Le niveau de formation des femmes a beaucoup progressé en Suisse. Elles sont désormais plus nombreuses que les hommes à poursuivre des études supérieures dans les filières générales.
En Suisse, les femmes représentent 45% de la population active. Elles ont le troisième taux d’activité le plus élevé des pays de l’OCDE et celles de la jeune génération sont autant qualifiées, si ce n’est plus, que leurs pairs masculins. Elles sont, pourtant, sousreprésentées aux postes de direction, dans les conseils d’administration et parmi les chefs d’entreprise. Quant au volume de travail horaire moyen qu’elles fournissent, il est bien moindre que celui des hommes. Cela s’explique par le fait que la Suisse occupe la deuxième place dans l’OCDE en matière de travail partiel féminin. On peut certes évoquer des choix personnels, mais il ne faut pas oublier que les femmes cadres se heurtent à un certain nombre d’obstacles qui ralentissent leur insertion et leur ascension professionnelle. Mentionnons notamment le coût élevé et la rareté des structures de garde des enfants, un taux d’imposition marginal effectif dissuasif, des conditions de travail peu flexibles et un écart salarial net de 7% en leur défaveur.
Un très bon niveau de formation
Les données présentées dans le rapport Schilling 2013, consacré aux conseils d’administration des cent plus grandes entreprises suisses, montrent que 90% des administratrices sont titulaires d’un diplôme universitaire. Ce chiffre confirme l’importance des études supérieures pour les femmes qui souhaitent occuper des postes à responsabilité dans les entreprises. À cet égard, des progrès significatifs ont été accomplis. La durée moyenne attendue de scolarisation est désormais la même pour les deux sexes (environ 17 ans). Depuis 2009, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à poursuivre des études supérieures dans les filières générales. Ces progrès se traduisent par une distribution plus harmonieuse des niveaux d’études dans la population. Toutefois, les déséquilibres hérités du passé mettent du temps à disparaître: dans la classe d’âge des 25-64 ans, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à ne pas avoir suivi d’études supérieures (70% contre 57%), alors qu’il n’y a plus de différence entre les sexes dans la tranche des 20-29 ans.
Cette représentation croissante des femmes dans l’enseignement supérieur s’appuie sur de bonnes performances académiques. Les enquêtes Pisa, conduites par l’OCDE, montrent que les filles surpassent les garçons notamment en compréhension de l’écrit; ces derniers, en revanche, sont plus performants en mathématiques et en sciences. Les écarts de résultats scolaires se reflètent dans le choix des filières professionnelles, qui diffère sensiblement selon le sexe. Une analyse des diplômes délivrés par les universités de sciences appliquées fait apparaître que les hommes sont largement majoritaires dans les disciplines traditionnellement masculines, comme l’ingénierie, l’informatique, l’architecture et la construction. Les femmes, elles, sont surreprésentées dans l’action sociale, l’enseignement, la psychologie, les langues et la santé. Par ailleurs, la Suisse fait partie des pays qui comptent la plus faible proportion de femmes désireuses de faire carrière dans l’ingénierie ou l’informatique. De bonnes connaissances scientifiques et techniques sont pourtant un atout dans le monde du travail. Il s’agit donc de rendre les filières scientifiques et techniques plus attrayantes aux yeux des filles. C’est l’une des actions à entreprendre en priorité dans le domaine de l’éducation, afin de faciliter l’accès des femmes aux positions dirigeantes.
Les femmes cadres et cheffes d’entreprise en Suisse
Bien que leur niveau d’études soit en augmentation et qu’elles jouent un rôle accru sur le marché du travail, les femmes sont encore sousreprésentées en Suisse parmi les chefs d’entreprise et les cadres dirigeants. Même en ayant un niveau de formation comparable à leurs collègues masculins, elles ont tendance à stagner dans la hiérarchie. Par conséquent, leur représentation aux postes de direction est bien inférieure à leur quote-part dans la population active. C’est ce que l’on appelle le phénomène du «tuyau percé». Dans les pays de l’OCDE, les femmes représentent aujourd’hui moins d’un tiers (32%) des cadres. En Suisse, leur proportion atteint 33%, contre 29% en 1996. L’essentiel de ce (modeste) rattrapage s’est opéré entre 1996 et 2002 (+3,8 points); depuis lors, la situation ne s’est pratiquement pas améliorée (+0,3 point). À l’exception des États-Unis et peut-être de la Nouvelle-Zélande, rares sont les pays de l’OCDE où la présence de femmes dans les instances dirigeantes correspond à leur pourcentage dans la population active (voir graphique 1).
