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Systèmes de contingentement: la Suisse pourrait s’inspirer des expériences étrangères

L’acceptation, le 9 ­février dernier, de l’initiative contre ­l’immigra-tion de masse oblige à réformer la politique suisse en la matière. Les analyses de l’OCDE donnent un aperçu des ­expériences faites internationalement avec divers régimes ­d’admission des travailleurs étrangers. Le débat auquel ont donné lieu certains aspects de ces systèmes pourrait fournir des ­repères en vue de la réforme ­prochaine de la politique suisse à l’égard des étrangers.

Systèmes de contingentement: la Suisse pourrait s’inspirer des expériences étrangères

Au Canada (en illustration: immigrants à Toronto) comme dans d’autres pays anglo-saxons, on applique un système de points qui évalue les immigrants en fonction de différents critères.

La politique censée réguler l’immigration de travailleurs en Suisse se fonde aujourd’hui sur un double système d’admission:

  • l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), conclu entre la Suisse et l’UE, a quasiment levé tous les obstacles pour les entreprises qui veulent employer des ressortissants d’États de l’UE/AELE;
  • en revanche, l’immigration de travailleurs originaires de pays hors UE/AELE est limitée et pilotée par voie administrative.


À part les pays de l’UE/AELE, l’Australie et la Nouvelle-Zélande s’octroient mutuellement la libre circulation des personnes. D’autres pays – États-Unis, Canada ou Mexique – connaissent certes des formes d’accès privilégié pour certaines catégories d’étrangers1, mais l’immigration y reste très largement pilotée par voie administrative.

Les trois quarts de l’immigration en Suisse résultent de l’ALCP


Le graphique 1 montre en 2011 le taux d’immigration dans la population résidante de quelques pays de l’OCDE par rapport à la population totale et la part de cette immigration qui peut être attribuée à un accord sur la libre circulation. On voit que la Suisse accuse le plus fort taux d’immigration brute (1,6% de la population)[1]. Les trois quarts de cette immigration sont imputables à la libre circulation des personnes conclue avec les États de l’UE/AELE.

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Dans divers pays d’Europe, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark ou la Norvège, plus de la moitié de l’immigration brute de 2011 doit également être attribuée à la libre circulation des personnes; pour l’ensemble de l’UE, la proportion est de 42%. La libre circulation joue aussi un rôle entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais l’immigration en provenance d’États tiers, pilotée par voie administrative, y est nettement plus importante. Le Canada, les États-Unis et le Mexique, de même que le Japon et la Corée, ne connaissent pas la libre circulation des étrangers; toute l’immigration y est soumise à un système d’admission par voie administrative.Selon le nouvel article constitutionnel 121a, le législateur suisse est tenu a) de limiter l’immigration en Suisse par des contingents et des plafonds, b) d’accorder la préférence aux Suisses lors de l’octroi de permis de séjour et c) d’axer ces mesures sur les intérêts économiques globaux du pays. Pour la politique suisse à l’égard des étrangers, cela signifie un nouveau changement de paradigme, douze ans après l’entrée en vigueur de l’ALCP avec l’UE. Les trois quarts de l’immigration en Suisse étaient jusqu’ici largement gérés par le marché en vertu de cet accord. Ils devront, désormais, l’être plus fortement par voie administrative. Or, au cours des ans, l’OCDE a accumulé un trésor d’expériences concernant le recours aux contingents, lequel est idéalement complété par les travaux scientifiques sur le sujet. Les systèmes de contingentement décrits par l’OCDE ont déjà passé le test de la pratique politique et ont été discutés par les responsables des mouvements migratoires des autres pays. Ces expériences pourraient donc servir aux travaux suisses à venir

Un marché du travail piloté par la ­demande ou par l’offre?


Outre le marché et les décisions administratives, l’immigration peut s’organiser autour de la demande ou de l’offre. Dans les systèmes pilotés par la demande, les entreprises cherchent des candidats indigènes ou étrangers compétents et se procurent ensuite un permis de travail ou de séjour. En cas de pilotage par l’offre, l’État limite les candidatures et décide qui a le droit de travailler. Il existe un système de sélection des travailleurs étrangers éligibles, qui a les faveurs de plusieurs États: celui des points. Il permet de trier les candidats «désirables» sur le plan économique en attribuant des points selon différents critères. Le requérant doit en acquérir un nombre minimum pour être éligible. De tels critères sont par exemple l’âge, la scolarité suivie ou les connaissances linguistiques. Les systèmes de points sont notamment pratiqués en Australie, au Canada et au Royaume-Uni. Le tableau 1 présente ceux du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.

