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Comment le KOF intègre les flux de données dans ses prévisions

Les gigantesques sauts technologiques de ces dernières années n’ont pas seulement fait exploser les volumes de données. Ils ont aussi créé de nombreuses possibilités nouvelles, dont le centre de recherches conjoncturelles de l’EPF Zurich s’emploie à tirer profit à des fins prévisionnelles. En combinant ces données à des approches techniques, comme la prévision en temps réel ou immédiate («nowcasting»), on obtient de puissants instruments qui permettent de cerner avec précision l’évolution conjoncturelle.

Les informations boursières, les statistiques sur les importations et les exportations, les informations des médias ainsi que les indicateurs économiques d’autres pays produisent aujourd’hui une incroyable masse de données. La prouesse consiste à les combiner judicieusement avec ses données propres – tirées, par exemple, des enquêtes conjoncturelles du KOF – pour fournir une estimation précise de la situation économique en Suisse.

À côté de leurs activités prévisionnelles «traditionnelles», les chercheurs du KOF produisent davantage de «nowcasting», autrement dit des prévisions s’appliquant au présent, au futur proche et même au passé. Ce néologisme anglais construit sur «now» et «forecast» est emprunté au vocabulaire météorologique, où il désigne les prévisions à très court terme situées généralement entre 0 et 12 heures. Grâce aux données massives («big data»), celles-ci peuvent s’appuyer sur une base bien plus large. La demande pour ce type de prévisions a surtout augmenté avec la crise financière, qui avait pris de court beaucoup d’économistes.

Saisie retardée de l’actualité immédiate


Cet intérêt accru des économistes pour les «nowcasts» n’est pas lié au caractère par définition mystérieux du futur. Il doit beaucoup au fait que le présent et même le passé, eux non plus, ne sont pas toujours faciles à saisir statistiquement, malgré la masse de données disponibles. Souvent, en effet, des informations importantes concernant une période précise ne sont disponibles que tardivement. Par exemple, une première évaluation officielle de la croissance trimestrielle du produit intérieur brut (PIB) – une tâche dévolue au Secrétariat d’État à l’économie (Seco) – n’est publiée d’ordinaire que huit semaines après le trimestre concerné. Quant à celles et ceux qui ont besoin des chiffres définitifs de l’Office fédéral de la statistique (OFS) concernant la croissance du PIB, ils doivent attendre encore davantage. Ajoutons à cela que dans un délai de trois ans après sa publication (et même au-delà), le PIB suisse peut encore être révisé.

La conjoncture suisse en temps réel


Siliverstovs et Kholodilin (2012) ont développé, en se fondant sur le modèle factoriel dynamique de Giannone, Reichlin et Small (2008), un modèle de prévision immédiate pour l’économie suisse. Celui-ci intègre quelque 600 variables économiques, dont les données issues des enquêtes du KOF. Il s’agit en l’occurrence d’établir des prévisions à très court terme concernant la croissance du PIB suisse pour le trimestre en cours. Étant donné le retard habituel de publication des données officielles par le Seco, ce modèle permet de prévoir instantanément le PIB, devançant de quelque trois à six mois sa publication officielle. Son avantage réside dans l’actualisation permanente des données en fonction de variables économiques pertinentes pour le trimestre en cours. Cette méthode est utilisée depuis 2010 par le KOF sur une base trimestrielle en complément au macromodèle en vigueur.

Siliverstovs_Grafik1_FRLe graphique 1 montre les dernières sé-quences de prévision immédiate pour 2013 et pour le premier trimestre 2014. Chaque point montre une prévision de croissance du PIB un jour donné sur la base des données disponibles à ce moment-là. Le taux de croissance de 0,27 % au premier trimestre 2013, par exemple, se fonde sur les informations dont on disposait le 4 décembre 2012. La prévision de 0,02 % qui suit s’appuie quant à elle sur des informations disponibles le 11 décembre. Le modèle intègre ainsi sans arrêt de nouveaux éléments positifs ou négatifs découlant des données à disposition. La toute dernière prévision concernant le premier trimestre 2013 a été publiée le 1er mars 2013. La valeur de 0,56 % indiquée coïncide presque exactement avec le chiffre officiel publié le 30 mai 2013 par le Seco (0,55 %). Au deuxième trimestre 2013, la dernière prévision «nowcast», datée du 3 juin, indique une croissance de 0,50 %, soit très proche de la valeur officielle (0,52 %) publiée le 3 septembre 2013. Au troisième trimestre 2013, le «nowcast» donnait une croissance de 0,44 % le 3 septembre, pour une valeur officielle de 0,52 % le 28 novembre.

Le quatrième trimestre 2013 montre un écart relativement important entre la prévision immédiate (0,55 % le 28 novembre 2013) et l’estimation officielle (0,16 % le 27 février 2014). Un tel écart s’explique par le fait que des données ou des informations sont apparues après le 28 novembre et n’ont donc pas été prises en compte dans le modèle. Avec 0,69 % au 3 mars 2014, la prévision immédiate de croissance pour le premier trimestre 2014 est très élevée. Ce chiffre a en particulier été dopé par une amélioration significative de la situation des entreprises industrielles interrogées par le KOF en février. Il faudra attendre le 27 mai 2014, date de la prochaine estimation du Seco, pour savoir si les données officielles confirment cette poussée de l’économie suisse1.

