actuelle phase de consolidation? La politique monétaire expansive de la BCE pourrait effectivement avoir contribué, par différents canaux, à éviter un déclin encore plus profond de la croissance pendant la crise. Toutefois, comme les taux d’intérêt des banques centrales ont quasiment été ramenés à zéro, la marge de manœuvre de la politique monétaire s’est rétrécie, du moins sur le plan des instruments classiques. En outre, une longue phase de politique monétaire fortement expansive comporte ses propres risques. Enfin, le niveau élevé du chômage, qui, dans quelques pays, concerne plus d’un quart de la population active, ne permet pas de renforcer la consommation privée. Parallèlement, les adaptations du système de crédit nécessitées par la crise financière et l’endettement souvent élevé des ménages limitent les crédits disponibles, ce qui affaiblit à son tour la demande intérieure.Il y a donc de bons arguments pour dire qu’à l’heure actuelle, les dommages que la demande a subis en raison des contractions budgétaires sont particulièrement prononcés. Le tableau ne s’arrête pas là: pour évaluer complètement les effets conjoncturels de la politique de consolidation, il faut encore tenir compte des risques qui surviendraient s’il n’y avait pas de consolidation durable des finances publiques.

La crise en Europe, une suite d’enchaînements


En Europe, la crise économique a été marquée par les éléments suivants:

  • déséquilibres prononcés – et croissants dans les années précédant la crise – de la balance des paiements courants;
  • selon les pays, niveau élevé de la dette intérieure et extérieure publique ou privée;
  • nouvelle évaluation des risques de crédit, entraînant une chute abrupte de la disponibilité à financer de nouveaux déficits de la balance des paiements courants («sudden stops»);
  • dans plusieurs pays, les primes de risque s’aggravent pour les intérêts des dettes publiques et privées.


Dans ce processus, la croissance rapide des dettes publiques a contribué à faire basculer les bilans de plusieurs banques européennes dans le rouge. Ce basculement a 
endommagé le système de crédit et accru 
encore les dettes publiques par un mécanisme de spirale négative. Or, les pays les 
plus touchés par la crise ne disposaient que d’une faible marge de manœuvre budgétaire. Pour renverser les attentes et stabiliser, voire améliorer, l’activité économique, il leur fallait répondre par des efforts de consolida­-tion et des réformes économiques crédibles. Une dette publique excessive aurait continué à signifier un risque d’instabilité pour l’économie.

Plusieurs pays appliquent un programme de consolidation ambitieux


Ces quatre dernières années, la plupart des pays européens ont réagi à la précarité des budgets publics en adoptant d’ dispositifs de consolidation. D’après une estimation de l’OCDE, les déficits publics, corrigés des fluctuations conjoncturelles et du paiement des intérêts (bilans primaires sous-jacents), ont diminué de 4% par rapport au produit intérieur brut (PIB) entre 2009 et 2013 (moyenne de la zone euro). Dans les pays les plus touchés par la crise, la diminution est encore plus marquée: presque 16% en Grèce, près de 8% en Irlande, 6,5% au Portugal et 8,5% en Espagne. De telles estimations sont certes entachées d’incertitude, d’autant plus que l’on ne dispose pas encore de données complètes fiables pour 2013. Elles révèlent toutefois un effort de consolidation historique. Ces dernières décennies, en effet, l’OCDE n’a guère connu d’épisodes de consolidation d’une telle ampleur.

Depuis le début de la crise, la croissance économique de l’UE et de la zone euro n’a cessé d’être inférieure aux prévisions, y compris celles de l’OCDE. Plusieurs personnes voient dans la forte consolidation des budgets des dernières années la principale coupable de cet état de fait. Une étude présentée récemment par l’OCDE dessine, cependant, un tableau différent. Ses conclusions, qui portent sur les prévisions provenant de cette même organisation, relèvent en effet des facteurs qui peuvent affecter singulièrement la résilience d’une économie nationale face à des chocs négatifs. Ainsi, l’évolution économique est restée très inférieure aux attentes dans les pays où les marchés du travail et des biens étaient réglementés de façon particulièrement restrictive avant la crise. La fragilité du secteur bancaire joue également un rôle important.

Premiers succès


Combiné à d’autres mesures politiques prises au niveau national et européen, le caractère énergique des dispositions adoptées en matière de consolidation devrait avoir contribué à l’amélioration du climat économique que l’on observe depuis quelque temps dans l’UE. Ces mesures ont aidé à éliminer les déficits de la balance des paiements et réduit les primes de risque calculées dans les intérêts des dettes publiques et privées. Autre chose: pour la première fois depuis le début de la crise, la dette publique de plusieurs pays de la zone euro diminue par rapport au PIB. Des estimations de l’OCDE, fondées sur des hypothèses modélisées de l’évolution à moyen terme du PIB et des taux d’intérêt, montrent que l’élimination des déficits structurels réalisée ces dernières années dans les budgets publics constitue la majeure partie de la consolidation nécessaire pour réduire d’ici 2030 la dette publique des pays de la zone euro à 60% de leur PIB. Cet espoir ne devrait, cependant, pas masquer le fait que de nombreux pays doivent encore entreprendre des efforts de consolidation considérables et qu’il faudra dégager des excédents budgétaires pendant des années pour atteindre le but fixé.