201404_05F_Tabelle01.eps[1]

Il est également possible de combiner l’offre et la demande. Ce sera, par exemple, le cas si l’existence d’une offre de travail est jugée positive dans un système de points

Critères de qualification et ­pénurie de spécialistes


L’un des critères toujours appliqués dans les pays où l’immigration est pilotée par l’offre est la qualification des migrants. Ceux qui sont considérés comme hautement qualifiés partent, en général, avantagés dans un système à points; ils ont donc plus de chances d’être autorisés à immigrer effectivement. Les critères de qualification choisis peuvent être le niveau de formation, la position hiérarchique ou le salaire, ce dernier étant censé représenter la productivité.

Plusieurs pays ne recherchent pas seulement des travailleurs hautement qualifiés, mais aussi des spécialistes ordinaires. Ils établissent, dès lors, des listes de professions recherchées. Celles-ci tiennent compte de divers indicateurs, comme le nombre de postes vacants ou le taux de chômage dans le métier considéré. Les professions figurant sur les listes appelées «Shortage List» (Australie: «Skilled Occupation List») bénéficient alors d’un traitement privilégié. Il peut s’agit de points supplémentaires (dans un système de points) ou d’une immigration facilitée d’une manière ou d’une autre.

Différentes approches de la préférence nationale


La préférence nationale a pour but de garantir aux candidats indigènes s’ils présentent le profil requis. Il s’agit par là d’éviter les effets d’éviction dus à la migration. En Suisse, le principe de la préférence nationale est déjà appliqué aux immigrants originaires d’États tiers, sur la base d’un examen individuel: les étrangers en provenance de ces pays n’obtiennent de permis de travail que s’il est prouvé qu’il n’a pas été possible de trouver un Suisse ou un ressortissant de l’UE/AELE pour le poste à pourvoir. Les entreprises peuvent être tenues, par exemple, de produire des preuves de leur système de recrutement.

En Espagne, le système de protection des travailleurs indigènes se présente comme suit: les employeurs ne peuvent engager de collaborateurs étrangers qu’après avoir procédé à un «test du marché» pour le travail visé. Cela consiste à mettre le poste au concours au moins quinze jours, pendant lesquels le service officiel de placement essaiera de trouver un chercheur d’emploi inscrit chez lui. En cas d’immigration massive ou de pénurie chronique de spécialistes dans telle ou telle branche, il est parfois possible de renoncer aux examens individuels. Les métiers présentant une pénurie sont inscrits sur une des listes déjà mentionnées plus haut et ne nécessitent plus d’examen individuel.

En Grande-Bretagne, c’est un comité des migrations, composé d’experts, de partenaires sociaux et d’autres parties prenantes qui établit la liste des professions frappées de pénurie. Pour ce faire, il recourt à douze indicateurs, parmi lesquels le taux de postes vacants et les fluctuations des salaires, de l’emploi et du chômage. La liste est réexaminée deux fois par an, les indicateurs se référant souvent à l’exercice précédent. La première liste, publiée en septembre 2008, énumérait 19 professions; à l’heure actuelle, ce nombre est approximativement de 34. La liste est appliquée aux immigrants originaires d’États hors UE/AELE.

La Nouvelle-Zélande recourt également à une série d’indicateurs pour déterminer les professions frappées de pénurie. Les associations industrielles et les autorités utilisent à cet effet les données liées aux chômeurs assistés, la croissance passée et escomptée de l’emploi, et la demande prévue de travailleurs. Les données fournies par les offres d’emploi en ligne sont également évaluées pour constituer la liste.

Intégrer les différences régionales


Les pays d’accueil peuvent tenir compte de la répartition régionale des immigrants, mais dans une mesure variable. En Australie, par exemple, l’admission d’immigrants qui s’installent hors des régions métropolitaines est quelque peu facilitée. Au Canada, le besoin de spécialistes étrangers est évalué par province, compte tenu des différences régionales. D’autres pays – la Grande-Bretagne, par exemple – ne connaissent pas de différenciation régionale.

En Suisse, les cantons, ou plutôt leurs instances responsables de l’emploi et des migrations, jouent un rôle important en matière de permis de séjour (pour les candidats originaires d’États tiers). Une partie des contingents fixés au niveau fédéral a toujours été transférée aux cantons. Ces derniers réglaient alors la procédure d’admission. Il leur était également possible de procéder à des échanges de contingents entre eux. Une partie des contingents était attribuée par l’Office fédéral des migrations (ODM).

Systèmes de prix


Dans la plupart des pays, les permis de séjour sont octroyés moyennant émoluments. Aux États-Unis ou aux Pays-Bas, le délai de traitement peut être raccourci moyennant une taxe supplémentaire. Si, dans la plupart des pays, ces émoluments sont conçus pour couvrir les charges administratives, le prix d’un permis de séjour peut y être délibérément supérieur, comme aux États-Unis. À part les entreprises et les migrants, le pays d’accueil profite lui aussi directement des bénéfices économiques de l’immigration. Ainsi, aux États-Unis, une taxe sur les visas alimente notamment un fonds d’encouragement de la formation continue des travailleurs indigènes.

