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Le deuxième rapport sur la péréquation financière: revue de détail d’un pilier du fédéralisme

La réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT) est entrée en vigueur en 2008. Cet instrument est précieux pour le fédéralisme helvétique. Son efficacité durant la période 2012–2015 a été évaluée de façon approfondie dans un rapport publié en mars dernier. Ce dernier comporte un certain nombre de recommandations comme la réduction de la dotation de la péréquation des ressources. Le message du Conseil fédéral subira l’épreuve du Parlement à partir de cet hiver.
La péréquation financière provoque d’importants mouvements de fonds entre les différentes parties, soit la Confédération et les cantons. C’est pour cette raison que son efficacité et son exécution doivent être examinées tous les quatre ans.

La réforme de la péréquation financière avait pour objectif d’améliorer l’efficience des activités étatiques. À ce titre, elle portait aussi bien sur la répartition des tâches assumées par la Confédération et les cantons (voir encadré 1) que sur la redistribution des moyens financiers (péréquation financière au sens strict, voir graphique 1).

La péréquation financière comprend trois fonds distincts:

  • La péréquation des ressources: elle vise à réduire les disparités cantonales en matière de capacité financière. Elle comprend la péréquation verticale des ressources, financée par la Confédération, et la péréquation horizontale des ressources, alimentée par les cantons à fort potentiel (voir encadré 2). Les paiements compensatoires sont distribués aux cantons à faible potentiel de ressources de manière à favoriser particulièrement les plus faibles.
  • La compensation des charges: elle est entièrement financée par la Confédération et sert à indemniser les cantons confrontés, pour des raisons structurelles, à des surcoûts lors de la fourniture de biens et de services publics. Elle comprend la compensation des charges géotopographiques (CCG) et sociodémographiques (CCS).
  • La compensation des cas de rigueur: elle vise à atténuer les effets du nouveau système et à éviter que le changement ne pénalise les cantons à faible potentiel de ressources. Elle est limitée à 2036.

Une efficacité évaluée tous les quatre ans


La péréquation financière entre la Confédération et les cantons est un système complexe qui redistribue des ressources financières considérables entre les parties en présence. C’est pourquoi la loi fédérale sur la péréquation financière et la compensation des charges (PFCC) prévoit que l’efficacité et l’exécution de la péréquation doivent être examinées tous les quatre ans. Un rapport doit être remis au Parlement, afin de fixer les dotations pour les quatre années suivantes et de procéder le cas échéant à des modifications de la PFCC.

Le premier rapport a été publié en 2010. Son impact a été très faible en raison de la brève durée de la période d’évaluation. Le deuxième, qui couvre la période 2012–2015, a été approuvé par le Conseil fédéral en mars dernier et a été soumis à consultation Le fait que le rapport, bien que publié en mars de cette année, s’étend jusqu’à fin 2015 peut surprendre. En réalité, compte tenu des délais prescrits – procédure de consultation de trois mois, rédaction du message du Conseil fédéral, débats parlementaires, délai référendaire, entrée en vigueur des arrêtés fédéraux le 1er janvier 2016 –, il doit être disponible au premier trimestre 2014. La période manquante est mentionnée dans le message du Conseil fédéral.. Celle-ci vient de se terminer. Il s’agissait notamment de savoir si la péréquation financière renforce l’autonomie financière et réduit les disparités en matière de capacité financière des cantons sans pour autant affecter leur compétitivité fiscale. Ce système doit garantir aux cantons une dotation minimale en ressources financières et compenser les charges excessives sur lesquelles ils n’ont aucune influence.

Le système fonctionne bien


Le rapport d’évaluation conclut que la péréquation financière fonctionne bien et qu’elle a largement atteint ses objectifs, comme le montrent les constatations suivantes.

Renforcement de l’autonomie financière des cantons


Le rapport constate un renforcement de l’autonomie financière des cantons. La quote-part des transferts financiers non affectés dans l’ensemble de ceux que la Confédération a effectués vis-à-vis des cantons a fortement augmenté depuis 2008. Elle avoisine aujourd’hui 40%, contre 30% en 2007.

Réduction des disparités


À court terme (soit directement après les reversements), le mécanisme de répartition de la péréquation des ressources réduit fortement les disparités cantonales en matière de capacité financière. En outre, les moyens redistribués permettent aux cantons à faible potentiel de ressources d’améliorer leur capacité financière à moyen et à long termes (donc avant la péréquation), en améliorant leur attrait et en augmentant leur substrat fiscal. Les disparités semblent, cependant, dépendre principalement des cantons à fort potentiel et de la dynamique conjoncturelle. Ainsi, en période d’essor économique (2006–07), les écarts augmentent, tandis qu’ils diminuent lors d’un ralentissement conjoncturel (2008–10).