La recherche plein texte donne de bons résultats


Une autre approche «nowcast» du KOF associe le flux de données de médias avec des prévisions à court terme. Elle consiste à effectuer la recherche plein texte d’un mot-clé spécifique («récession»). Une telle approche était encore impensable il y a quelques années, mais le progrès technologique de ces dernières années a considérablement facilité cette opération. Une enquête effectuée pour la Suisse2 montre qu’un modèle enrichi d’une simple recherche terminologique dans la presse donne des prévisions immédiates pertinentes de la variation du PIB par rapport à l’année précédente. Comparée à d’autres méthodes, cette approche a donné d’excellents résultats, en particulier durant la phase la plus aigüe de la crise financière de 2008–2009.

Le nouveau baromètre conjoncturel du KOF est capable «d’apprendre»


Le KOF a par ailleurs récemment mis en œuvre de nouvelles ressources afin de réviser son baromètre conjoncturel en profondeur. Celui-ci se fonde désormais sur un bien plus grand nombre d’indicateurs. Actuellement, le baromètre n’utilise que 219 variables sur un volume initial de 476, elles-mêmes susceptibles de provoquer 4356 transformations. Le nombre de variables nécessaires étant réexaminé chaque automne, il peut varier d’année en année. Le baromètre «apprend» ainsi des développements actuels. Comme le montrent Abberger et al. (2014), sa nouvelle version constitue un réel progrès. C’est un indicateur fiable permettant de suivre l’évolution conjoncturelle de la Suisse.

La masse de données actuellement dis-ponibles a ouvert des possibilités tant en matière de prévision classique qu’immédiate. Un surcroît d’informations ne constitue pas un avantage en soi, ce que laisse en partie soupçonner le débat sur les données massives. Pour les prévisionnistes, elles n’ont de valeur que si elles envoient des signaux clairs. La plus grande masse concevable de données ne fournirait donc pas a priori de meilleures prévisions qu’un certain nombre d’indicateurs soigneusement choisis.


Bibliographie

  •  Abberger, K., M. Graff, B. Siliverstovs und J.-E. Sturm (2014): The KOF Economic Barometer, Version 2014: A Composite Leading Indicator for the Swiss Business Cycle, KOF Working Paper Series Nr. 353, Januar.
  • Iselin, D und B. Siliverstovs (2013): The R-Word Index for Switzerland, in: Applied Economics Letters, Taylor und Francis Journals, Vol. 20(11), S. 1032–1035, Juli.
  • Kholodilin, K. A. und Siliverstovs, B. (2012): Assessing the Real-Time Informational Content of Macroeconomic Data Releases for Now-/Forecasting GDP: Evidence for Switzerland, in: Journal of Economics and Statistics, Justus-Liebig University Giessen, Department of Statistics and Economics, Vol. 232(4), S. 429–444, Juli.
  • Giannone, D, L. Reichlin und D. Small (2008): Nowcasting: The Real-Time Informational Content of Macroeconomic Data, in: Journal of Monetary Economics, Elsevier, Vol. 55(4), S. 665–676, Mai.
  • Siliverstovs, B. (2012): Keeping a Finger on the Pulse of the Economy: Nowcasting Swiss GDP in Real-Time Squared, KOF Working Papers Series Nr. 302, April.

Bibliographie

  •  Abberger, K., M. Graff, B. Siliverstovs und J.-E. Sturm (2014): The KOF Economic Barometer, Version 2014: A Composite Leading Indicator for the Swiss Business Cycle, KOF Working Paper Series Nr. 353, Januar.
  • Iselin, D und B. Siliverstovs (2013): The R-Word Index for Switzerland, in: Applied Economics Letters, Taylor und Francis Journals, Vol. 20(11), S. 1032–1035, Juli.
  • Kholodilin, K. A. und Siliverstovs, B. (2012): Assessing the Real-Time Informational Content of Macroeconomic Data Releases for Now-/Forecasting GDP: Evidence for Switzerland, in: Journal of Economics and Statistics, Justus-Liebig University Giessen, Department of Statistics and Economics, Vol. 232(4), S. 429–444, Juli.
  • Giannone, D, L. Reichlin und D. Small (2008): Nowcasting: The Real-Time Informational Content of Macroeconomic Data, in: Journal of Monetary Economics, Elsevier, Vol. 55(4), S. 665–676, Mai.
  • Siliverstovs, B. (2012): Keeping a Finger on the Pulse of the Economy: Nowcasting Swiss GDP in Real-Time Squared, KOF Working Papers Series Nr. 302, April.

Proposition de citation: Boriss Siliverstovs ; David Iselin ; (2014). Comment le KOF intègre les flux de données dans ses prévisions. La Vie économique, 10 mai.