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Que font les autres pays pour protéger leur marque nationale?

Il n’y a pas qu’en Suisse que l’indication de provenance nationale pose des questions quant à son utilisation et à sa protection. Depuis une dizaine d’années, les milieux économiques et politiques de nombreux pays ainsi que les médias lui ont donné une importance grandissante en raison de la mondialisation. Or, les règles d’origine douanière et l’indication de provenance ne se recoupent pas toujours. Certains États sont plus exigeants pour la seconde que pour les premières, d’autres multiplient les labels, tandis que, parallèlement, les initiatives privées font leur apparition.
Le label «made in USA» est bien plus exigeant que les règles sur l’origine douanière. Le produit doit être en ­totalité ou presque fabriqué sur le territoire du pays.

L’histoire moderne et paradoxale du «made in» est bien connue. Le Royaume-Uni adopte en 1887 le Merchandise Marks Act, destiné à lutter contre les indications de provenance frauduleuses qui font passer, aux yeux des consommateurs britanniques, des marchandises importées pour des produits du Commonwealth. Il s’agit alors de contrer la concurrence grandissante de l’industrie allemande. Mais l’indication «made in Germany», apposée sur les produits conformément à cette loi, loin de stigmatiser les produits allemands sur le marché britannique, devient au contraire un signal de qualité pour les consommateurs. La question est traitée au niveau international en 1891, avec l’Arrangement de Madrid concernant la répression des indications de provenance fausses ou fallacieuses sur les produits. La Suisse figure parmi les premiers signataires de cet accord.

Une mondialisation source de confusion


Avec la mondialisation, la question des indications de provenance s’est complexifiée: de plus en plus de produits industriels, y compris les denrées alimentaires, associent des matières premières et des composants issus de différents pays. Les opérations nécessaires pour les assembler peuvent parallèlement avoir été effectuées à l’étranger. C’est le concept de «made in the world», promu par l’Organisation mondiale du commerce (OMC)[1] L’initiative «Fabriqué dans le monde» a été lancée par l’OMC pour encourager l’échange de projets, d’expériences et d’approches pratiques concernant la mesure et l’analyse du commerce sur la base de la valeur ajoutée. . Ses aspects, positifs ou négatifs, peuvent être discutés, mais une chose est sûre: les indications de provenance sont des signes distinctifs qui méritent d’être protégés. Il s’agit de répondre aux attentes des consommateurs et d’assurer une concurrence loyale entre les entreprises.

Dans ce contexte, le «made in» peut être source de confusion. En effet, certains pays ne font pas la distinction entre l’origine selon le droit douanier et les indications de provenance selon le droit des signes distinctifs. Ces deux mentions poursuivent toutefois des buts différents. Les règles douanières relatives à l’origine sont basées sur une réglementation très complexe. Variant selon les produits et les pays tiers, celle-ci peut utiliser trois critères différents:

  • le changement de position tarifaire: la marchandise finale est classée sous un code SH (système harmonisé international de classification des marchandises) différent des matières premières utilisées dans sa fabrication;
  • la valeur ajoutée: un certain pourcentage de la valeur ajoutée lors de la fabrication du produit fini doit avoir été réalisé dans le pays considéré;
  • l’ouvraison spécifique (une opération bien définie doit avoir été réalisée dans le pays considéré) ou la dernière ouvraison.

Quand l’origine douanière se confond avec l’indication de provenance


Ces règles d’origine ne visent qu’à permettre l’application des tarifs et contingents douaniers, et non à réglementer l’utilisation des indications de provenance. Néanmoins, dans certains pays, les deux sujets sont appréhendés ensemble, à travers l’obligation de mentionner le pays d’origine (au sens douanier). Cette approche soulève de nombreuses critiques, en raison tant de la complexité des règles douanières que des contraintes liées à son caractère obligatoire.

