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Le bitcoin: opportunités et risques d’une monnaie virtuelle

Les promoteurs des monnaies virtuelles estiment que le bitcoin, créé en 2009, constitue une innovation qui pourrait affranchir les consommateurs de leur dépendance envers le système financier. Des avis plus critiques lui reprochent d’être un support idéal pour les activités criminelles et de favoriser la spéculation. Dans un rapport publié le 25 juin dernier, le Conseil fédéral fait le point sur l’importance des monnaies virtuelles ainsi que sur les attentes et les risques qui leur sont liés. Le présent article explique ce qu’est le bitcoin et comment il se développe dans le monde et en Suisse.
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Depuis le début de l’année, Genève et Zurich sont équipées de changeurs automatiques permettant d’acquérir des bitcoins. Sur le plan économique, la monnaie virtuelle demeure un phénomène marginal.

Les monnaies dites virtuelles, en particulier le bitcoin créé en 2009, figurent parmi les innovations les plus récentes depuis la création du «Web» en 1989. Avec la crise financière de 2008 et la perte de confiance des consommateurs dans les institutions publiques et l’économie privée, le bitcoin a connu un essor unique et s’est imposé comme la monnaie virtuelle de référence. Le Conseil fédéral a publié le 25 juin dernier un Rapport sur les monnaies virtuelles en réponse aux postulats Schwaab (13.3687) et Weibel (13.4070)[1]. Celui-ci examine, sous la forme d’un état des lieux, certains aspects fondamentaux de l’utilisation des monnaies virtuelles. Il s’intéresse en particulier à leur importance économique, à leur traitement juridique et aux risques qu’elles comportent.

Des unités de compte créées et gérées de manière décentralisée sur Internet


Le bitcoin est une monnaie dite cryptographique (crypto-monnaie), dont le système de paiement repose sur un réseau numérique «pair à pair» (voir encadré 1). Toute personne possédant un ordinateur connecté à Internet peut y participer. Sa diffusion et sa capitalisation font du bitcoin la plus importante des monnaies virtuelles créées à ce jour. On distingue fondamentalement deux types d’intervenants: les utilisateurs et les mineurs («miners»). La majorité du réseau se compose d’utilisateurs, qui se servent du bitcoin comme d’un moyen de paiement. Les frais de transaction sont très faibles à l’heure actuelle, ce qui est particulièrement apprécié. Il en existe néanmoins si l’on veut convertir des bitcoins en une monnaie officielle, comme le franc suisse, le dollar des États-Unis ou l’euro.

Pour gérer leurs bitcoins, les utilisateurs disposent d’un ou plusieurs «porte-monnaies électroniques» («wallets»). Il existe actuellement quelque 12,7 millions de bitcoins. Leur nombre continue d’augmenter lentement, mais il ne dépassera pas 21 millions, afin de limiter l’offre de monnaie. Relevons toutefois relever que le bitcoin est divisible jusqu’à huit chiffres après la virgule, si bien qu’il pourrait au final générer quelque 2100 billions[2] d’unités indivisibles. Il convient de souligner également que, contrairement à la fonction de moyen de paiement, le travail des mineurs, ou minage («mining»), est très coûteux à l’heure actuelle, à la fois en temps, en matériel et en énergie[3]. Les bitcoins peuvent être acquis de trois manières: par une participation active au minage, par la fourniture d’une prestation contre paiement en bitcoins ou par leur achat sur une plateforme de négoce, où ils peuvent être échangés contre une monnaie officielle.

Importance mondiale croissante et volatilité des cours


En avril dernier, le volume total des transactions en bitcoins à l’échelle planétaire a été estimé comme équivalant à 52 millions d’USD par jour. Il faut, cependant, partir du principe qu’une part importante de ces transactions consiste en des opérations de change contre des monnaies officielles. À titre de comparaison, rappelons qu’en 2012, le volume total des transactions effectuées par les principaux prestataires de paiement, comme Visa et Mastercard, s’élevait à plus de 37 milliards d’USD par jour. Les transactions en bitcoins sont également insignifiantes par rapport à celles exécutées dans les principales monnaies officielles.

Récemment, le bitcoin a beaucoup attiré l’attention en raison de ses fortes fluctuations. Fin 2012, un bitcoin valait moins de 13 CHF. Un an plus tard, il a brièvement dépassé la valeur de 1000 CHF, pour ensuite redescendre en l’espace d’un mois à environ 460 CHF (voir graphique 1). Malgré cela, un nombre croissant de commerçants (surtout en ligne) et de prestataires de services (surtout dans le domaine informatique) l’acceptent comme moyen de paiement. Le bitcoin peut en effet procurer à ses utilisateurs une image de modernité et d’ouverture face à l’innovation. Ses possibilités d’utilisation restent, toutefois, limitées par rapport aux autres monnaies.