Quant aux disparités en matière de charge fiscale, la péréquation a permis à divers cantons à faible potentiel de ressources de baisser leur taux d’imposition. On n’a, toutefois, constaté aucune tendance générale dans l’évolution des écarts en matière d’imposition.

Maintien de la compétitivité fiscale des cantons


La compétitivité fiscale de la Suisse et des cantons reste élevée, tant pour l’imposition des sociétés que du revenu. La concurrence fiscale intercantonale continue à bien fonctionner et s’est peut-être même intensifiée depuis l’introduction de la RPT. Ainsi, même si les effets incitatifs de la péréquation et d’autres facteurs défavorables tendent à freiner la concurrence fiscale, particulièrement pour les cantons faibles, ces derniers sont toutefois parvenus à améliorer leur position. Les moyens fournis par la péréquation, la distribution des bénéfices de la Banque nationale suisse et d’autres facteurs ont permis cette évolution.

Garantie aux cantons d’une dotation minimale en ressources financières


Après la péréquation, tous les cantons devraient disposer de suffisamment de moyens pour remplir leurs tâches essentielles. Entre 2012 et 2015, Uri, le canton au plus faible potentiel de ressources, a largement atteint l’objectif de dotation minimale par habitant, fixé à 85% de la moyenne suisse.

Compensation des charges géotopographiques et sociodémographiques


Les analyses actualisées du cabinet Ecoplan démontrent que les indicateurs utilisés dans la compensation des charges restent pertinents. Cependant, le degré de couverture des charges géotopographiques est toujours nettement plus élevé que celui des charges sociodémographiques. À l’introduction du nouveau système de péréquation en 2008, une pondération égale des deux instruments de compensation des charges a été choisie, malgré ces différences.

Garantie d’une compensation équitable des charges entre les cantons


Déjà très étroite avant la réforme, la collaboration intercantonale s’est en partie développée indépendamment de la RPT. Selon la grande majorité des cantons, cet instrument a fait ses preuves et s’est encore amélioré depuis 2008.

Répartition des tâches


D’après les expériences réalisées, le désenchevêtrement des tâches les plus importantes sur le plan financier – pour la Confédération: routes nationales et paiements des rentes AVS et AI; pour les cantons: formation spéciale et institutions pour personnes handicapées – semble en bonne partie réussi, malgré certaines appréhensions.

L’évaluation des conventions-programmes a montré que les expériences réalisées sont en général positives. Toutefois, quelques adaptations s’imposent, comme une réduction de la densité réglementaire.

Peu de modifications lors de la troisième période quadriennale


Les résultats de l’évaluation attestent donc le bon fonctionnement de la péréquation financière et montrent que le système en place n’exige pas de modification. En tenant compte des analyses menées, le Conseil fédéral propose de réduire la dotation de la péréquation des ressources et de maintenir celle de la compensation des charges.

Adaptation de la dotation de la péréquation des ressources


L’objectif de dotation minimale de 85% ayant été dépassé durant la période 2012-2015, une adaptation de la péréquation des ressources s’avère nécessaire. Le Conseil fédéral propose d’actualiser les contributions à la péréquation des ressources sur la base des valeurs de l’année 2015 et de les réduire à hauteur du montant moyen de dépassement observé durant la période 2012–2015. La réduction serait ainsi de 330 millions de francs. Elle constituerait un allégement de 196 millions de francs pour la Confédération et de 134 millions pour les cantons forts. Selon le Conseil fédéral, la démarche proposée est conforme au système et devrait être appliquée de manière similaire si, dans le cadre d’une prochaine évaluation, on constatait que l’objectif de 85% n’était pas atteint. Le cas échéant, il faudrait augmenter la dotation de la péréquation des ressources.

Poursuite inchangée de la compensation des charges


Concernant la compensation des charges, le Conseil fédéral préconise d’adapter sa dotation aux valeurs de l’année 2015, en fonction du renchérissement. En termes de dotation, le rapport entre CCG et CCS reste inchangé. En effet, à l’introduction de la RPT en 2008, il avait été expressément décidé d’alimenter pareillement les deux fonds de compensation, bien que les charges soient différentes. L’étude d’Ecoplan montre certes que les charges de nature géotopographique ont tendance à diminuer par rapport à celles de nature sociodémographique. Toutefois, selon le Conseil fédéral, les résultats du rapport ne sont pas suffisants pour augmenter la dotation des charges sociodémographiques. Le déséquilibre grandissant entre CCG et CCS concernant la couverture des coûts peut être attribué à la diminution des charges géotopographiques, dont les causes restent inconnues. On ne sait, par ailleurs, pas si ces effets sont simplement temporaires.

