La crise nous a appris qu’une politique de développement durable dépend d’abord du système fiscal. Celui-ci doit générer suffisamment de recettes pour financer les programmes de développement et de lutte contre la pauvreté avec un maximum d’autonomie. Or, les impôts représentent actuellement moins de 17% du produit intérieur brut (PIB) dans les pays d’Afrique subsaharienne, contre quelque 34% dans les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’aide extérieure reste donc indispensable pour espérer atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement.
Il n’y a pas que les aspects financiers. Les choix réalisés en matière de fiscalité ont un impact déterminant sur le bon fonctionnement de l’État. Le système fiscal est au centre du pacte social et constitue un élément essentiel pour promouvoir une utilisation efficace des deniers publics. En stimulant le processus de négociation entre l’État et les contribuables, on revalorise le rôle du citoyen dans la gestion publique.
Le dialogue dans ce domaine est en effet essentiel à la bonne gouvernance, car il sensibilise l’État aux besoins et aux demandes des citoyens. Des études récentes[1] indiquent d’ailleurs que les réformes fiscales peuvent déboucher sur d’autres, plus vastes, qui concernent les finances publiques. Les citoyens qui participent à l’effort fiscal consacrent en effet davantage d’attention à la manière dont l’État administre les fonds dont il dispose.
Un système fiscal n’est toutefois pas facile à réformer. Outre les résistances et les blocages de nature politique et administrative, cela requiert des investissements importants en matière informatique, ainsi que des compétences techniques très pointues. Malheureusement, celles-ci font souvent défaut dans les PED. Certaines agences, comme le Secrétariat d’État à l’économie (Seco), fournissent un soutien croissant aux ministères des Finances et aux administrations fiscales des pays désireux de procéder à de telles réformes. Leur assistance peut être bilatérale, multilatérale ou régionale.
Une longue liste de défis
L’un des principaux défis auxquels sont confrontées les administrations fiscales est la réticence des contribuables au paiement de l’impôt. Ces derniers ont le sentiment, souvent justifié, que les fonctionnaires sont corrompus et que le gouvernement détourne systématiquement une partie des recettes publiques. Les administrations fiscales et douanières comptent en effet parmi les institutions les plus corrompues de l’État. Cela pose deux problèmes. D’une part, les recettes publiques sont amoindries par les pots-de-vin et autres dessous-de-table. D’autre part, le contribuable perd toute confiance dans le système, ce qui rend l’évasion fiscale endémique. Les deux phénomènes se renforcent et conduisent à une diminution importante des revenus de l’État.
La mondialisation ainsi que la mobilité des capitaux et du travail à l’échelle planétaire compliquent également la tâche des administrations fiscales. L’activité des multinationales s’étalant sur plusieurs pays, la coopération fiscale internationale acquiert une dimension nouvelle. Les PED doivent éviter la double taxation, qui pourrait décourager les investisseurs potentiels, mais ils doivent également veiller à ce qu’une optimisation fiscale agressive ne conduise pas à une double exemption. Il s’agit là d’un arbitrage complexe qui requiert des connaissances approfondies en matière de prix de transfert.
La gestion des richesses naturelles pose un défi additionnel. Les pays disposant de réserves minières et pétrolières doivent mettre en place des systèmes qui permettent d’en tirer des revenus équitables. La «malédiction des ressources naturelles»[2] n’est pas un simple concept théorique: les PED possédant les plus grandes richesses naturelles sont souvent ceux qui abritent les populations les plus pauvres. À maints égards, la gestion de ces ressources constitue le principal défi que devront affronter nombre d’entre eux ces prochaines décennies.
Parmi les obstacles à surmonter, citons encore l’extrême complexité de la législation fiscale, ainsi qu’une excessive variété d’exonérations et de régimes préférentiels, qui résultent souvent de pressions politiques et ne se justifient pas économiquement. Cela ne signifie évidemment pas que tout allégement fiscal soit néfaste. Nombre d’entre eux sont parfaitement légitimes en raison de leurs effets positifs sur l’emploi, l’investissement et donc la croissance. La difficulté consiste à faire le tri en mettant en regard leurs avantages et leurs inconvénients à court et moyen terme; cela requiert des compétences techniques très spécifiques et malheureusement encore rares dans les administrations des PED.
