Rechercher

La santé et le tourisme peuvent se compléter: l’exemple de Davos

L’Agenda 2025 montre que Davos possède des possibilités de développement, si elle réunit ses deux pôles traditionnels que sont la santé et le tourisme.

Le tourisme médical est promis à un brillant avenir, selon les analystes des marchés et des tendances. On s’attend à ce qu’il se transforme en une mégatendance – de même que tout le marché de la santé –, ouvrant d’énormes débouchés. Si ces prévisions se concrétisent, le potentiel sera colossal à long terme pour les régions dédiées au tourisme et à la santé ainsi que pour les prestataires dans ce domaine. Comment ceux-ci pourront-ils en tirer profit? Nous tenterons de répondre à cette question en nous basant sur la théorie des pôles de compétitivité et en prenant l’exemple de Davos.

Photo: Michael Straub


L’Agenda 2025 montre que Davos possède des possibilités de développement, si elle réunit ses deux pôles traditionnels que sont la santé et le tourisme.

Davos réunit tous les éléments requis par la théorie des pôles de compétitivité tant dans le secteur de la santé que dans celui du tourisme. Les deux témoignent d’une tradition longue et mouvementée.

Le pôle santé remonte à la moitié du XIXe siècle. C’est à cette époque que le docteur Spengler, médecin de campagne, commence à évoquer dans ses écrits les propriétés curatives du climat de Davos sur les maladies pulmonaires. À cela s’ajoute un phénomène relevant du hasard historique et connu dans l’économie régionale: deux patients allemands atteints de tuberculose, le docteur Friedrich Unger et Hugo Richter, ont recouvré la santé de manière surprenante. Ces guérisons ont eu un écho retentissant dans le public et dans les milieux spécialisés: elles ont conduit à la création de la station climatique d’altitude. En quelques dizaines d’années, Davos a été connue dans le monde entier. Elle comptait de nombreux sanatoriums, pensions et centres de recherche, avec toute l’infrastructure publique qui les accompagne Voir par exemple Hauri, J., «Davos As Commune and Health-Resort», dans Huggard W. R., Davos As Health Resort, 1907, Davos Printing Company Ltd. .

En parallèle, Davos s’est transformé en une station de sports d’hiver. La première patinoire artificielle a été ouverte en 1869. La première course internationale de luge du monde, la Symonds-Shield, qui reliait Davos Wolfgang à Klosters, s’est déroulée en 1883. La luge de Davos, en quelque sorte la luge originelle, reste aujourd’hui encore le modèle le plus utilisé à travers la planète. Le funiculaire de Parsenn, destiné aux sports d’hiver alpins, a été construit entre 1931 et 1932. Le premier téléski à archet du monde a été mis en service sur le Bolgen en 1934 Voir Die Anfänge auf Skiern bis hin zur Skidestination, sur le site www.davos.ch, «Séjour» > «Davos Klosters» > «Histoire» > «Davos The Pioneer» > «Anfänge des Skisports». .

Le pôle touristique est dans sa phase de maturité …


Aujourd’hui, Davos est un lieu de villégiature international d’une grande diversité. Sa structure est indéniablement celle d’un pôle de compétitivité réunissant de nombreux acteurs tant privés que publics du secteur du tourisme. Davos compte une soixantaine d’hôtels et de pensions, 23 camps et auberges de jeunesse et de nombreux appartements de vacances, soit au total plus de 32 000 lits. À cela s’ajoute une offre très large de services touristiques, tels que des remontées mécaniques, des terrains de golf et des prestataires sportifs. Elle se complète de nombreux musées et manifestations culturelles. Davos Destinations-Organisation, une société coopérative, est chargée notamment de la commercialisation des offres. L’interdépendance des acteurs est un critère indispensable à tout pôle de compétitivité. Une analyse des réseaux de cette interdépendance montre que les acteurs faisant partie d’un pôle touristique sont très étroitement liés. Chacun d’eux a en moyenne 4,5 liens avec des homologues de la branche, que ce soit de manière informelle ou sous la forme d’offres et de manifestations communes.