Reconduction de la compensation des cas de rigueur


Une suppression anticipée ou une réduction supérieure aux 5% par an prévus par la loi dès 2016 auraient de graves conséquences financières pour certains cantons. Le Conseil fédéral prévoit donc de reconduire la compensation des cas de rigueur dans sa forme actuelle.

Objections et critiques des cantons


Tous les participants à la consultation ont soutenu le système actuel de la péréquation financière. Tant la Conférence des gouvernements cantonaux (CdC) qu’un certain nombre de conseils d’État, partis politiques et organisations intéressées considèrent la RPT comme un des piliers du fédéralisme suisse. Sur certains points cependant, les avis divergent nettement entre les cantons à fort potentiel de ressources et ceux à faible potentiel.

Péréquation des ressources


Les cantons à faible potentiel de ressources s’opposent à la réduction de la dotation proposée par le Conseil fédéral et exigent au contraire son augmentation en raison des disparités croissantes. Les cantons à fort potentiel de ressources, quant à eux, trouvent que la réduction est un pas dans la bonne direction, mais ils la jugent insuffisante. Ils ont déjà présenté diverses mesures en vue d’améliorer le système avant la parution du rapport sur l’efficacité. Celles-ci ont été examinées en détail et rejetées par le Conseil fédéral. La consultation a ensuite révélé que la majorité des cantons n’y étaient pas non plus favorables.

Compensation des charges


Aucun participant à la consultation ne conteste la nécessité d’adapter la dotation de base de la compensation des charges en fonction du renchérissement pour les quatre années suivantes. Cependant, la majorité des cantons demandent, contrairement à l’avis du Conseil fédéral, une augmentation des ressources fédérales consacrées à la CCS. Ils font valoir que les charges excessives sociodémographiques sont moins bien indemnisées que celles de nature géotopographique.

Compensation des cas de rigueur


À partir de 2016, la compensation des cas de rigueur sera réduite de 12 millions par an. Comme le Conseil fédéral, les cantons à faible potentiel de ressources refusent d’aller plus loin et s’opposent à la suppression du fonds. De leur côté, la plupart des cantons à fort potentiel de ressources y seraient plutôt favorables. Une majorité considère que les ressources ainsi libérées devraient rester acquises à la péréquation financière. La CdC et les cantons forts demandent par conséquent que ces ressources soient transférées à la CCS.

Répartition des tâches entre Confédération et cantons


La majorité des milieux consultés s’accordent sur la nécessité d’examiner la possibilité d’aller plus loin dans le désenchevêtrement des tâches. Ils demandent que cet examen ait lieu dans le cadre d’un projet distinct, et que les transferts envisagés entre Confédération et cantons respectent la neutralité budgétaire.

S’agissant des conventions-programmes, la CdC et divers cantons demandent, pour les prochaines périodes quadriennales, que la Confédération se limite aux objectifs purement stratégiques, afin de donner aux cantons une plus grande autonomie d’exécution. Ils souhaitent également une diminution de la densité normative liée aux conventions-programmes et aux instructions correspondantes.

L’épreuve du Parlement


Le Conseil fédéral a pris connaissance des résultats de la consultation et confirmé qu’il souhaitait réduire la dotation de la péréquation des ressources. Il refuse en revanche toute autre modification du système. Le message concernant la dotation de la péréquation des ressources et de la compensation des charges devrait être examiné par le Conseil des États lors de la session d’hiver 2014 et par le Conseil national lors de la session de printemps 2015. Les deux arrêtés fédéraux relatifs aux dotations des instruments de péréquation financière seront sujets au référendum. L’objectif est de les mettre en vigueur au début de la troisième période quadriennale (2016–2019).


