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Six écueils à surmonter dans sa vie professionnelle après 50 ans

La manière dont on perçoit la réalité compte plus que la réalité elle-même. Les travailleurs vieillissants apprennent cette règle à leurs dépens. Une personne née avant 1964 peut bien se montrer compétente et flexible dans la vie professionnelle; on la considérera néanmoins comme un fossile doté d’une capacité d’innovation réduite. Les générations précédentes nous ont légué l’image d’une vieillesse souffrant de toutes sortes de déficits. Cette représentation n’a plus grand-chose à voir avec les seniors d’aujourd’hui, souvent en pleine forme, qui s’habillent et se comportent comme leurs enfants. Plus les cadres dynamiques s’efforcent de ralentir ou de cacher leur propre processus de vieillissement, plus ils ont des difficultés à gérer le personnel âgé.

Les stéréotypes peuvent se modifier dans le cadre des processus d’apprentissage sociaux, mais ils le font lentement. La rapidité des adaptations dépend de l’intensité du débat. D’autres aspects de l’évolution démographique sont plus faciles à changer.

Dans la carrière des seniors, le premier écueil est l’actualisation des compétences. Les travailleurs ne s’adaptent pas toujours au changement de manière suffisamment active. Leur expertise peut aussi ne plus être demandée dans le cadre de la division internationale du travail. Les expériences acquises peuvent très vite se dévaloriser. À cet égard, une femme fournissant des services aux personnes est moins exposée qu’un homme exerçant une profession technique. Les seniors ont de sérieux atouts à faire valoir dans les activités basées sur les relations humaines, comme le conseil à la clientèle bancaire, l’expertise des marchés lointains ou l’entretien et la vente de biens d’équipement durables. Les centrales nucléaires fonctionnent grâce à des ingénieurs aux cheveux gris, car on ne trouve presque plus de jeunes spécialistes. De nos jours, il est recommandé aux personnes actives de tester régulièrement l’intérêt qu’elles présentent pour le marché de l’emploi et d’en tirer les conséquences. Bien des entreprises les aident à le faire.


Les risques d’une trop longue routine

Le deuxième écueil, étroitement lié au premier, est la reconversion ou la réorientation professionnelle. Les entreprises ont tendance à laisser leurs collaborateurs de plus de 45 ans au même poste. Or, de longues années de travail répétitif – même si l’employé met à jour de temps en temps ses connaissances informatiques – débouchent sur une déqualification et une peur du changement. La routine est un problème bien plus grave que l’horloge biologique. Une carrière doit inclure de nouvelles tâches et exigences après quelques années, pour que les compétences personnelles continuent de se développer jusqu’à la vieillesse. Nous apprenons en effet beaucoup plus de manière informelle que par des cours formalisés. Nombre d’entreprises négligent la mobilité interne des personnes de plus de 50 ans. Elles ne leur offrent pratiquement plus de perspectives de carrière attrayantes – et encore moins une formation continue digne de ce nom, indispensable aux réorientations et aux reconversions professionnelles.

Les gens changent en vieillissant. Leurs centres d’intérêt se déplacent. Beaucoup veulent entamer une deuxième carrière. C’est le cas notamment des personnes qui se réinsèrent dans le monde du travail après une phase de vie familiale ou de celles qui se reconvertissent dans l’enseignement. Malheureusement, nos institutions de formation professionnelle et académique ne sont pas encore parvenues à attirer ce groupe croissant de travailleurs en offrant des cursus qualifiants, dotés de nouveaux objectifs et spécialement conçus pour des personnes d’âge mûr. Vu ce dénuement, il n’est donc pas étonnant que l’intérêt pour le perfectionnement s’estompe après 45 ans. Peut-on espérer que le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche crée un marché de la formation continue pour ce groupe cible dans le cadre de son Initiative visant à combattre la pénurie de personnel qualifié?


Rester en bonne santé grâce au travail

Le troisième écueil réside dans un style de vie durable qui préserve la santé du corps et de l’esprit. Rares sont encore les branches qui se préoccupent de l’usure corporelle. Pourtant, dans le secteur des services, de plus en plus de gens souffrent de stress et de surcharges psychosociales excessives. Les nouvelles inscriptions à l’assurance-invalidité en témoignent clairement. N’importe quel écolier connaît l’importance de l’alimentation, de l’activité physique ainsi que les dangers de la nicotine, de l’alcool et des autres drogues. Les hommes et les femmes qui possèdent un bon bagage scolaire gèrent mieux leur santé que les personnes moins éduquées. Il est concevable – ou même réalisable – de renforcer la responsabilité individuelle de ces groupes au sein des entreprises.

Dans des économies comme la nôtre, il faudra bientôt parvenir à concevoir la journée de travail en tenant compte aussi bien des aspects productifs que de la promotion de la santé; les employeurs et les employés assument sur ce plan une responsabilité conjointe. Devant la propagation rapide de programmes récréatifs éreintants, l’appel à un meilleur équilibre entre les vies privée et professionnelle semble appartenir au passé.


L’épanouissement, au-delà des bonus et des promotions

Un quatrième écueil – dans le même domaine que les deux précédents – concerne le «mordant» et la motivation. Au-delà de 50 ans, les salaires et les bonus stagnent. Les promotions se font rares – on devient chef plus jeune. Les systèmes usuels d’incitation, axés sur des performances élevées, perdent leur impact. Les travailleurs vieillissants doivent se renouveler, trouver un autre «combustible» qui alimentera leur feu intérieur. Pour eux, l’engagement professionnel est lié en priorité à l’épanouissement personnel, au regard positif des collègues et des clients, ainsi qu’au sens de leur travail.