Si l’on examine l’évolution du pôle touristique qu’est Davos, on voit du premier coup d’œil que celui-ci se trouve dans la phase de maturité (voir graphique 1 et

encadré 2).
Dans l’économie d’une région, un pôle de compétitivité (ou «cluster») est une concentration géographique d’entreprises reliées entre elles, de sous-traitants spécialisés, de fournisseurs de services, de firmes œuvrant dans des branches voisines et d’institutions associées (comme les instituts de recherche), qui sont en concurrence et qui coopèrent. Les recherches les plus récentes montrent que, comme les produits, les pôles de compétitivité sont soumis à un cycle de vie. Celui-ci comprend les phases «Émergence», «Croissance», «Maturité» et «Déclin» (voir graphique 1). Dans la première phase, le nombre des entreprises faisant partie du pôle de compétitivité est d’abord faible, puis relativement hétérogène. Cette dernière caractéristique baisse lors de la croissance et le nombre d’entreprises augmente. La phase de maturité se caractérise par une nouvelle diminution de l’hétérogénéité, alors que le nombre des entreprises regroupées dans un pôle de compétitivité demeure constant. Dans la phase de déclin, l’hétérogénéité continue de baisser, de même que le nombre des entreprises. Il est important que la durée des phases ne soit pas prédéterminée, mais qu’elle dépende notamment de la faculté innovatrice des entreprises faisant partie du pôle de compétitivité. Par exemple, la phase de maturité peut se prolonger par l’adaptation permanente aux nouvelles conditions du marché et par des innovations. Si un pôle de compétitivité se trouve dans la phase de déclin, il peut renouer avec la croissance soit se renouvelant soit en se transformant. Dans le premier cas, il aborde un nouveau segment de marché possédant un potentiel élevé d’innovation. Dans le second, il réoriente ses compétences et ses capacités vers un marché entièrement nouveau. Les chiffres des nuitées sont là pour le démontrer (voir graphique 2). Les hôtels, les pensions, la parahôtellerie – soit les maisons pour groupes, les auberges de jeunesse et les appartements de vacances – ont affiché de fortes hausses jusque dans les années septante. À partir de là, ces chiffres sont restés largement inchangés.

Le pôle santé est dans sa phase de déclin


Le pôle santé montre une toute autre image. Le graphique 1 indique que le nombre des nuitées dans les cliniques de Davos était à la hausse jusqu’en 1950. En effet, la station de cure de montagne a connu son heure de gloire dans les années trente. Depuis, en raison de ruptures structurelles, comme la découverte de la streptomycine qui a permis de combattre la bactérie de la tuberculose, les chiffres sont en constant recul. De nos jours, ils ne représentent plus qu’une petite fraction du nombre des nuitées par rapport à l’apogée. De ce fait, selon la théorie des pôles de compétitivité, celui de la santé se trouve dans sa phase de déclin et de nombreux acteurs ont disparu au cours des dernières décennies. Le secteur médical reste tout de même très important à Davos. On y trouve encore des éléments caractéristiques d’un pôle de compétitivité sous la forme de nombreux acteurs de la branche tels que l’hôpital de Davos, la Clinique zurichoise en altitude, le Nederlands Astmacentrum, le Centre européen des allergies et de l’asthme, l’Institut suisse de recherche sur les allergies et l’asthme, le Christine Kühne Centre for Allergy Research and Education, ainsi que d’autres spécialistes en médecine générale et alternative, des ergothérapeutes et des physiothérapeutes. L’analyse montre que ces acteurs sont tout autant interconnectés que ceux faisant partie du pôle tourisme. Cependant, celui de la santé doit relever les défis caractéristiques d’un pôle de compétitivité sur le déclin.

Le renouveau vient du tourisme de la santé


Selon la théorie des pôles de compétitivité, une phase de déclin peut s’interrompre en procédant à un renouvellement et à une transformation. La croissance revient dès lors (voir

encadré 1).
Le contenu du présent article se réfère aux données du projet n° 13922.2 PFES-ES de la CTI: Entwicklung innovativer Produkte zur Stärkung des Gesundheits- und Aktivtourismus in Davos Klosters.