Bibliographie

  • Conseil fédéral, Message concernant la dotation de la péréquation des ressources et de la compensation des charges entre la Confédération et les cantons pour la période de contribution 2016 à 2019, 2014.
  • Conseil fédéral, Rapport sur l’évaluation de l’efficacité 2012–2015 de la péréquation financière entre la Confédération et les cantons, 2014.
  • Brülhart Marius et Schmidheiny Kurt, Steuerwettbewerb und Mobilität der Steuerzahler. Studie zum zweiten Wirksamkeitsbericht NFA, Lausanne/Bâle, mai 2013.
  • Ecoplan, Kostenrelevanz und Gewichtung von Indikatoren im Lastenausgleich – Analyse für die Jahre 2008–2011, Berne, octobre 2013.

Bibliographie

  • Conseil fédéral, Message concernant la dotation de la péréquation des ressources et de la compensation des charges entre la Confédération et les cantons pour la période de contribution 2016 à 2019, 2014.
  • Conseil fédéral, Rapport sur l’évaluation de l’efficacité 2012–2015 de la péréquation financière entre la Confédération et les cantons, 2014.
  • Brülhart Marius et Schmidheiny Kurt, Steuerwettbewerb und Mobilität der Steuerzahler. Studie zum zweiten Wirksamkeitsbericht NFA, Lausanne/Bâle, mai 2013.
  • Ecoplan, Kostenrelevanz und Gewichtung von Indikatoren im Lastenausgleich – Analyse für die Jahre 2008–2011, Berne, octobre 2013.

Proposition de citation: Svetlana Taboga ; Pascal Utz ; (2014). Le deuxième rapport sur la péréquation financière: revue de détail d’un pilier du fédéralisme. La Vie économique, 10 octobre.

La réorganisation des tâches

La RPT, qui est entrée en vigueur en 2008, a réorganisé les tâches communes à la Confédération et aux cantons: a Les économies d’échelle désignent le fait que le coût de production à l’unité d’un bien ou d’un service diminue lorsque sa production augmente. Au niveau cantonal, plus le volume d’une prestation publique est important, plus son coût unitaire baisse. Ainsi, les cantons peuvent réaliser des économies d’échelle dès lors qu’ils collaborent et créent des synergies entre eux. b Des externalités territoriales existent lorsque la population d’une collectivité territoriale profite des prestations publiques d’une autre collectivité territoriale, sans pour autant participer pleinement à leur financement ni au processus de décision. Cette situation entraîne une offre de prestations publiques globalement inefficace.

  • Sept tâches ont été entièrement attribuées à la Confédération (dont les routes nationales et les rentes AVS) et dix autres sont passées aux cantons (dont les foyers pour handicapés et les écoles spéciales).
  • Certaines tâches sont désormais pilotées par des conventions-programmes. Ces dernières s’orientent davantage vers les objectifs et l’efficacité. Elles concernent notamment la protection de l’environnement et la politique régionale. La Confédération assume la conduite stratégique, tandis que les cantons sont responsables au niveau opérationnel.
  • Pour d’autres tâches, un engagement de la Confédération n’est pas pertinent, mais une coopération entre plusieurs cantons se justifie. Ainsi, les bases légales de la collaboration intercantonale assortie d’une compensation des charges ont été renforcées depuis 2008. Elles visent à réaliser des économies d’échelle a et à indemniser les externalités territoriales b. De tels accords intercantonaux existent pour les universités ou pour la gestion des déchets, par exemple.


a Les économies d’échelle désignent le fait que le coût de production à l’unité d’un bien ou d’un service diminue  lorsque sa production augmente. Au niveau cantonal, plus le volume d’une prestation publique est important, plus son coût unitaire baisse. Ainsi, les cantons peuvent réaliser des économies d’échelle dès lors qu’ils collaborent et créent des synergies entre eux.

b Des externalités territoriales existent lorsque la population d’une collectivité territoriale profite des prestations publiques d’une autre collectivité territoriale, sans pour autant participer pleinement à leur financement ni au processus de décision. Cette situation entraîne une offre de prestations publiques globalement inefficace.

Cantons à fort et à faible potentiel de ressources

La péréquation des ressources se base sur la capacité financière des cantons, soit la valeur créée et fiscalement exploitable de chacun d’entre eux. Le potentiel des ressources prend en compte les revenus et la fortune imposables des personnes physiques, ainsi que les bénéfices des personnes morales. En comparant le potentiel de ressources par habitant d’un canton à la moyenne suisse correspondante, on obtient l’indice des ressources. Les cantons ayant un indice supérieur à 100 sont réputés à fort potentiel de ressources et sont considérés comme des contributeurs nets. Les cantons dont l’indice est inférieur à 100 sont réputés à faible potentiel de ressources. Ils bénéficient de versements provenant de la Confédération et des cantons à fort potentiel de ressources.