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Développement modeste du bitcoin en Suisse


À l’instar d’autres pays, la possibilité d’acquérir des biens et des services contre des bitcoins est de plus en plus connue en Suisse. Selon le site Internet http://coinmap.org, quelque 65 acteurs économiques déclarent l’accepter comme moyen de paiement dans ce pays (4266 dans le monde entier) et la tendance est à la hausse. Il s’agit notamment de fleuristes, de salons de coiffure, de restaurants, d’hôtels, de boulangeries, de commerces de chaussures ou de prestataires proposant des activités de loisirs. Au début de cette année, l’installation d’automates de change («Bitcoins Teller Machines», BTM) a commencé à Zurich et à Genève. Il ressort toutefois des sites Internet et des blogs spécialisés que le plus gros volume d’affaires est actuellement généré par le négoce de bitcoins et par les transactions privées effectuées dans cette monnaie.

Il n’est pas possible de donner une indication fiable du nombre d’utilisateurs. L’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) suit le réseau bitcoin à des fins scientifiques. Répondant à une demande de la Confédération, elle est parvenue à y recenser 3825 adresses IP suisses, actives à une date déterminée d’avril 2014. Selon l’EPFZ, la seule plateforme de négoce sur laquelle il est actuellement possible d’acheter ou de vendre des bitcoins contre des francs suisses est https://localbitcoins.com, dont le siège est à Helsinki, en Finlande. D’après une source citée par l’EPFZ[4], le négoce de bitcoins en Suisse atteint un volume courant mensuel d’environ 65 000 CHF. Étant donné toutefois que les utilisateurs peuvent aussi utiliser d’autres monnaies que le franc, ce volume doit être considéré comme un minimum. Actuellement, aucune plateforme de négoce de bitcoins n’est enregistrée en Suisse. Une autre source citée par l’EPFZ[5] indique que parmi les 7706 ordinateurs ayant validé des transactions sur l’ensemble du réseau bitcoin le même jour de référence d’avril dernier, 84 (soit environ 1,1%) se situaient dans notre pays. Cela place la Suisse au treizième rang mondial. La tête du classement est occupée par les États-Unis qui hébergeaient 43% des ordinateurs concernés.

Un phénomène de niche


Du point de vue économique, le bitcoin est actuellement un phénomène de niche. Les avantages allégués du bitcoin ne sont pour l’heure qu’insuffisamment démontrés. Il apparaît plutôt comme un objet de spéculation à haut risque. Les fortes fluctuations de sa valeur récemment observées ont conduit certains investisseurs à essuyer de lourdes pertes. Cela limite fortement son usage comme moyen d’échange. Le bitcoin traverse en outre une crise de confiance après les récentes fermetures de plateformes de négoce[6]. La complexité du mécanisme de création, son système décentralisé peu transparent et l’absence de pouvoir libératoire pénalisent en outre fortement le bitcoin en tant que moyen d’échange.

Sécurité juridique et risques


Sur le plan du droit privé, il est clair que les transactions en bitcoins ne se déroulent pas dans un vide juridique. En Suisse, l’utilisation de monnaies virtuelles pour acquérir des biens et des services, ou encore l’achat et la vente de tels moyens de paiement contre des monnaies officielles, requièrent une manifestation de volonté réciproque des parties. La condition préalable à la conclusion d’un contrat est ainsi remplie. En présence de transactions transfrontières, la grande difficulté consiste à déterminer quel est le droit applicable à chacune d’elles. En outre, l’achat et la vente de bitcoins à titre professionnel tombent sous le coup de la loi sur le blanchiment d’argent. Il en va de même lorsque des plateformes de négoce transfèrent des fonds ou des bitcoins provenant d’un de leurs usagers à d’autres utilisateurs. Inversement, celles qui réunissent uniquement des acheteurs et des vendeurs de bitcoins ou ne visent qu’à faire correspondre des offres d’achat et de vente ne sont pas soumises aux lois sur les marchés financiers. Quant à savoir si ces législations s’appliquent à un modèle d’affaires déterminé en rapport avec le bitcoin, la question est examinée par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) dans le cadre de son activité. Cette dernière a publié, simultanément au rapport du Conseil fédéral, une fiche d’information avertissant le public que l’usage des bitcoins comme moyen de paiement n’est pas contrôlé par l’État. «La personne qui souhaite faire du commerce de bitcoins doit elle-même vérifier si elle respecte les obligations d’autorisation requises par le droit des marchés financiers», a souligné la Finma[7].