Ces nombreux défis mettent en évidence l’importance de renforcer le cadre légal ainsi que les compétences techniques des administrations fiscales et douanières. Les besoins en la matière n’ont pas encore été pleinement reconnus par les organismes de coopération. Les montants affectés à ce type de programmes ne représentent que 0,1% de l’aide publique au développement. Il s’agit d’un effort modeste, vu le rôle central que joue la fiscalité dans le développement économique et social d’un État.
Des possibilités non négligeables
Il existe, cependant, de nombreuses raisons de conserver son optimisme. Tout d’abord, les gouvernements des PED voient la mobilisation des recettes internes sous un angle nouveau. L’incertitude créée par la crise économique a renforcé l’idée qu’un développement durable devait impérativement passer par la mise en place d’un cadre légal cohérent et d’une administration fiscale moderne et efficiente (voir encadré 1).
Au niveau national, l’abandon des tarifs et des droits de douane en faveur d’une TVA généralisée, lors de la libéralisation des échanges commerciaux, a fortement accru la visibilité de l’impôt. Cette taxe a également conduit à une interaction directe entre le secteur privé et l’État, laquelle s’est révélée positive malgré certaines difficultés. Cela a permis d’établir un dialogue sur les difficultés rencontrées par le secteur privé et d’adopter des réformes essentielles pour stimuler la croissance.
Combler les faiblesses de la politique fiscale
L’assistance fournie par les agences de coopération se concentre d’abord sur la mise en place d’un cadre légal solide et conforme aux meilleures pratiques internationales. Certes, il n’existe pas de système parfait et chaque État souverain est libre d’adopter une approche différente en fonction de ses choix politiques et de son économie. Toutefois, un certain nombre de principes et de standards restent valables, quel que soit le contexte. Ainsi, on admet généralement que la politique fiscale ne doit pas chercher uniquement à mobiliser des recettes. Elle doit aussi contribuer à une redistribution plus équitable des revenus, en pénalisant le moins possible l’activité économique.
Les agences de coopération fournissent généralement une assistance technique ciblée pour aider les PED à rédiger des projets de loi et des règlements d’application. Ces travaux se basent généralement sur des études et des diagnostics visant à identifier les principales faiblesses du système fiscal. Une attention particulière est portée à l’élimination des niches fiscales qui permettent à certains contribuables d’échapper à l’impôt, ce qui provoque un manque à gagner pour le gouvernement. La plupart des experts financés par les agences de coopération sont des consultants hautement spécialisés qui se rendent sur place pour des missions de courte durée. Il est également de plus en plus fréquent d’engager des généralistes résidents pour accompagner les réformes, une tâche qui s’étend souvent sur plusieurs années.
Le programme d’assistance du FMI
En 2010, le Fonds monétaire international (FMI) a mis sur pied un ambitieux programme qui vise à renforcer la politique et les administrations fiscales dans les pays à bas revenus. Soutenue par un groupe de pays donateurs[3], cette initiative doit favoriser le développement d’une économie dynamique et le maintien d’un environnement macroéconomique stable. Le programme offre des services d’assistance technique pour rédiger ou adapter des législations fiscales, procéder à des réorganisations institutionnelles ou encore optimiser les procédures et les systèmes de taxation. Il a également permis de développer un outil de diagnostic à l’intention des administrations fiscales, le «Tax Administration Diagnostic and Assessment Tool» (Tadat). Cet instrument, qui sera lancé dans le courant de l’année, cherchera à identifier les principales déficiences dans le fonctionnement des administrations fiscales. Cela permettra de cerner avec davantage de précision les priorités en matière d’assistance technique et de mieux coordonner les différents organismes de coopération.
Renforcer l’administration fiscale
Il est courant de dire qu’une législation n’a pas plus de valeur que celle de l’organisation chargée de son application. Partant de ce constat, plusieurs agences de coopération ont adopté une approche pragmatique: elles concentrent leurs efforts sur le renforcement des administrations fiscales, au lieu de se lancer dans d’ambitieux projets de réforme légale, qui se justifient d’un point de vue technique, mais qui ont la fâcheuse tendance d’échouer devant les parlements.