En théorie, le pôle santé a deux options: il peut soit répondre à une nouvelle tendance et s’adapter aux conditions du marché, soit réorienter les capacités et les compétences existantes vers un domaine entièrement nouveau. Le tourisme de la santé permet de se repositionner et de retrouver le chemin de la croissance. Pour y parvenir, il faut toutefois remplir une série de conditions:

  • analyser les compétences existantes sous l’angle du tourisme de la santé et mettre en évidence les domaines dans lesquels il subsiste un potentiel (établissement d’un profil et spécialisation Voir l’article de Heublein et Kronthaler à la p. 48 du présent numéro. );
  • tenir compte des clients existants et de leurs besoins (stratégie centrée sur le client);
  • examiner la collaboration en place entre les acteurs du secteur de la santé et ceux du tourisme, y compris en ce qui concerne les produits déjà présents (lancement et promotion de réseaux de prestataires);
  • faire une synthèse des stratégies et des produits innovateurs, en collaboration avec les acteurs en présence, afin de pouvoir s’ouvrir à la nouvelle tendance (gestion systématique de l’innovation).

Des compétences dans presque toutes les catégories d’offres


Pour ce qui concerne Davos, l’analyse de ses compétences montre que, dans le tourisme de la santé, la station peut proposer des offres dans les domaines non soumis à une indication médicale (soit sans diagnostic) comme dans ceux où un diagnostic préalable est nécessaire Le tableau 1 à la p. 50 du présent numéro donne un aperçu de ces deux catégories d’offres.. Ces compétences peuvent être définies plus précisément et élargies dans le cadre d’une stratégie portant sur le tourisme de la santé. Les catégories d’offres non soumises à une indication médicale que sont la prévention primaire et l’amélioration de la performance se combinent particulièrement bien avec l’offre touristique sportive de Davos. Une nouvelle conception de l’offre soumise à indication médicale est, toutefois, envisageable dans les cliniques d’altitude. Les allergies pourraient y faire l’objet de soins. Dans ce contexte, Davos possède déjà l’avantage qui découle de sa situation géographique grâce à son microclimat et à sa renommée dans les cures de montagne. La ville possède aussi le savoir-faire scientifique nécessaire grâce à ses institutions œuvrant dans la recherche sur les allergies et l’asthme.

Les besoins des clients demeurent


Une analyse des touristes venus à Davos durant l’été et l’hiver 2013-2014 montre que ceux-ci s’intéressent particulièrement, lors de la planification de leurs vacances, à la préservation de leur santé par le sport, l’alimentation, la réduction du stress et le bien-être, ainsi qu’à l’augmentation de leurs propres performances par l’entraînement et la méditation (voir graphique 3). La préservation de la santé est importante pour près de 70% d’entre eux. Les plus de 30% restants veulent augmenter leurs performances. De ce fait, si l’on veut développer l’offre touristique en matière de santé, on peut s’adresser aux hôtes actuels: les bases sont favorables.

Renforcer la collaboration entre les acteurs du tourisme et de la santé


Si l’on analyse les coopérations qui existent entre les acteurs du tourisme et ceux de la santé, on constate qu’elles sont éparses. L’analyse des réseaux montre qu’ils coopèrent et communiquent entre eux, mais que des lacunes existent.

D’un point de vue théorique, la collaboration entre les acteurs des pôles tourisme et santé est essentielle. Il faut tirer profit des synergies en les fusionnant. Dans l’idéal, il conviendrait que les acteurs du tourisme et de la santé se rencontrent et créent un nouveau produit touristique en lien avec la santé en gardant un œil sur les besoins du marché. Si un nombre suffisant d’acteurs se décident à collaborer, un nouveau pôle de compétitivité se créera avec tous les avantages économiques qui en découlent en termes de commercialisation, de structure des coûts, de capacité d’innovation, etc. Dans ce contexte, des acteurs externes pourront se joindre à ceux déjà existants.

