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Taxes CO2 et redevances climatiques: les leçons de l’étranger

Dans de nombreux pays, les taxes écologiques ont fait leurs preuves. Les problèmes de compétitivité et d’acceptabilité sociale peuvent être évités en soignant la planification et la mise en œuvre.
Bâtiment administratif à Oslo. La Norvève a introduit la taxe CO2 en 1991.

Ces dernières années, les taxes écologiques, notamment sur le CO2 et l’énergie, ont suscité un intérêt croissant[1]. Ce qui, au début des années nonante, avait constitué un galop d’essai pour quelques pionniers européens s’est élargi peu à peu à un nombre croissant de pays et de régions du monde entier. Ce faisant, les États cherchent à apprendre les uns des autres pour trouver les réponses aux questions suivantes: quelles sont les recettes qui fonctionnent ou non? Comment planifier, lancer et mettre en œuvre les réformes? Comment surmonter les obstacles? Enfin, par-dessus tout, comment gagner le soutien des milieux politiques et du grand public?

Pourquoi des taxes écologiques?


Diverses réflexions d’ordre écologique, économique et social jouent souvent un rôle dans le lancement de réformes fiscales à caractère écologique. Dans les dix pays de l’OCDE étudiés, les principaux motifs ont été la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les économies d’énergie et la réduction concomitante des coûts des combustibles, l’augmentation des recettes fiscales, enfin la création d’emplois (voir tableau).

HIER TABELLE EINFUGEN

Dans la province canadienne de Colombie-Britannique, par exemple, ce sont des objectifs climatiques et la volonté de promouvoir les énergies renouvelables qui ont conduit à l’introduction d’une redevance CO2. L’Irlande, elle, a cédé aux contraintes budgétaires. En Finlande et au Danemark, la réforme des taxes CO2 et celle des redevances sur l’énergie s’inscrivaient dans des programmes plus vastes de rééquilibrage des impôts, censés favoriser la croissance et créer des emplois.

Les objectifs peuvent aussi changer. Cela a été le cas en Suède, où les premières réformes faisaient partie d’un vaste transfert, l’imposition du travail devant céder le pas aux redevances écologiques. À l’opposé, les dernières réformes suédoises mettent de plus en plus l’accent sur la protection de l’environnement.

Conception des taxes CO2 et des redevances sur l’énergie


La conception et la mise en œuvre des taxes CO2 et des redevances sur l’énergie varient de façon considérable. Alors que quelques pays limitent l’assiette fiscale à un nombre très restreint d’agents énergétiques et d’utilisateurs, d’autres poursuivent une démarche beaucoup plus vaste, ce qui aboutit à une prise en compte hétérogène des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, on estime que, suivant les systèmes en place dans les dix pays de l’OCDE, les émissions de CO2 sont prises en compte dans une fourchette allant de 32 à 75% (voir tableau).

À l’heure qu’il est, aucun pays n’intègre toutes les émissions de gaz à effet de serre. Cela tient en partie à l’existence d’autres taxes (sur les carburants, par exemple) ou instruments gouvernementaux, voire à des réticences d’ordre politique. Les barèmes appliqués varient également d’un pays à l’autre, tant en ce qui concerne le niveau fixé que les tarifs appliqués aux différents produits et groupes d’utilisateurs.

Le niveau de taxation n’est pas le seul déterminant


Le niveau de taxation n’est pas le seul élément qui permette d’aboutir aux résultats recherchés. L’évolution de la taxe dans le temps, les exemptions accordées, le contexte général et l’utilisation des recettes sont également importants. Les effets sont, en outre, liés étroitement à d’autres domaines politiques et aux instruments existants (moyens d’information, normes régulatrices, investissements dans les infrastructures, etc.). Des facteurs externes, comme la santé de l’économie, les prix de l’énergie ou le progrès technologique, jouent également un rôle.

Prévoir d’emblée des relèvements du taux d’imposition (comme en Irlande) peut contribuer à minimiser les éventuels coûts d’adaptation et à surmonter les résistances vis-à-vis de la taxe et des révisions concomitantes. Ces relèvements peuvent aussi poursuivre des objectifs en matière d’émissions (comme en Suisse). De cette façon, on comprend mieux l’interaction entre l’un et l’autre.

De même, l’élargissement continu de l’assiette fiscale (comme en Irlande, au Danemark et aux Pays-Bas) donne aux protagonistes le temps de s’adapter et de tirer les leçons des expériences faites. Les taxes ont aussi été revues de diverses façons pour mieux tenir compte de la teneur en CO2 des combustibles et inciter à réduire les émissions (comme le Danemark, l’Irlande et la Suède l’ont fait pour la consommation de carburant dans les transports).