Le renforcement des administrations fiscales passe généralement par trois étapes:
Réorganiser les unités de manière fonctionnelle, afin de maximiser leur efficacité. Doter l’institution d’une infrastructure informatique performante, Renforcer les compétences techniques
Les programmes de formation
Les programmes de formation financés par les organismes de coopération peuvent prendre de multiples formes. Une première catégorie vise le personnel hautement spécialisé. L’enseignement est fourni sur un mode personnalisé à un groupe restreint de fonctionnaires. Ceux-ci peuvent être amenés à suivre des formations de moyenne ou de longue durée, généralement à l’étranger dans des instituts spécialisés. Ces programmes incluent souvent des stages dans des administrations fiscales d’autres pays. Ils doivent déboucher sur l’acquisition de techniques et de concepts avancés. Le problème est que le personnel ainsi formé a souvent tendance à quitter ensuite l’administration pour une activité mieux rémunérée dans le secteur privé.
Un autre type de formation vise l’acquisition de concepts plus élémentaires. Souvent organisés sur place avec l’appui d’experts locaux formés à cette tâche, les cours ont une durée moindre, mais ils sont dispensés régulièrement. Leur avantage est de couvrir les besoins prioritaires, tout en s’adressant à un nombre important de personnes. Ces formations se limitent, en revanche, à l’acquisition de compétences relativement élémentaires.
De plus en plus, les agences de coopération tentent d’aborder la thématique de la gestion et de la formation du personnel sous un angle plus large. L’objectif n’est pas uniquement de former du personnel compétent, mais de faire en sorte que les connaissances acquises restent au sein de l’institution. Ces programmes incluent la mise en place de plans de carrière et de systèmes de rémunération axés sur la performance. Ils accordent une attention croissante aux systèmes de gestion des connaissances, afin de conserver le savoir-faire au sein de l’organisation. Ils s’intéressent aussi à un autre domaine relativement nouveau et prometteur, celui des méthodes permettant de lutter contre la résistance au changement dans les institutions.
L’apprentissage par les pairs
Conscientes des spécificités régionales et soucieuses de conserver leur indépendance, les administrations fiscales des PED ont mis en place des structures régionales pour échanger des informations, partager leurs expériences et mettre en place des programmes de formation répondant à leurs besoins spécifiques. Le Forum africain des administrations fiscales («African Tax Administration Forum», Ataf) en est une illustration. Créé en 2008 et financé en grande partie par ses membres, il réunit 35 pays africains. Favorisant l’apprentissage par les pairs, il agit comme une plateforme régionale qui permet de prendre des positions communes. Cette coopération dite «Sud-Sud» offre de nombreux avantages. Ainsi, des pays confrontés à des défis similaires peuvent élaborer ensemble une solution reproductible au niveau régional. Une administration fiscale ayant obtenu de bons résultats dans un domaine spécifique peut partager ses connaissances avec ses pays voisins, voire mettre à leur disposition certains de ses spécialistes pour une durée déterminée.
Fixer d’abord les principes nécessaires aux réformes fiscales
Même s’il est encore tôt pour se prononcer sur l’impact des initiatives lancées ces dernières années, on peut d’ores et déjà fixer un certain nombre de principes qui permettraient de guider les réformes fiscales. Citons notamment l’importance d’un séquençage approprié de tels processus, à savoir qu’il convient de s’attaquer aux principales déficiences du système avant d’aborder des thèmes plus complexes. Les réformes ne doivent, en outre, pas viser exclusivement une augmentation des recettes fiscales, mais tenir compte du degré de transparence du système et de ses effets en matière de redistribution. L’implication de la société civile dans le débat fiscal constitue en ce sens un élément essentiel dont il convient de tenir compte. À l’avenir, c’est l’ensemble de ces éléments, et pas uniquement le montant des recettes additionnelles collectées, qui permettront d’évaluer la pertinence et l’efficacité des différentes initiatives internationales.
- Pritchard W., Taxation and State Building: Towards a Governance Focused Tax Reform Agenda, Working Paper 341, Institut d’études de développement (IDS), université de Sussex, Brighton, 2010. []
- En économie, ce concept désigne un problème spécifique aux pays riches en ressources naturelles. Il existe un lien négatif entre la proportion des exportations de matières premières dans le PIB et le taux de croissance. Ainsi, le Nigeria, la République démocratique du Congo et l’Angola, qui regorgent de matières premières, connaissent un décollage plus lent que les pays dont les sous-sols sont plus pauvres. La «malédiction des ressources» a été décrite pour la première fois en 1990 par Richard Auty. []
- Allemagne, Belgique, Koweït, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Union européenne et Suisse. []