Synthèse et implications politico-économiques


Les réflexions théoriques menées sur les pôles de compétitivité mettent en évidence la manière dont les régions dédiées au tourisme et à la santé peuvent tirer profit de l’évolution actuelle du tourisme de la santé. Davos possède de nombreux atouts qui lui permettent de construire sur les avantages découlant de sa situation géographique et de s’ouvrir à cette nouvelle tendance. L’analyse nous montre que l’on peut développer des stratégies ciblant notamment la performance et les allergies; c’est d’ailleurs ce qui se fait dans la région de Davos/Klosters. Le développement de produits commercialisables et la communication qui y est liée seront des critères de réussite essentiels. On sait qu’un des défis importants consistera à établir une coopération entre les acteurs du tourisme et ceux de la santé autour de deux problématiques:

  • ils parlent des langues différentes et il faudra éventuellement avoir recours à un médiateur qui se chargera de la traduction;
  • ils sont pris par leurs affaires quotidiennes, ce qui leur laisse peu de temps pour les innovations.


C’est là que la politique économique peut intervenir et lancer des initiatives par l’intermédiaire du développement régional et des services spécialisés, afin de mettre en place un réseau et une stratégie commune. Les acteurs sont donc priés de tirer profit de ces initiatives et de collaborer pour développer des produits innovateurs et concurrentiels.

Encadré 1: Indication
Le contenu du présent article se réfère aux données du projet n° 13922.2 PFES-ES de la CTI: Entwicklung innovativer Produkte zur Stärkung des Gesundheits- und Aktivtourismus in Davos Klosters.

Encadré 2 : La théorie des pôles de compétitivité et leur cycle de vie
Dans l’économie d’une région, un pôle de compétitivité (ou «cluster») est une concentration géographique d’entreprises reliées entre elles, de sous-traitants spécialisés, de fournisseurs de services, de firmes œuvrant dans des branches voisines et d’institutions associées (comme les instituts de recherche), qui sont en concurrence et qui coopèrent. Les recherches les plus récentes montrent que, comme les produits, les pôles de compétitivité sont soumis à un cycle de vie. Celui-ci comprend les phases «Émergence», «Croissance», «Maturité» et «Déclin» (voir graphique 1). Dans la première phase, le nombre des entreprises faisant partie du pôle de compétitivité est d’abord faible, puis relativement hétérogène. Cette dernière caractéristique baisse lors de la croissance et le nombre d’entreprises augmente. La phase de maturité se caractérise par une nouvelle diminution de l’hétérogénéité, alors que le nombre des entreprises regroupées dans un pôle de compétitivité demeure constant. Dans la phase de déclin, l’hétérogénéité continue de baisser, de même que le nombre des entreprises. Il est important que la durée des phases ne soit pas prédéterminée, mais qu’elle dépende notamment de la faculté innovatrice des entreprises faisant partie du pôle de compétitivité. Par exemple, la phase de maturité peut se prolonger par l’adaptation permanente aux nouvelles conditions du marché et par des innovations. Si un pôle de compétitivité se trouve dans la phase de déclin, il peut renouer avec la croissance soit se renouvelant soit en se transformant. Dans le premier cas, il aborde un nouveau segment de marché possédant un potentiel élevé d’innovation. Dans le second, il réoriente ses compétences et ses capacités vers un marché entièrement nouveau.

Graphique 1: «De l’émergence au déclin: le cycle de vie des pôles de compétitivité»

Graphique 2: «Nombre de nuitées passées à Davos de 1943–1944 à 2011–2012»

Graphique 3: «La préservation de la santé et l’augmentation de la performance sont les motivations des hôtes de Davos»

Proposition de citation: Franz Kronthaler ; Tanja Heublein ; Adrian Dinkelmann ; (2014). La santé et le tourisme peuvent se compléter: l’exemple de Davos. La Vie économique, 01 septembre.