La Suisse est traditionnellement un pays de vacances. La branche du tourisme a pris son essor après la Seconde Guerre mondiale, lorsque de nouvelles couches de la population ont pu s’offrir des vacances. Si, au début, les gens s’installaient en montagne en été pour fuir la chaleur, le tourisme d’hiver a pris une importance croissante dès les années septante. À partir des années nonante, les lieux de villégiature suisses ont de plus en plus souffert des prix pratiqués par la concurrence étrangère, notamment en raison de l’extension du réseau routier et ferroviaire européen, de la libéralisation des transports aériens et des progrès techniques de l’enneigement artificiel. Les domaines skiables du Tyrol et du Haut-Adige se sont ainsi très fortement développés. Plus récemment, Internet a accentué la transparence des prix.
Actuellement, les stations touristiques suisses doivent surmonter plusieurs problèmes importants. Les vacances d’été dans les Alpes sont moins recherchées, car d’autres continents offrent aux Européens des produits comparables (randonnées, vélo, etc.) à des prix nettement inférieurs avec, en prime, l’exotisme et la promesse du beau temps. De surcroît, les vacances dans les Alpes sont hors de prix pour de nombreux touristes non européens. À l’inverse, la demande de vacances d’hiver dans les Alpes s’est accrue ces dernières années. Néanmoins, les stations suisses n’ont pas pu profiter de cet essor, leurs prix n’étant pas concurrentiels en raison de la cherté du franc.
Les limites de la compensation
Pour contrer ce recul de la demande, les stations suisses ont entrepris, ces dernières années, de se diversifier et d’investir dans de nouveaux domaines d’activités. Il semble, toutefois, difficile de compenser les pertes de nuitées pour les raisons suivantes:
- Tourisme d’affaires: contrairement au secteur traditionnel du tourisme de vacances, le tourisme d’affaires gravite autour des agglomérations (Zurich, Genève, Bâle et Berne).
- Voyageurs: les tours organisés, surtout dans le cas des voyageurs asiatiques, se concentrent sur quelques sites disposant d’un fort rayonnement international (Jungfraujoch/Interlaken, Titlis/Lucerne et Zermatt). De surcroît, ces voyageurs occasionnent nettement plus de travail que les vacanciers, tant pour le marketing que pour l’exploitation. Étant donné que chaque arrivée en Suisse génère seulement quelques nuitées, les destinations touristiques doivent attirer et prendre en charge près de cinq fois plus d’hôtes pour comptabiliser le même nombre de nuitées. Par ailleurs, le nombre de clients fidèles est élevé chez les vacanciers, mais faible chez les voyageurs venant en tours organisés.
- Escapades: elles se limitent aux week-ends de beau temps et à la demande suisse, de sorte que le segment possède un potentiel restreint.
En raison de la forte appréciation du franc et de l’acceptation de l’initiative sur les résidences secondaires, les conditions dans lesquelles évoluent les entreprises touristiques suisses se sont nettement dégradées ces dernières années. L’offre s’est ainsi renchérie de 50% en l’espace de cinq ans pour les hôtes étrangers, en raison de l’appréciation du taux de change. L’acceptation de cette initiative a, en outre, privé de nombreuses structures hôtelières de la possibilité de financer par la vente de résidences secondaires les investissements qui ne pouvaient être couverts par le produit d’exploitation.
Les quatre axes du programme d’impulsion
Une telle situation a décidé le Conseil fédéral à mettre sur pied un programme d’impulsion, dont le but est de soutenir les mutations structurelles en cours dans la branche[1]. Quatre axes ont été ainsi définis :
- Moderniser le secteur de l’hébergement.
- Développer la qualité et les produits.
- Optimiser les structures et renforcer les coopérations.
- Améliorer la professionnalisation.
Afin de définir un processus d’adaptation fondé sur les bonnes priorités, il semble important d’inventorier les besoins de la branche touristique. Les réflexions critiques qui suivent, relatives aux chances et aux difficultés de chaque axe du programme, donnent des pistes sur la meilleure façon d’employer les moyens qui l’accompagnent.
Mettre l’accent sur l’amélioration de la compétitivité des prix
Le secteur de l’hébergement est un pilier du tourisme. Pour rester concurrentielles à l’échelon international, les structures hôtelières doivent absolument continuer de s’adapter aux dernières tendances. Confrontés à des difficultés économiques, de nombreux hôteliers suisses n’ont pas suffisamment investi ces quinze dernières années (voir encadré 1 et graphique 1). Il est, dès lors, judicieux de soutenir la modernisation de l’hôtellerie et de l’orienter correctement, afin qu’elle contribue à l’accroissement de la compétitivité. À cet égard, nous privilégions les approches suivantes.