Les actuels plans budgétaires des États prévoient une consolidation moindre que celle qui avait prévalu ces dernières années. D’après une estimation de l’OCDE de novembre 2013, le bilan primaire de la zone euro, corrigé de la conjoncture, s’améliorera en moyenne de 1% entre 2013 et 2015. Du même coup, les charges conjoncturelles résultant de la politique budgétaire devraient diminuer dans un proche avenir. Si la croissance économique devait rester inférieure aux attentes, il serait judicieux de laisser les stabilisateurs automatiques agir, autrement dit d’accepter la réduction des recettes et l’augmentation des dépenses publiques dictées par la conjoncture, ce afin de ne pas grever cette dernière par des restrictions budgétaires supplémentaires.

Nécessité de poursuivre l’assainissement des finances publiques


La plupart des pays européens ne peuvent, dès lors, renoncer à poursuivre l’assainissement de leurs budgets publics sur la base de programmes de consolidation crédibles. À elle seule, en effet, la croissance économique ne parviendra pas, dans la plupart des cas, à réduire suffisamment la dette nationale, d’autant plus qu’il est peu probable que la reprise conjoncturelle soit flamboyante en Europe. En outre, le vieillissement démographique croissant continuera à mettre sous pression les budgets publics dans les années à venir, tant du côté des recettes que des dépenses, si la politique budgétaire ne répond pas au défi de façon appropriée.

On cherche un concept favorable à la croissance et à l’emploi


Il est très important de concevoir la consolidation des budgets de façon à favoriser la croissance et l’emploi. Il faut également des réformes structurelles susceptibles de renforcer la capacité économique du pays. La question de l’équité sociale aura aussi sa pertinence, ne serait-ce que parce qu’il s’agit de s’assurer le soutien de l’opinion publique envers une politique budgétaire stricte de plusieurs années.

Considérons quelques exemples importants du côté des dépenses dans le budget de l’État. À court terme, relever l’âge effectif d’entrée à la retraite – une mesure conforme à l’augmentation de l’espérance de vie – n’obère pas la croissance économique, alors qu’à long terme, cela renforce le potentiel d’emploi et de production économique, avec un effet positif sur le budget, recettes fiscales comprises. Entre-temps, de nombreux pays européens ont adapté leurs systèmes de retraites, en particulier en réduisant le recours aux préretraites, mais plusieurs d’entre eux disposent encore d’une nette marge de manœuvre pour se réformer.

Il est relativement fréquent de réduire ou de plafonner les dépenses allouées aux infrastructures et au système de santé. Des enquêtes empiriques indiquent pourtant que, dans ces deux domaines, ainsi que dans celui de la formation, les dépenses peuvent renforcer le potentiel de croissance d’une économie. Couper les budgets sans gain d’efficacité, c’est donc courir le risque de payer un succès à court terme par une diminution du potentiel de croissance à long terme. De plus, il est possible que les effets néfastes ne se remarquent pas immédiatement. Des estimations concernant les pays de l’OCDE suggèrent en effet qu’en moyenne, l’impact sur la croissance d’une augmentation continue des dépenses dans les domaines cités ne se déploie complètement qu’après plus de dix ans. Parallèlement, les baisses de qualité dans les services publics – formation et santé, notamment – peuvent être particulièrement défavorables pour les personnes à faible revenu. Des enquêtes de l’OCDE démontrent d’ailleurs qu’il est possible de faire des économies notables tant dans le secteur de l’éducation que dans celui de la santé sans sacrifier la qualité. Ces deux domaines absorbent la majeure partie des dépenses publiques. Pour être efficaces, de telles réformes exigent, cependant, une planification et une mise en œuvre consciencieuse.


Bibliographie

  • Barbiero O. et Cournède B., New Econometric Estimates of Long-term Growth Effects of Different Areas of Public Spending, Département des affaires économiques, Working Paper n° 1100, éditions OCDE, 2013.
  • Joumard I., Hoeller P. André C. et Nicq C., Health Care Systems: Efficiency and Policy Settings, éditions OCDE, 2010.
  • OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, vol. 2013/2, éditions OCDE, 2013.
  • OCDE, OECD Forecasts During and After the Financial Crisis: A Post Mortem, Département des affaires économiques, Policy Note n° 23, février 2014.
  • Rawdanowicz Ł., Wurzel E. et Christensen A. K., The Equity Implications of Fiscal Consolidation, Département des affaires économiques, Working Paper n° 1013, éditions OCDE, 2013.
  • Sutherland D., Price R., Joumard I. et Nicq C., Performance Indicators for Public Spending Efficiency in Primary and Secondary Education, Département des affaires économiques, Working Paper n° 546, éditions OCDE, 2007.
  • Turner D. et Spinelli F., The Effect of Government Debt, External Debt and Their Interaction on OECD Interest Rates, Département des affaires économiques, Working Paper n° 1103, éditions OCDE, 2013.

Bibliographie

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  • OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, vol. 2013/2, éditions OCDE, 2013.
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  • Turner D. et Spinelli F., The Effect of Government Debt, External Debt and Their Interaction on OECD Interest Rates, Département des affaires économiques, Working Paper n° 1103, éditions OCDE, 2013.

Proposition de citation: Eckhard Wurzel (2014). Chances et risques de la politique d’austérité en Europe. La Vie économique, 01 mars.