Prévoir des dérogations ou des réductions de la taxe est un élément souvent nécessaire et politiquement judicieux de toute réforme fiscale à caractère écologique. De telles mesures ont toutefois tendance à saper l’efficacité du système, puisqu’elles empêchent d’exploiter à fond le potentiel le moins coûteux pour réduire les émissions. L’instrument perd notablement en efficacité. En Allemagne, par exemple, les dérogations accordées aux centres de production et industries énergivores ont affaibli les bienfaits que la réforme fiscale devait apporter à l’environnement.

Faiblesse relative des rentrées fiscales


Les réformes fiscales à caractère écologique peuvent générer des recettes qui se chiffrent en milliards d’euros (comme cela a été le cas lors de la première phase de la réforme au Danemark, en Suède, aux Pays-Bas et en Allemagne). Par rapport à l’ensemble des recettes fiscales de chaque pays, ce montant est cependant relativement faible et ne représente que quelques points de pourcentage du PIB ou des rentrées d’État. Les réformes fiscales actuelles à caractère écologique ne sauraient non plus constituer un bouleversement des régimes budgétaires nationaux. Les recettes générées, elles, sont employées de diverses manières:

  • elles peuvent participer d’un projet général consistant à transfert des impôts pour compenser des pertes de recettes dues à des réductions dans d’autres domaines – souvent celui du travail – (Finlande, Suède, Danemark);
  • elles servent à consolider le budget national par des recettes supplémentaires (Irlande);
  • elles sont affectées à des dépenses spécifiques en faveur de l’environnement;
  • elles sont réinjectées dans l’économie afin de ne pas modifier la charge fiscale (redistribution).


 

La neutralité du revenu ou du budget est un principe fondamental très répandu dans les réformes fiscales à caractère écologique (Australie, Colombie-Britannique, Allemagne, Pays-Bas et Royaume-Uni). Quelques pays ont suspendu temporairement ce principe (Allemagne et Irlande, par exemple). Ailleurs, les recettes ont fondu (Colombie-Britannique et Royaume-Uni), étant donné que les réductions d’impôt, les crédits et la diminution des cotisations sociales dépassaient les recettes fiscales.

Effets et efficacité des réformes fiscales à caractère écologique


Les effets et l’efficacité varient d’un pays à l’autre et dépendent de nombreux facteurs, comme on l’a vu plus haut. Dans plusieurs pays, les taxes CO2 et les redevances sur l’énergie ont permis de réduire les émissions de dioxyde de carbone jusqu’à 1% par an. Les économies d’énergie se situent dans une fourchette similaire, quoique légèrement plus basse. Au Danemark, par exemple, les émissions totales de CO2 ont diminué de 24% entre 1990 et 2001. Dans l’industrie danoise, les économies ont même atteint 25% par unité produite de 1993 à 2000. En Suède, la moyenne des émissions entre 2008 et 2011 a été inférieure de 12,6% à celle de 1990.

Les taxes CO2 et les redevances sur l’énergie peuvent aussi réduire la consommation de combustibles d’origine fossile. Cela a été le cas en Colombie-Britannique, où l’on a consommé moins de combustibles à base de pétrole que dans le reste du Canada.

Les taxes peuvent favoriser la croissance économique, comme le montre l’exemple finlandais. Dans ce pays, la réforme fiscale à caractère écologique a fait progresser le PIB de 0,5% en 2012. S’il existe des cas où l’effet a été contraire ou s’est modifié avec le temps, les avantages économiques et les gains de prospérité peuvent aussi être plus vastes. En Colombie-Britannique, par exemple, les investissements dans les technologies vertes ont été deux fois plus élevés que la moyenne canadienne. La province totalise 20% des «Leed Gold Building»[2] enregistrés depuis 2007 et les ventes de technologies propres ont augmenté de 48% entre 2008 et 2010.

Les effets sur le marché de l’emploi dépendent d’abord d’une réinjection des recettes dans le circuit économique et de ses modalités. Ils sont ensuite dictés par l’architecture générale de la réforme: par exemple, quelles sont les autres taxes ou redevances (entre autres sur le travail) qui se réduisent? Une évaluation de la réforme et de son impact en Allemagne a mis en lumière des effets positifs sur l’emploi de l’ordre de 0,15 à 0,75%. Au Danemark et en Suède, ce dernier a même augmenté jusqu’à 0,5%.