Par rapport à l’Autriche, c’est dans l’hôtellerie de luxe que les coûts désavantagent le plus la Suisse, car les différences salariales pèsent particulièrement lourd dans ce segment, où le service se taille la part du lion. Dès lors, il faut toujours penser à optimiser les coûts lorsque ces établissements investissent dans le renouvellement ou l’agrandissement de leurs infrastructures. La priorité va ici à l’automatisation des processus, à la réalisation d’économies d’échelle, à l’externalisation de certains services et à la mutualisation de l’offre (comme les espaces de bien-être).
C’est dans l’hébergement à faible service que le handicap des coûts élevés se fait le moins sentir pour la Suisse. Les adeptes des sports d’hiver et les familles apprécient particulièrement cette offre, de sorte qu’il faut promouvoir la construction de nouveaux villages de vacances. Il est recommandé de coopérer avec des entreprises occupant une position en vue à l’échelon international, tant pour déterminer le niveau de développement (et prévenir les surinvestissements) que pour commercialiser l’offre (et tirer parti des effets d’échelle).
À titre complémentaire, il faut élaborer des stratégies permettant aux établissements non concurrentiels de sortir du marché.
Satisfaire les besoins des hôtes internationaux
Pour rester concurrentiel, le tourisme suisse doit offrir des produits de qualité uniques en leur genre: c’est la seule façon de se démarquer des offres comparables et pour lesquelles la concurrence joue surtout au niveau des prix. Ces dernières années, les investissements consentis par l’hôtellerie pour développer ses produits ont principalement visé à moderniser et à positionner les offres existantes, ainsi qu’à compléter celles des lieux de villégiature. Ces améliorations ont certes accru l’attrait des stations pour les propriétaires de résidences secondaires et pour la clientèle suisse habituelle, mais ne leur ont guère permis de se démarquer sur le marché international. Si l’on entend mieux prospecter la clientèle internationale, l’offre doit être guidée par un certain nombre de priorités:
Tourisme d’hiver: les stations qui veulent reconquérir les touristes doivent améliorer leur rapport prix-prestations. Cela peut se faire en modernisant les installations en montagne ou en améliorant le confort. Étant donné que les investissements en montagne ne peuvent généralement pas être couverts par les revenus d’exploitation, il faudra rechercher de nouveaux modèles de financement[2]. S’agissant du confort, il faudra à l’avenir concevoir systématiquement les produits sur la base des besoins des hôtes et non de l’offre des établissements existants.
Tourisme d’été: pour augmenter de façon notable la demande en été, les stations suisses doivent attirer davantage de touristes étrangers. Compte tenu de la concurrence acharnée qui caractérise le segment des vacances, il devrait être particulièrement intéressant de promouvoir l’image de la Suisse auprès des Européens, afin qu’elle soit une destination attrayante pour les tours et les escapades. Nous proposons de regrouper les offres proposées actuellement par les entreprises et les régions, de les positionner auprès des voyagistes de premier rang dans les marchés cibles et d’améliorer la desserte des régions de vacances au départ des aéroports internationaux.
Coopérer pour économiser les coûts
Par rapport à l’étranger, la structure du tourisme suisse est atomisée. Cela tend à renchérir l’offre et force les touristes à consacrer davantage d’efforts à l’obtention d’informations et à l’organisation de leur séjour. On a cherché, ces dernières années, à optimiser les structures des établissements et des stations. Les enseignements recueillis à cette occasion montrent que la négociation continue de contingents et de remises, la détermination des questions charnières et la formulation de stratégies communes pour la prospection du marché occasionnent énormément de travail lorsque la coopération n’a pas lieu dans un cadre structuré. Si les discussions (souvent astreignantes) n’aboutissent pas, on peut craindre que des produits médiocres soient lancés sur le marché, sans savoir réellement de qui ils dépendent.
Tout porte dès lors à penser que des formes de collaboration plus efficaces seront indispensables si l’on veut exploiter les synergies de manière judicieuse et mettre sur pied une offre globale cohérente, permettant au visiteur de réserver simplement. Autant dire qu’il faudra systématiquement mesurer les efforts d’optimisation des structures et de renforcement des coopérations en fonction de leurs apports aux objectifs principaux, soit la diminution des coûts et l’augmentation de l’attrait de l’offre pour le touriste.