Ainsi, la proposition de règlement concernant la sécurité des produits de consommation, présentée par la Commission européenne en février 2013 et acceptée par le Parlement européen en avril 2014, est toujours en discussion au niveau du Conseil. Il existe en effet des divergences parmi les États membres concernant l’indication obligatoire du pays d’origine (au sens douanier) sur tous les produits manufacturés non alimentaires[2]. D’ailleurs, au niveau de l’UE, des projets antérieurs similaires n’avaient pas pu aboutir.

Autre exemple: la législation Cool (Country of origin labeling, étiquetage en matière de pays d’origine), adoptée par les États-Unis en 2008, est attaquée à l’OMC devant l’Organe de règlement des différends par ses plus importants partenaires économiques. Les plaignants se réfèrent notamment à l’Accord sur les obstacles techniques au commerce. Pour mémoire, la législation «Swissness» s’inspire de principes fondamentalement différents: l’indication de provenance est clairement distinguée de la mention du pays d’origine selon les règles d’origine douanières et son utilisation est facultative.

Des législations opaques favorisent le foisonnement des labels privés


Certains pays appliquent ces mêmes principes douaniers aux indications de provenance, qui sont facultatives. Ainsi, pour les denrées alimentaires[3], un «produit du Canada» doit être transformé au Canada et comporter au moins 98% de matières premières canadiennes, sans exception, alors qu’un «produit fabriqué au Canada» doit seulement correspondre à l’origine douanière. Dans ce deuxième cas, un énoncé descriptif, tel que «fabriqué au Canada à partir d’ingrédients importés» ou «fabriqué au Canada à partir d’ingrédients canadiens et importés», est obligatoire. Pour un «produit du Canada» non alimentaire, l’exigence des 98% de part canadienne s’applique aux coûts directs de production ou de fabrication[4].

Autre exemple: la législation australienne[5] distingue, pour tous les produits, l’indication du pays d’origine («made in Australia») et celle de la provenance («Australian product»). La première répond aux règles douanières. La seconde correspond à la provenance de chacun des ingrédients ou composants significatifs et au lieu où toutes ou quasiment toutes les opérations de production ou de fabrication sont effectuées. Ces subtilités sont-elles bien comprises par les consommateurs? On peut en douter, au vu du développement de trois initiatives privées concurrentes pour l’étiquetage des produits australiens: «Australian made and Australian grown» («fabriqué et cultivé en Australie»); OZ-Compliance («conformité Australie») qui indique la part australienne dans le contenu, la fabrication et l’emballage du produit, ainsi que dans la propriété de l’entreprise; «Ausbuy» («achetez australien») qui met aussi l’accent sur la propriété des entreprises. Si les exigences associées à ces marques sont variables, celles-ci ont cependant un point commun: le coût que les entreprises doivent assumer pour les contrôles, l’administration et la promotion. En espérant que les consommateurs s’y retrouvent et privilégient tel ou tel label… C’est justement cette confusion, source de charges supplémentaires pour les entreprises, que la révision «Swissness» veut éviter en définissant précisément les exigences applicables aux indications de provenance suisses.

En Europe, un débat actuel


Dans les pays voisins de la Suisse, la situation est contrastée. En Allemagne, une partie des industriels s’inquiètent des précisions ou des exigences supplémentaires qui pourraient être décidées au niveau européen à l’égard du «made in».

En France, un rapport parlementaire publié en 2010 sur le thème de la mondialisation et de la traçabilité n’a pu que constater la très faible marge de manœuvre dont dispose un État membre de l’UE dans ce domaine, en raison des principes du marché unique. Par conséquent, les milieux intéressés ont dû se contenter de lancer, avec l’approbation du gouvernement, une marque collective «Origine France garantie», avec des exigences égales ou légèrement supérieures aux règles d’origine douanières. Cette labellisation est gérée par une association privée, dont les membres doivent financer le fonctionnement et les nécessaires activités de promotion de la marque.

