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L’accord révisé sur les marchés publics permet d’harmoniser la législation interne

La révision de la loi fédérale sur les marchés publics fait actuellement l’objet d'une consultation. Il s'agit de l'adapter à l’AMP (2012) et d'harmoniser les différents droits publics suisses concernés.

L’accord révisé sur les marchés publics permet d’harmoniser la législation interne

Pose de cables dans le nouveau siège de Postfinance à Berne. La Confédération est propriétaire de sa maison mère, La Poste suisse.

L’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) inclut un Accord sur les marchés publics (AMP), signé le 15 avril 1994 à Marrakech et entré en vigueur le 1er janvier 1996[1]. L’AMP est un traité plurilatéral, ce qui signifie que tous les membres de l’organisation n’en sont pas signataires. Il compte actuellement quinze parties comprenant 43 membres de l’OMC, dont les 28 États de l’UE (considérés comme une seule partie)[2]. La participation restreinte à l’AMP illustre le fait que l’ouverture des marchés publics à la concurrence internationale est une préoccupation récente de la coopération économique internationale. L’AMP vise à assurer le bon fonctionnement de la concurrence entre soumissionnaires des parties, en vue d’optimiser l’emploi des ressources de l’État.

Droit suisse et AMP: de la transposition à l’harmonisation


L’AMP est le fondement international du droit suisse des marchés publics. Sa mise en œuvre avait donné naissance, en 1994, à la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) et à son ordonnance sur les marchés publics (OMP). L’AMP a été transposé au niveau infrafédéral dans l’Accord intercantonal sur les marchés publics (AiMP) et ses directives d’exécution non contraignantes.
Les règles de l’AMP s’appliquent à l’Accord bilatéral UE-Suisse sur certains aspects des marchés publics du 21 juin 1999 dont l’objectif était d’étendre le champ d’application de l’AMP à des entités adjudicatrices que l’UE et la Suisse ne couvrent pas dans les listes d’engagements à l’OMC.: il faut surtout comprendre par là les districts, les communes ainsi que les entreprises de transport ferroviaire et d’infrastructures opérant sur la base d’un droit exclusif d’exploitation (aéroports, eaux, énergie, transports urbains et par câbles, etc.).
Depuis 2006, certains accords de libre-échange conclus par la Suisse contiennent également des engagements similaires à ceux de l’AMP révisé. Les pays concernés sont les suivants: Colombie, Pérou, Conseil de coopération du Golfe, Ukraine et certains États d’Amérique centrale (Panama, Costa Rica et Guatemala)[3].
La révision de l’AMP (1994), engagée en 1997, poursuivait trois objectifs:

  1. améliorer la discipline de l’accord;
  2. étendre sa couverture;
  3. accroître les possibilités d’accès aux marchés.


L’AMP révisé ou AMP (2012) a été formellement adopté le 30 mars 2012. Il est entré en vigueur le 6 avril 2014 après que les deux tiers des parties ont déposé leurs instruments d’acceptation auprès du directeur général de l’OMC à Genève. À ce jour, la Corée du Sud et la Suisse ne l’ont pas encore ratifié. La Confédération et les cantons ont profité de l’adoption de l’AMP(2012) non seulement pour transposer les nouvelles règles de l’AMP dans leurs législations respectives mais aussi pour harmoniser les droits fédéral et cantonaux des achats publics. Avant que ce projet n’aboutisse, la Suisse ne peut pas ratifier l’AMP(2012). Jusque-là, elle reste soumise aux règles de l’AMP(1994).

Une révision bénéfique au marché intérieur


L’application de l’AMP(2012) améliorera les conditions de concurrence, de gouvernance et de sécurité du droit suisse. Sa transposition dans le droit interne rapprochera le régime des marchés publics au niveau fédéral et cantonal, ce qui confortera les objectifs de la loi sur le marché intérieur (LMI).

Principes, instruments et règles


Les parties à l’AMP(2012) s’engagent, pour l’ensemble des marchés publics, à respecter les principes de la non-discrimination et du traitement national, et à éliminer ou à limiter la portée des mesures discriminatoires qui faussent la concurrence et la passation des marchés. Pour promouvoir une gestion efficiente des ressources publiques, l’accord encourage la transparence des procédures et le recours aux moyens électroniques. L’AMP (2012) est le premier accord de l’OMC à instaurer une base légale pour combattre la corruption et les conflits d’intérêts. Autre innovation: il améliore la prévisibilité et la clarté des cadres légaux nationaux, notamment par le biais des exigences nouvelles relatives aux avis de marché et à la documentation des appels d’offres. L’AMP (2012) instaure des règles qui ne laissent pas de marge d’interprétation et qui devraient harmoniser les législations des parties prenantes. En même temps, il tient compte des besoins spécifiques de ses membres: ainsi, il assouplit la procédure de passation des marchés par la négociation ou permet le recours aux enchères électroniques.