Sous l’angle des risques potentiels, les monnaies virtuelles créent des risques pour la protection des consommateurs, voire pour la politique monétaire. En outre, les bitcoins peuvent être utilisés pour acquérir des produits illégaux ou servir à des fins de blanchiment d’argent. Ils peuvent aussi être volés. Sans une protection optimale de leurs «wallets» et de leurs supports de données, tels qu’ordinateur et smartphone, les utilisateurs risquent également d’être victimes d’un usage frauduleux. Peu de cas liés au bitcoin ont toutefois fait, à ce jour, l’objet de plaintes en Suisse. Cette monnaie virtuelle constitue donc un phénomène marginal sur le plan de la criminalité. Les possibilités de transfert de fonds offertes par les bitcoins (par exemple à l’aide d’automates de change de bitcoins) impliquent un degré élevé d’anonymat. Elles créent de nouveaux risques de blanchiment, qui ne peuvent être entièrement gérés par des devoirs de diligence accrus. Le rapport du Conseil fédéral relève que sur ce point, il convient de rechercher des solutions coordonnées au niveau international.

La publication par le Groupe d’action financière (Gafi) le 27 juin 2014 d’un rapport intitulé Virtual Currencies – Key Definitions and Potential AML/CFT Risks[8] et par l’Autorité bancaire européenne (ABE) le 4 juillet 2014 d’un avis intitulé EBA Opinion on «virtual currencies»[9] annonce une telle coordination.

  1. www.news.admin.ch > rubriques «25.06.2014 Le Conseil fédéral publie un rapport sur les monnaies virtuelles telles que le bitcoin». Le rapport est joint au communiqué. []
  2. 2,1.1015 = 2 100 000 000 000 000. []
  3. Le minage comprend l’exécution de tâches mathématiques complexes, liées aussi bien à la création qu’à la transmission des bitcoins. Ces tâches requièrent d’importantes capacités de calcul et beaucoup d’énergie. []
  4. http://bitcoincharts.com/markets/localbtcCHF.html. []
  5. https://getaddr.bitnodes.io. []
  6. Une étude menée à l’EPFZ a mis en évidence le risque de fraude inhérent à l’absence de confimation immédiate des transactions pour une plateforme: Christian Decker et Roger Wattenhofer, Bitcoin Transaction Malleability and Mt. Gox, arXiv:1403.6676, Cornell University Library, 26 mars 2014. []
  7. www.finma.ch > rubriques «A propos de la FINMA» > «Publications» > «Fiches d’information» > «Bitcoins». []
  8. www.fatf-gafi.org, rubriques «Thèmes» > «Méthodes et tendances» > «Monnaies virtuelles: définitions clés et risques potentiels en matière de LBC/FT». Le rapport en anglais figure sous forme de lien. []
  9. www.eba.europa.eu > rubriques «News and press», «EBA proposes potential regulatory regime for virtual currencies, but also advises that financial institutions should not buy, hold or sell them whilst no such regime is in place». Le rapport en anglais figure sous forme de lien. []

Proposition de citation: Sansonetti, Riccardo (2014). Le bitcoin: opportunités et risques d’une monnaie virtuelle. La Vie économique, 01. septembre.

Définitions

Monnaie virtuelle: représentation numérique d’une valeur négociable sur Internet et reprenant les fonctions de l’argent. Elle n’est, toutefois, acceptée comme moyen de paiement que par les membres d’une communauté virtuelle spécifique. Il ne s’agit donc nullement d’un moyen de paiement ayant cours légal. Chacune de ces monnaies a sa propre dénomination. Elle est émise et contrôlée par une institution non réglementée ou par un réseau d’ordinateurs. Elle se distingue par conséquent de la monnaie électronique, dans la mesure où elle n’est pas garantie par un moyen de paiement ayant cours légal. Bitcoin (BTC): crypto-monnaie (soit une monnaie virtuelle dont la création repose sur le principe de la cryptographie) dont le système de paiement utilise un réseau numérique «pair à pair». Celui-ci permet à ses participants de communiquer directement entre eux; les transactions sont donc organisées de façon décentralisée. Les bitcoins ne sont pas non plus émis par un organisme central et réglementé, mais créés de façon décentralisée dans les ordinateurs des mineurs participant au réseau. Monnaie électronique («e-money»): ce terme désigne la valeur monétaire stockée sous forme électronique d’une monnaie reconnue comme moyen de paiement ayant cours légal (par exemple le franc suisse, le dollar des États-Unis ou l’euro). En font partie, par exemple, les cartes prépayées aux nombreuses possibilités d’utilisation. La monnaie électronique suppose un versement préalable, autrement dit que la valeur monétaire stockée sous forme électronique ait été acquise contre de l’argent.