En Italie, la pression de l’industrie sur les décideurs politiques est encore plus forte. Ainsi, le Parlement a adopté plusieurs lois qui visent à durcir les sanctions en cas de mention fallacieuse du pays d’origine au sens douanier, à définir et à protéger la mention «100% made in Italy» ou à définir le «made in Italy» de manière plus précise et restrictive que les règles douanières pour les textiles, la maroquinerie et les chaussures. Cependant, la mise en œuvre de ces lois est suspendue, car leur conformité avec la réglementation de l’UE ne semble pas assurée. Dans ce contexte, l’Istituto per la tutela dei produttori italiani (association des industries manufacturières italiennes) a développé une marque collective «100% made in Italy», dont l’utilisation requiert le paiement d’une cotisation et une procédure de certification.

Comme on le voit, les réticences ou les difficultés à protéger les indications de provenance par la loi – en les définissant au moyen d’exigences plus claires et plus élevées que les règles d’origine douanières – se traduisent par le lancement de «marques nationales» privées. Celles-ci n’ont d’exclusivité ni sur l’indication de provenance ni sur le drapeau du pays concerné. Par conséquent, leur établissement nécessite de lourds investissements. D’ailleurs, certains pays ont fait l’expérience du développement de telles marques, souvent lancé voire soutenu financièrement par les pouvoirs publics, et de leur échec ultérieur.

Pour une distinction claire entre origine douanière et indication de provenance


En résumé, tant l’obligation de mentionner le pays d’origine au sens douanier que la faculté d’utiliser un «label national» privé ne répondent que de manière très partielle au besoin de protection de l’indication de provenance. Les États-Unis, eux aussi, ont opté pour un «made in USA» beaucoup plus exigeant que l’origine douanière: le produit doit être (presque) entièrement fabriqué aux États-Unis[6]. L’interprétation de cette norme au cas par cas est plutôt restrictive, dans un pays qui possède la plupart des matières premières et tous les types d’industries!

Quelle est la place de la législation «Swissness» dans cet éventail d’outils? L’approche adoptée par la Suisse se fonde sur la distinction stricte entre origine douanière et indication de provenance, et associe une protection étendue de l’indication de provenance à une définition claire des exigences applicables. Elle apparaît comme une solution simple et pragmatique pour les entreprises et les consommateurs, efficace par rapport aux objectifs poursuivis et libérale dans ses principes d’application.

  1. L’initiative «Fabriqué dans le monde» a été lancée par l’OMC pour encourager l’échange de projets, d’expériences et d’approches pratiques concernant la mesure et l’analyse du commerce sur la base de la valeur ajoutée. []
  2. Proposition COM(2013)78 final de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la sécurité des produits de consommation et abrogeant la directive 87/357/CEE du Conseil ainsi que la directive 2001/95/CE, art. 7 (identification de l’origine). []
  3. Loi sur les aliments et drogues, art. 5; loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, art. 7. Les Lignes directrices sur les allégations «Produit du Canada» et «Fabriqué au Canada», publiées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, sont disponibles sur le site de cette dernière: www.inspection.gc.ca, rubriques «Aliments» > «Étiquetage des aliments et publicité» > «L’étiquetage des aliments pour l’industrie» > «Origine» > «Lignes directrices sur les allégations Produit du Canada et Fabriqué au Canada». []
  4. Loi sur la concurrence, art. 52 et 74.01; loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, art. 7; loi sur l’étiquetage des textiles, art. 5. La publication Les indications «Produit du Canada» et «Fait au Canada» – Lignes directrices, du Bureau canadien de la concurrence, est disponible sur le site de ce dernier, rubriques «Publications» > «Documents de nature technique» > «Lignes directrices» > «2009» > «Les indications ‹Produit du Canada› et ‹Fait au Canada› ». []
  5. Australian Competition and Consumer Act 2010, sections 255–258 . []
  6. Norme générale régie par la Federal Trade Commission (FTC) depuis 1997. []

Proposition de citation: Erik Thevenod-Mottet (2014). Que font les autres pays pour protéger leur marque nationale. La Vie économique, 10 octobre.