Les engagements au titre de l’accès aux marchés


L’AMP (2012) n’est applicable que si un marché public atteint les valeurs seuils définies dans les listes d’engagement des parties. Aucun seuil n’a augmenté[4]. C’est aussi la réciprocité et non l’instrument de la nation la plus favorisée (NPF) qui définit le champ de l’accès aux marchés publics. L’étendue de l’accès au marché figure dans les listes d’engagement des parties. Ces listes énumèrent les entités acheteuses de même que le type de marchandises et de services (y compris de construction) soumis par une partie aux règles de l’accord.

Principaux engagements additionnels des parties de l’AMP(2012)


Les engagements d’accès au marché additionnels résultant de l’AMP(2012) relèvent principalement des domaines suivants:

  • les valeurs seuils pour certains marchés sont réduites dans quatre pays (Japon, Corée, Israël, Aruba);
  • une centaine de nouvelles entités acheteuses sont couvertes;
  • soumission à l’Accord des services de construction par toutes les parties;
  • soumission des concessions de travaux par certaines parties (UE, Corée);
  • soumission des acquisitions des provinces du Canada;
  • soumission des acquisitions de cinq villes japonaises comptant environ 5,7 millions d’habitants;
  • soumission de cinquante services additionnels, parmi lesquels les services de télécommunication offerts par neuf parties;
  • soumission du secteur ferroviaire de l’UE;
  • soumission des marchés des transports urbains en Corée et en Israël.


Selon le secrétariat de l’OMC, cette extension se situe dans une fourchette de 80 à 100 milliards d’USD par an, qui s’ajoutent aux quelque 1600 milliards d’USD actuels. Les soumissionnaires suisses ne pourront bénéficier juridiquement de l’accès additionnel que lorsque l’AMP (2012) entrera en vigueur dans la Confédération.

Principaux engagements additionnels de la Suisse au titre de l’AMP(2012)


La Suisse a pris les engagements additionnels suivants:

  • soumission des tribunaux fédéraux;
  • ouverture aux soumissionnaires du Canada des marchés publics cantonaux en contrepartie d’un accès aux marchés des provinces canadiennes;
  • élargissement, d’un côté, de la portée de ses engagements figurant sur la liste positive dans les domaines des produits chimiques, des produits en caoutchouc, des peaux et ouvrages en cuir, des textiles et des chaussures, et réduction, de l’autre, de ses engagements dans le domaine des machines et du matériel électrique;
  • développement de ses engagements à tous les services de construction qui n’étaient pas couverts par l’AMP (1994) de même qu’à onze nouveaux services (sur une base réciproque).
    Par contre, la Suisse a clairement établi que les achats effectués par ses entités au bénéfice d’un droit exclusif pour la fourniture de biens et de services – tels que l’eau potable ou l’énergie – ne sont pas couverts par l’accord.

L’élimination des discriminations


Les parties ont approuvé cinq programmes de travail thématiques: 1) pour les petites et moyennes entreprises (PME), 2) pour l’établissement et la communication de données statistiques, 3) pour les marchés publics durables, 4) pour les exclusions, 5) pour les restrictions et normes de sécurité dans les marchés publics soumis à l’AMP. Ces programmes n’entraînent pas, dans l’immédiat, d’adaptations de la législation suisse. Ils démontrent plutôt qu’il existe des sujets ne faisant pas l’objet d’un consensus et que les parties à l’accord s’engagent à travailler dans le cadre de mandats concrets pour résoudre les problèmes.

Une chance pour la Suisse


La transposition de l’AMP (2012) dans le droit national permet à la Suisse de disposer d’un régime des marchés publics conforme aux exigences des trois sources du droit international des marchés publics: l’AMP (2012), l’Accord bilatéral UE-Suisse sur les marchés publics et les accords de libre-échange conclus par la Suisse avec les pays tiers (bilatéralement ou dans le cadre de l’AELE) qui ne sont pas signataires de l’AMP. La révision de 2012 apparaît comme un instrument destiné à renforcer le cadre concurrentiel et la sécurité du droit en Suisse. Elle conforte également les objectifs de la LMI, tout en réduisant les divergences entre les législations fédérale et intercantonale. L’AMP (2012) crée, de surcroît, des perspectives d’ouverture à de nouveaux marchés. Enfin, ses règles de coopération ouvrent des possibilités d’adhésion facilitée à de nouveaux membres, ce qui offrira aux soumissionnaires suisses des chances inédites d’accès à d’autres marchés et de création d’activités. La Suisse bénéficiera de l’AMP (2012), mais elle doit le ratifier dans les meilleurs délais pour garder sa crédibilité et sa voix au chapitre.

  1. www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/gproc_f.htm. []
  2. https://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/memobs_f.htm. []
  3. www.efta.int/legal-texts/free-trade-relations. []
  4. En 2006, la Suisse avait proposé d’augmenter de 130 000 à 200 000 DTS les seuils applicables aux achats de services réalisés par des entités de l’administration fédérale. Après consultation des secteurs économiques concernés, elle est revenue en 2008 au seuil initial. []

Proposition de citation: Patrick Leduc (2015). L’accord révisé sur les marchés publics permet d’harmoniser la législation interne. La Vie économique, 24 juin.