Les gouvernements prêtent une attention particulière aux effets macroéconomiques des taxes CO2 et des redevances sur l’énergie, ainsi qu’aux conséquences pour la compétitivité. Il n’y a pour l’heure pas de preuves solides d’effets négatifs significatifs.

Si ces instruments bien conçus peuvent avoir un impact positif sur l’économie et la compétitivité, les éventuelles réticences sectorielles devraient être mises en balance avec les avantages que cette réorientation apporte à l’ensemble du pays. Les effets sur la compétitivité d’une réforme fiscale à caractère écologique dépendent de plusieurs facteurs, parmi lesquels on trouve son architecture propre, les moyens employés, de même que des facteurs externes et spécifiques aux entreprises. Ces derniers varient avec le temps et ne sont pas semblables à l’échelle nationale, au niveau des secteurs ou des entreprises. Pour ne pas compromettre la compétitivité, plus d’un pays table sur des réductions ou remises partielles de taxe ainsi que sur d’autres restrictions du même ordre. En Suède, ces dérogations ont été démantelées progressivement.

Une réforme fiscale à caractère écologique a des effets sociaux, qui comprennent l’impact distributif, ainsi que ses conséquences sur les prix à la consommation et les revenus des ménages. Tout dépend de l’emploi qui est fait des recettes, compte tenu que celles-ci s’inscrivent dans un processus plus vaste de redistribution des revenus. L’impact varie, en outre, avec le temps et le mode d’application. Dans quelques pays (Danemark, Irlande et Colombie-Britannique), les taxes CO2 et les redevances sur l’énergie présentent un caractère dégressif.

Les effets de la redistribution peuvent être évités en affectant soigneusement les recettes à des projets ciblés. Ainsi, aux Pays-Bas, le caractère dégressif de la taxe énergétique est largement neutralisé par des allocations non imposables, des réductions de taxe et des plafonds. En Allemagne, l’augmentation des coûts de chauffage est amortie par des allocations en faveur des ménages les plus pauvres.

La Suisse va de l’avant


En Suisse, la réforme des taxes CO2 et des redevances sur l’énergie peut conforter les objectifs de la Stratégie énergétique 2050, le signal des prix allant dans le sens d’une nouvelle réduction de la consommation d’énergie. Elle peut aussi inciter à passer à d’autres agents énergétiques et favoriser l’innovation. Ces deux démarches contribuent à atteindre la cible en matière de réduction du CO2. L’architecture du système peut faire appel à plusieurs options: par exemple un nouveau relèvement de la redevance CO2 actuelle, son élargissement graduel aux carburants ou l’abolition progressive des dérogations.

Le respect de la neutralité budgétaire nécessite de bien définir le concept. À cet effet, il serait judicieux de démanteler les subventions existantes qui nuisent à l’environnement. La redistribution des recettes peut s’accompagner de mesures qui permettent de combattre d’éventuels effets sociaux. On peut songer, par exemple, à des réductions d’impôt ou à une rétrocession aux ménages concernés. On peut éviter des pertes de compétitivité en réduisant la taxe pour les secteurs exposés, comme les industries énergivores ou l’industrie d’exportation. Ces dérogations devraient cependant être réfléchies; les réductions partielles sont préférables aux exemptions totales. Les dérogations devraient, en outre, être liées à des conditions et à un devoir d’informer. Il importe de vérifier régulièrement les progrès, ce qui donne l’occasion de s’interroger sur la nécessité d’une nouvelle réforme. En effet, non seulement le contexte peut changer, mais aussi les objectifs et les besoins de la Suisse.

  1. Le présent article se fonde sur un rapport de l’Institute for European Environmental Policy (IEEP) destiné au Secrétariat d’État à l’économie (Seco) et à l’Administration fédérale des finances (AFF). Ce rapport est consacré aux «Expériences internationales en matière de réforme écologique de la fiscalité». Il a été publié en 2013 et peut être consulté à l’adresse suivante: http://www.ieep.eu/publications/2013/10/evaluating-international-experiences-with-environmental-tax-reform. []
  2. Conseil du bâtiment durable du Canada: www.cagbc.org/cbdca. []

Autoroute à Munich, Allemagne (réforme fiscale à caractère écologique en 1999).

Port à Helsinki, Finlande (taxe CO2 depuis 1990).

Lac dans le parc national Yoho (Colombie britannique), la province canadienne est dotée d’une taxe CO2 depuis 2008.

Proposition de citation: Patrick ten Brink ; Sirini Withana ; (2015). Taxes CO2 et redevances climatiques: les leçons de l’étranger. La Vie économique, 22 mai.