Cet écueil concerne de nombreux acteurs: il met en cause la relation avec les supérieurs hiérarchiques. Beaucoup de cadres maîtrisent une jolie panoplie d’instruments, mais se montrent rigides et distants vis-à-vis de leurs collaborateurs. Il est indispensable que la gestion soit orientée sur les personnes et pas uniquement sur les résultats.

Les travailleurs vieillissants, habitués aux récompenses matérielles et extrinsèques, ont parfois de la peine à relativiser les questions de prestige ou les dysfonctionnements dans leur environnement et à se concentrer sur la joie d’accomplir avec brio leurs propres tâches. Les hommes doivent généralement livrer un combat intérieur plus dur que les femmes pour affronter de telles réorientations. Les changements réussissent plus facilement si l’entreprise réaménage de temps en temps son portefeuille de tâches, met l’accent sur ses points forts et soutient la découverte de terrains inconnus. Elle ne doit pas, pour autant, négliger la reconnaissance, les retours d’information («feedback») et le développement personnel.


Dialogue avec d’autres générations et d’autres cultures

Nombre de seniors brûlent de transmettre leur expérience. Toutefois, il est exceptionnel que des jeunes aient envie d’écouter leurs histoires. Ils préfèrent «hériter» de réseaux sociaux bien établis, profiter d’un appui, puiser dans une réserve de savoir personnel et copier des recettes magiques à l’intérieur d’une culture d’entreprise spécifique. Le cinquième écueil tient à la capacité de coopérer sans préjugés et sur un pied d’égalité avec les générations suivantes et avec des personnes issues d’autres horizons culturels. Spontanément, on se rassemble si possible entre semblables. Cela évite de négocier longuement un consensus et accroît la performance. L’exigence de résultats, généralement élevée, renforce la tendance à aller vers ce qui nous est familier.

Malheureusement, cela s’adapte mal au cadre actuel du marché suisse du travail. En écoutant les travailleurs de plus de 50 ans, on entend souvent la scène politique se répéter: ils surestiment les vertus (suisses) du passé; selon eux, les jeunes devraient choisir les bons modèles et témoigner du respect à ceux qui ont créé notre modèle à succès (quoi que cette expression recouvre). Les seniors ont parfaitement le droit de revendiquer; ce sont eux qui arriveront le plus vite à bon port s’ils ont préalablement prouvé qu’ils sont utiles, voire indispensables.


L’âge légal de la retraite tombe comme un couperet

Enfin, le passage de la vie active à la retraite est réglé de manière insatisfaisante. D’une part, les entreprises privées et publiques continuent de mettre trop de collaborateurs à la retraite anticipée, alors que les seniors constituent un réservoir de main-d’œuvre durant les restructurations ou les creux conjoncturels. D’autre part, l’âge officiel de départ à la retraite tombe comme un couperet; dans la plupart des organisations, la résiliation du contrat est automatique.

Nous devenons toujours plus vieux, mais restons jeunes plus longtemps. Si une personne néglige dès le début de sa carrière les processus d’apprentissage et les exigences d’adaptation professionnelle, elle se transforme en une vieille relique et sa participation à la société est compromise. Elle risque de ne plus pouvoir programmer ses propres robots de soins et de nettoyage, et la démocratie directe pourrait souffrir du déclin de sa faculté de jugement. Cela renvoie aux conséquences financières et aux assurances sociales. Nous avons besoin de transitions taillées sur mesure, qui permettent de réduire le temps de travail avant 64 ou 65 ans, ou de rester plus longtemps dans la vie active. Pourquoi pas jusqu’à 70 ans, si la personne est encore énergique, performante et en forme?


Vieillir autrement: le manifeste du réseau Silberfuchs

Le réseau Silberfuchs regroupe des organisations d’employeurs. Il se consacre depuis plus de sept ans aux possibilités qui accompagnent les mutations démographiques. Les neufs points suivants forment sa philosophie: Mai 2014 · La fixation de l’âge de la retraite est obsolète; à l’avenir, employeurs et employés devront déterminer de manière flexible les étapes de la sortie de la vie active.
· Ce n’est pas l’âge qui pose problème, mais la longévité à un même poste de travail. Tout itinéraire professionnel nécessite régulièrement de nouveaux virages et impulsions.
· La population vieillit, mais elle reste jeune plus longtemps. Aujourd’hui, des sexagénaires courent le marathon. Nous devons réviser nos préjugés.
· L’équité entre les générations est le fil conducteur qui doit guider les salaires, les assurances sociales et la répartition des capitaux du deuxième pilier.
· Il est indispensable d’offrir aux plus de 50 ans un marché du travail ouvert et fluide – les hommes et les femmes de ce groupe d’âge sont pleinement performants s’ils trouvent des emplois motivants et stimulants.
· Il convient d’exploiter partout les occasions de coopération entre les générations et entre les genres; la diversité fait bouger les choses.
· Les travailleurs vieillissants sont curieux et prêts à apprendre; mais le système n’offre pas assez de formations continues appropriées, de programmes d’apprentissage et de passerelles permettant d’éventuelles reconversions.
· Les conditions de travail, l’environnement professionnel et les tâches se modifient; on doit les adapter au développement personnel, à l’engagement et aux obligations sociales – et cela pour toutes les générations.
· La flexibilisation de l’âge de la retraite, face au changement démographique, implique aussi que les personnes ayant exercé un métier pénible ne doivent pas attendre leur septième décennie pour se retirer de la vie active.


Elisabeth Michel-Alder Conseillère en entreprise, sociologue, fondatrice et directrice du réseau Silberfuchs, blogueuse www.silberfuchs-netz.ch


Proposition de citation: Elisabeth Michel-Alder (2014). Six écueils à surmonter dans sa vie professionnelle après 50 ans. La Vie économique, 01 novembre.