Cette sousreprésentation trahit une mauvaise utilisation du capital humain dans l’économie suisse, étant donné que les femmes constituent une proportion croissante (parfois même la majorité) des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. Accroître la proportion de cadres féminins pourrait donc avoir de nombreux effets bénéfiques sur la productivité globale de l’économie. Alors que le recrutement des meilleurs dirigeants fait l’objet d’une concurrence rude et coûteuse au niveau mondial, les entreprises gagneraient à nommer plus souvent des femmes dans leurs organes de direction. Marissa Meyer, PDG de Yahoo, et Sheryl Sandberg, numéro 2 de Facebook, en sont deux exemples récents et emblématiques. Placer des femmes à de tels postes permet aussi de diversifier les approches et les solutions aux problèmes de l’entreprise. Leur point de vue peut s’avérer précieux dans certains secteurs à forte croissance, tels que les technologies de l’information, la mode et la cosmétique, dont la clientèle est majoritairement féminine.
Comme on l’observe dans d’autres pays de l’OCDE, les femmes sont également sous-représentées en Suisse parmi les chefs d’entreprise. Pourtant, leur préférence pour les horaires flexibles devrait les inciter à travailler de manière indépendante. Leur niveau élevé de formation et la nature du tissu économique, constitué essentiellement de PME, sont autant d’atouts qui peuvent les aider dans cette aventure. De surcroît, celles qui se lancent affichent de bonnes performances. En Suisse, 3,4% des femmes sont cheffes d’entreprise, contre 2,4% en moyenne dans l’UE27 (respectivement 8,6% et 6,2% pour les hommes). La Suisse est le seul pays de l’échantillon où le taux de survie des entreprises à trois ans est plus élevé si celles-ci sont dirigées par des femmes plutôt que par des hommes. Toutefois, ces bons résultats s’expliquent par le fait que les femmes créent en général des sociétés plus petites et dans des secteurs moins risqués, comme les cours particuliers ou les services de soins aux personnes.
Des progrès sont possibles dans ce domaine. Il convient de véhiculer une image positive de l’entrepreneuriat auprès des femmes, d’encourager la constitution de réseaux de créateurs d’entreprise et de lancer des programmes de mentorat ou de conseil. On peut aussi dissiper certaines peurs en dispensant des cours sur la création d’entreprise dans le deuxième cycle de l’enseignement secondaire.
Augmenter les structures d’accueil des enfants et réduire leur coût
Un environnement propice à l’harmonie travail-famille est indispensable pour que les ménages puissent prendre, en matière d’emploi, des décisions basées sur les avantages comparatifs et non pas sur des contraintes ou des stéréotypes. En premier lieu, il faut faire en sorte que les structures d’accueil des enfants soient disponibles en nombre suffisant et à un coût abordable. Ce n’est pas le cas actuellement. On évitera ainsi que les femmes soient obligées de choisir entre devenir mères et mener une carrière professionnelle. Le taux de fécondité s’élève en Suisse à 1,5 enfant (contre 2,5 au milieu des années soixante) par femme et est déjà l’un des plus bas d’Europe.
L’accueil extrafamilial des enfants constitue peutêtre l’un des domaines dans lesquels un engagement accru du secteur public pourrait être le plus bénéfique. Les politiques en matière de garde se définissent au niveau des cantons et des communes, ce qui se traduit par des pratiques très hétérogènes. Par ailleurs, les familles établies dans de petites villes ou des zones rurales se heurtent à des difficultés plus importantes que celles résidant dans de grands centres urbains. En outre, la Suisse est l’un des pays de l’OCDE où les dépenses publiques consacrées à la prise en charge des enfants et à l’éducation préscolaire sont les plus faibles: elles représentaient à peine 0,2% du PIB en 2009, soit environ un tiers de la moyenne de l’OCDE[1]. Selon une étude mandatée par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco), près de 30% des mères d’enfants âgés de moins de 15 ans déclaraient en 2005 avoir été contraintes de réduire leur temps de travail étant donné l’absence de structures d’accueil.
Le coût élevé de la garde d’enfants représente un deuxième obstacle. Selon les résultats d’une modélisation régionale, la ville de Zurich offre l’un des systèmes d’accueil les plus onéreux de la zone OCDE. Dans une étude parue en 2012, l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) indique que 27% des mères ayant renoncé à un travail rémunéré l’ont fait parce qu’elles ne parvenaient pas à concilier vies familiale et professionnelle. Elles évoquent les problèmes suivants: la difficulté de trouver des places en crèche, leur prix élevé et le refus des employeurs d’aménager les horaires de travail.
