L’internalisation des flux de biens et de services internationaux dans les multinationales suisses
Lesquelles de leurs activités à l’étranger les multinationales suisses internalisent-elles ou, autrement dit, exécutent-elles elles-mêmes? Quels facteurs influent sur le taux d’internalisation des entreprises à l’étranger? Et quel est l’impact de ces décisions sur le siège en Suisse? Notre étude montre que ce sont surtout les prestations acquises par les filiales à l’étranger qui exercent une influence sur la productivité, les investissements, l’emploi et la structure des effectifs de la société mère.
Les multinationales peuvent délocaliser certaines de leurs activités à l’étranger soit en les externalisant soit en les internalisant. Si, dans le premier cas, des travaux sont confiés à des entreprises étrangères externes, nous sommes en présence, dans le second cas, d’achats internationaux de prestations au sein de la structure du groupe, qui prennent la forme d’investissements directs à l’étranger.
Les analyses bibliographiques, comme celles de Morschett et al. (2010) et d’Engel et Procher (2013), montrent qu’il existe d’abondantes études sur les activités et les investissements à l’étranger. Cependant, la plupart d’entre elles s’intéressent plus aux facteurs de délocalisation ou aux effets que cela provoque sur les activités de la maison mère dans le pays d’origine et sur l’environnement économique dans le pays cible. Peu d’études portent généralement sur l’internalisation des activités réalisées à l’étranger ou sur son intensité. Il n’en existe aucune sur la Suisse à ce sujet. C’est pour combler cette lacune que nous avons analysé les déterminants et les conséquences de l’internalisation des flux de biens et de services sur les activités de la société mère en Suisse1 . Notre étude se fonde sur les données recueillies auprès d’entreprises multinationales helvétiques2 . Pour déterminer le degré d’internalisation des flux, nous calculons la proportion de flux internes dans l’ensemble des flux entrants. Cet indicateur mesure ainsi l’importance des flux issus de l’internalisation internationale par rapport à la totalité de ceux provenant de l’étranger.
Caractéristiques des flux internes
Les données montrent que, pour les multinationales suisses, les flux entrants sont moins importants que ceux qui sortent. Ces entreprises se procurent auprès de leurs filiales étrangères principalement des biens intermédiaires et des produits finis, mais nettement moins de services informatiques et de savoir-faire (voir graphique 1). Elles leur livrent tant des produits finis que du savoir-faire et des services informatiques. Dès lors, le degré de technicité des flux entrants est nettement inférieur à celui des flux sortants. Ce modèle est le reflet des avantages comparatifs de l’économie suisse, dont les atouts sont le capital humain et les connaissances technologiques (brevets, concepts de produits, ingénierie avancée).
En outre, l’industrie et les services présentent des différences substantielles. Il faut savoir que le degré d’internalisation des flux entrants est approximativement le même dans les secteurs secondaire et tertiaire. Les branches qui, dans ces deux secteurs, présentent un haut degré de technicité (entreprises industrielles de pointe et sociétés de service à savoir ajouté) misent, toutefois, plus sur l’internalisation que les branches classiques, moins avancées. Les entreprises industrielles internalisent, en revanche, nettement plus leurs flux sortants que les sociétés de services. Cependant, le degré de technicité de la branche n’est pas ici un critère différenciateur.
Déterminants de l’internalisation
La deuxième partie de l’étude examine les facteurs qui influent sur l’internalisation, ou le degré d’internalisation, des flux bidirectionnels de biens et services dans les entreprises multinationales. L’analyse économétrique montre que les sociétés dont les activités occasionnent des frais de coordination élevés pour garantir l’harmonisation et le pilotage des processus impliquant une répartition des tâches ont tendance à internaliser les flux sortants. La raison en est que l’internalisation accroît l’efficience de la communication, ce qui diminue les coûts de coordination. Autre résultat de l’étude: l’absence de propriété intellectuelle et de sécurité juridique favorise l’achat interne de prestations, car cette politique protège mieux l’actif de grande valeur que constitue le savoir-faire propre à l’entreprise.
Impact sur la société mère
Le troisième volet de l’étude consiste en une analyse économétrique de l’influence qu’exerce l’internalisation des activités à l’étranger sur divers indicateurs concernant l’activité des entreprises suisses. Il s’agit notamment du chiffre d’affaires, de la productivité, de l’investissement en capital, de l’emploi et de la structure des effectifs ventilés par niveau de qualification. L’idée est de vérifier l’hypothèse selon laquelle l’internalisation des activités à l’étranger augmente la flexibilité lors de l’affectation des ressources et contribue à la rationalisation des activités au sein de la maison mère.
Cette hypothèse est vraie pour le degré d’internalisation des flux entrants. Concrètement, une telle mesure accroît la productivité du travail, et, selon les résultats de l’étude, abaisse le niveau d’investissement et d’emploi. Il s’agit, toutefois, là d’effets à court terme qui peuvent être compensés, à moyen terme, par des gains de productivité. L’internalisation des flux entrants exerce aussi une influence sur le niveau de qualification du personnel, qui se déplace vers le haut (employés au bénéfice d’une formation tertiaire).
L’étude montre, toutefois, que l’internalisation des flux sortants a peu d’influence sur les activités de l’entreprise en Suisse. L’une des raisons pourrait en être que les filiales étrangères qui se fournissent en Suisse réalisent au premier chef des activités de distribution et n’interviennent guère dans la production.
Proposition de citation: Arvanitis, Spyros; Bolli, Thomas (2014). L’internalisation des flux de biens et de services internationaux dans les multinationales suisses. La Vie économique, 01. novembre.
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