Praticabilité d’un système d’enchères


L’idée d’accorder des permis de séjour moyennant un système d’enchères dont le produit reviendrait à l’État va dans le même sens. Mettre à l’encan les permis de séjour rapporterait effectivement davantage que le système ordinaire des émoluments. Cependant, les gains d’efficacité censés en résulter pourraient aussi être légèrement surestimés, car ce modèle pose de nombreux problèmes – presque insurmontables – de mise en œuvre. Le risque d’un excès de complexité paraît élevé. Ce pourrait être là l’une des raisons pour lesquelles aucun pays ne l’a encore adopté (voir encadré 1).

Il faut d’abord remarquer que ce système ne répond pas à la question concernant le volume optimal d’un contingent, par exemple en fonction de la conjoncture. Les restrictions imposées par la politique doivent être fixées de l’extérieur, soit en contingentant les quantités disponibles, soit en fixant un prix plancher. Des attributions suboptimales entraîneraient par exemple de fortes fluctuations des prix.

Pour un employeur, la valeur réelle d’un permis de travail dépend de trois paramètres:

  • rareté des travailleurs recherchés;durée du contrat de travail;
  • productivité escomptée du travailleur.
  • La volonté de payer des employeurs varie fortement selon la durée du contrat de travail.


Plus celle-ci est longue, plus l’employeur est disposé à payer. Les permis devraient donc être tarifés différemment selon la durée du séjour pour permettre de couvrir aussi les besoins à court terme et limités dans le temps. On peut aussi concevoir des modèles où ils pourraient être revendus.

Dans un système d’enchères, les activités à valeur ajoutée élevée jouissent de la priorité suprême, ce qui est en principe souhaitable pour l’économie nationale. En cas de forte restriction de l’immigration, cependant, la répartition par région et par branche des contingents peut générer de grandes inégalités. Les branches faiblement productives, qui dépendent fortement de la main-d’œuvre étrangère dans plusieurs États industrialisés, pourraient se retrouver les mains vides. Dès que des critères supplémentaires – comme les aspects régionaux ou les besoins de branches particulières – interviennent dans le processus politique, il faut introduire dans les systèmes d’enchères des taux complémentaires par région, activité ou branche, ce qui réduit leur efficacité.

Les partisans d’un système d’enchères en attendent une réduction des charges administratives lors de l’engagement de travailleurs étrangers. Les tests du marché du travail et les «Shortage Lists» deviendraient superflus. La condition primordiale à un allégement administratif est pourtant qu’il ne faille pas examiner d’autre critère que la valeur ajoutée. En cas d’application de la préférence nationale, le prix plancher d’un permis de séjour devrait être suffisamment élevé pour garantir effectivement le traitement privilégié des travailleurs indigènes.

Une autre question à prendre en compte est la transmissibilité des permis. Les employeurs en ayant acquis un aux enchères s’attendent à ce que leur employé ne change pas immédiatement de travail, ce qui pourrait exposer ce dernier au risque d’exploitation abusive. Comme solution, on pourrait envisager un droit de revente du permis ou la possibilité pour le travailleur de s’affranchir d’un contrat moyennant finance.

En théorie, les systèmes d’enchères pourraient être relativement simples à concevoir et produire des gains d’efficacité. S’il faut toutefois prendre en compte d’autres critères que la seule valeur ajoutée, la complexité du système peut augmenter rapidement. Ils ne constitueraient, en outre, pas une réponse au volume optimal des contingents.

  1. La Suisse – et la Norvège – ont connu une immigration nette de 1,0% de la population, ce qui constitue un ­record au sein de l’OCDE, juste devant l’Australie (0,9% de la population). Seul le Luxembourg a connu un taux d’immigration net encore supérieur (2,2%). []

Bibliographie

  • Diverses éditions des Perspectives des migrations internationales, éditions OCDE.
  • Dumont Jean-Christophe et Liebig Thomas, Recruiting Immigrant Workers: New Zealand, 2013, éditions OCDE.

Bibliographie

  • Diverses éditions des Perspectives des migrations internationales, éditions OCDE.
  • Dumont Jean-Christophe et Liebig Thomas, Recruiting Immigrant Workers: New Zealand, 2013, éditions OCDE.

Proposition de citation: Damian Misteli (2014). Systèmes de contingentement: la Suisse pourrait s’inspirer des expériences étrangères. La Vie économique, 01 avril.

Les systèmes d’enchères, une «terra incognita»

À l’heure qu’il est, aucun pays ne pratique un système d’enchères à grande échelle. Certains ont, cependant, entamé des discussions sur la question.

Les partisans de ce système en attendent plus de rationalité économique lors de l’attribution de visas de travail et une répartition des immigrants plus conforme au marché. L’un de ses principaux est de permettre au pays d’accueil de retirer d’éventuels gains additionnels de l’immigration et d’atténuer ainsi les réticences de la population indigène par le biais de la charge fiscale.