Il semble donc opportun pour les autorités suisses d’accroître le nombre de places dans les services d’accueil, ce qui contribuerait à réduire leur coût. Elles pourraient aussi redéfinir et assouplir la réglementation applicable à ce secteur, afin d’élargir la gamme des prestations offertes, en termes de tarifs et de qualité. Certaines initiatives innovantes ont été lancées dans les cantons. Ainsi, ceux de Vaud, Neuchâtel et Fribourg ont intégré les employeurs dans le financement des structures d’accueil extrafamilial. Au niveau local, la ville de Lucerne a décidé d’octroyer des bons pour la prise en charge des enfants. Ce système devrait être généralisé, car il offre aux parents une plus grande liberté de choix parmi les solutions de garde proposées.
D’autres mesures peuvent faciliter l’ascension professionnelle des femmes
Les désincitations fiscales sont un autre facteur qui explique qu’une forte proportion de femmes occupent des emplois à temps partiel en Suisse. Un taux marginal d’imposition élevé n’encourage pas le conjoint qui apporte un deuxième salaire – généralement la femme – à augmenter son taux d’occupation. Les déclarations d’impôt communes et non individuelles en sont, en grande partie, responsables, car les augmentations de revenu du ménage sont taxées plus lourdement qu’en cas d’imposition distincte. Le Conseil fédéral a introduit récemment une déduction fiscale pour les frais de garde des enfants. Il a également adopté des mesures destinées à supprimer pour l’essentiel l’impact pénalisant du mariage sur le plan fiscal. Cela pourrait aider les femmes qui le souhaitent à participer plus activement au marché du travail.
L’écart salarial brut en faveur des hommes, qui s’établit à 19% en moyenne, constitue un autre frein à l’implication des femmes dans l’entreprise. Certes, il tend à se réduire (malgré une légère hausse ces dernières années) et les deux tiers de ces disparités s’expliquent facilement par des différences de formation ou d’expérience. Néanmoins, un tiers (environ 7%, soit l’écart net) reste inexpliqué. Cette inégalité décourage les femmes de s’investir davantage sur le plan professionnel. Parmi les cadres et les hauts dirigeants, l’écart brut de rémunérations entre hommes et femmes s’élevait à 21,3% en 2011. Une meilleure transparence salariale au sein des grandes entreprises et une concurrence accrue dans l’économie permettraient de remplacer les pratiques discriminatoires par la recherche des meilleurs talents, indépendamment du sexe. Enfin, l’instauration à l’échelon fédéral d’un congé paternité ou d’un congé parental unique, à partager entre les deux conjoints, pourrait aider les mères à ne pas rester trop longtemps éloignées du marché du travail.
- Ces données ne prennent toutefois pas en compte la totalité des dépenses des collectivités locales. À ce titre, elles peuvent être sous-estimées dans un pays fédéral comme la Suisse. []
Bibliographie
- OCDE, Études économiques de l’OCDE: Suisse 2013, Publications de l’OCDE.
- OFAS, Wirkungsanalyse Mutterschaftsentschädigung, rapport de recherche, 2012.
- Guido Schilling SA, Schillingreport 2013 – Transparency at the Top. The Executive and Supervisory Boards of the 100 Largest Swiss Companies, Zurich, 2013.
- SECO, Familienergänzende Kinderbetreuung und Erwerbsverhalten von Haushalten mit Kindern, «Concilier travail et famille» n° 3, Institut de microéconomie et d’économie publique (MecoP) de l’université de la Suisse italienne, et INFRAS, bureau de recherche et de conseil, Zurich, 2007
Bibliographie
- OCDE, Études économiques de l’OCDE: Suisse 2013, Publications de l’OCDE.
- OFAS, Wirkungsanalyse Mutterschaftsentschädigung, rapport de recherche, 2012.
- Guido Schilling SA, Schillingreport 2013 – Transparency at the Top. The Executive and Supervisory Boards of the 100 Largest Swiss Companies, Zurich, 2013.
- SECO, Familienergänzende Kinderbetreuung und Erwerbsverhalten von Haushalten mit Kindern, «Concilier travail et famille» n° 3, Institut de microéconomie et d’économie publique (MecoP) de l’université de la Suisse italienne, et INFRAS, bureau de recherche et de conseil, Zurich, 2007
Proposition de citation: Dutu, Richard (2014). Le rôle des femmes dans l’économie suisse: rapport de l’OCDE. La Vie économique, 30. novembre.