Améliorer la professionnalisation
La conception de nouveaux modèles d’affaires et de financement est d’une importance cruciale pour la survie de nombreux sites touristiques suisses, puisque le financement par les résidences secondaires n’est plus possible et que le taux de change constitue une complication supplémentaire. Aussi est-il souhaitable de combler rapidement toute lacune dans les connaissances disponibles sur le sujet. Il importe en outre de restaurer la prévisibilité en promulguant le plus rapidement possible la loi sur les résidences secondaires.
En ce qui concerne le développement des destinations, le problème principal ne tient pas au manque de connaissances de base, mais à l’incapacité de les appliquer dans la pratique. Ces dernières années, le nombre d’entreprises touristiques susceptibles de bénéficier d’un programme d’impulsion a fortement reculé. Quant aux autres, il leur manque souvent le courage d’entreprendre de nouveaux projets, car ceux-ci présentent généralement des risques considérables. Pour tenir compte de cet aspect, il serait dès lors souhaitable que le programme d’impulsion ne se limite pas à élaborer des connaissances de base, mais dégage aussi des moyens permettant d’accompagner, dans quelques stations pilotes, les nouveaux modèles de financement et de coopération jusqu’au stade de la mise en œuvre. Il s’agit de soutenir généreusement les entrepreneurs audacieux et novateurs qui mettent leurs idées en pratique. En effet, seul le passage au stade de la réalisation peut faire souffler un vent de renouveau sur le secteur.
S’attaquer de concert aux réformes difficiles
Dans l’ensemble, le programme d’impulsion 2016–2019 de la Confédération va dans le bon sens et ses quatre axes stratégiques montrent la voie à suivre dans les secteurs clés. Pour autant, les entreprises touristiques continueront à évoluer dans un contexte difficile. Il semble dès lors important que la branche ne succombe pas à l’activisme, mais qu’elle commence à préparer les profondes réformes qui s’annoncent et qu’elle fasse front commun pour s’y atteler.
Proposition de citation: Plaz, Peder (2015). Quelles impulsions pour le tourisme suisse? La Vie économique, 16. février.
Les hôteliers et les entreprises immobilières sont confrontés à un problème récurrent: une partie des capitaux investis pour de nouvelles constructions ou des extensions ne sont traditionnellement pas rentables dès leur budgétisation. La raison en est que la valeur de rendement d’un hôtel dans les Alpes suisses – même en partant d’une hypothèse optimiste quant au rendement et à l’utilisation – reste nettement inférieure à son coût de revient en l’état actuel du marché. Une étude portant sur les projets mis en place ces dernières années montre que le commerce des résidences secondaires est d’une grande importance dans le financement de ces projets, et ce de plusieurs façons:
- l’hôtelier dispose de fonds propres élevés grâce à la vente d’habitations et de terrains à bâtir;
- l’investissement hôtelier est coordonné avec une vente de résidences secondaires: la marge escomptée dans ce dernier cas est supérieure à un investissement en fonds propres dans le projet hôtelier;
- on ne construit pas seulement des chambres d’hôtel, mais aussi des logements qui, loués à long terme, assurent un minimum de rentrées.
a. Voir le rapport: Tourismusfinanzierung ohne Zweitwohnungen, Auswirkungen des Zweitwohnungsinitiative auf die Finanzierung von Beherbergungsbetrieben und Tourismusinfrastrukturen, BHP – Hanser und Partner, p. 47.
L’hôtellerie alpine suisse a subi un déclassement ces dix dernières années (voir graphique 1). Rechignant à investir, de nombreux hôtels trois étoiles ont perdu leur qualification. Plutôt que de disparaître, ils se sont reconvertis en établissements de zéro à deux étoiles. Actuellement, ces derniers comptent, dans les Alpes suisses, près de deux fois plus de lits que l’hôtellerie haut de gamme (quatre et cinq étoiles).
Le Tyrol a connu l’évolution inverse. Le nombre de lits dans les établissements d’une ou deux étoiles a nettement reculé ces dix dernières années, alors qu’un grand nombre d’hôtels de luxe ont ouvert leurs portes. Actuellement, le nombre de lits disponibles en établissements de quatre ou cinq étoiles dépasse de près de deux fois celui en catégories une ou deux étoiles.