Rechercher

Comment se répercute le chômage sur la suite du parcours professionnel?

L’arrivée en fin de droits marque souvent un tournant dans la vie des chômeurs. La grande majorité d’entre eux finissent par retrouver un travail, mais ils doivent accepter une baisse de salaire.
Taille de la police
100%

De nombreuses études montrent qu'une réintégration professionnelle rapide et durable est nécessaire si on veut éviter des pertes de salaire.

Les périodes de chômage relativement courtes n’exercent presque aucun impact sur la carrière d’une personne, tandis que les périodes plus longues et plus fréquentes ont tendance à l’influencer négativement. Une grande partie des personnes qui tombent au chômage plusieurs fois en une année ou sur un temps plus long retrouvent tout de même un emploi, parfois après une interruption d’activité.
Le présent article propose un résumé des différentes études ayant analysé le rapport entre carrière et chômage en Suisse. Au cours des dernières années, ces études se sont davantage appuyées sur des données longitudinales relatives aux parcours professionnels, obtenues en couplant les données de l’assurance-chômage (AC), de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), de l’assurance-invalidité (AI), de la statistique de l’aide sociale et de l’enquête suisse sur la population active (Espa).

Le chômage constitue une rupture dans la carrière professionnelle


Les périodes de chômage involontaire peuvent être considérées comme des ruptures dans la carrière professionnelle. D’un point de vue théorique, il faut donc a priori s’attendre à ce qu’elles aient des conséquences néfastes. En cas de chômage – que ce soit au terme d’une formation, à la suite d’un licenciement ou à l’expiration d’un contrat de durée déterminée –, on observe deux effets contradictoires. D’un côté, une recherche d’emploi prolongée tend à augmenter la probabilité de décrocher un poste correspondant aux compétences et aux attentes de la personne, notamment pour ce qui est du salaire et du lieu de travail.
D’un autre côté, des connaissances utiles sur le marché du travail s’estompent à mesure que la recherche d’emploi se prolonge. Dans certaines circonstances, une longue période de recherche est en outre interprétée défavorablement par les employeurs potentiels, ce qui peut entraîner une stigmatisation. En se basant sur ces considérations théoriques, on peut donc s’attendre à ce que les périodes de chômage, en particulier celles qui sont longues ou fréquentes, ne soient fortement préjudiciables au parcours professionnel à long terme. Les enquêtes réalisées sur le terrain confirment cette hypothèse.

La majorité des bénéficiaires d’indemnités retrouvent un poste


Selon les résultats d’une étude réalisée en 2013 par l’entreprise de conseil et de recherche Ecoplan sur mandat du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), la majorité des bénéficiaires d’indemnités de chômage finissent par retrouver un emploi. Les auteurs de l’étude ont analysé le parcours professionnel de personnes ayant perçu au moins une fois des indemnités journalières de l’AC entre 1993 et 2010. À cette fin, les données de l’AC ont été mises en relation avec celles du registre AVS, ce qui a permis de reconstruire le parcours professionnel de 850 000 personnes.
Les trois quarts des personnes qui ne touchaient plus d’indemnités journalières de l’AC en décembre 2010 ont repris une activité professionnelle au terme de leur période de chômage (voir illustration 1). En outre, 9% d’entre elles ont retrouvé un poste après être arrivées en fin de droits et 5% ont réintégré le monde du travail après une interruption volontaire de leur activité professionnelle. Près de 90% des personnes sont ainsi redevenues des actifs occupés après une phase de chômage.
Une personne sur dix s’est, par ailleurs, retirée du marché du travail. Soit elle est arrivée en fin de droits et n’a pas retrouvé de poste durant la période considérée (5%), soit elle a interrompu sa recherche d’emploi avant l’épuisement de son droit à l’indemnisation (6%).

Ill. 1. Situation des chômeurs (arrivés en fin de droits)




Remarque: période étudiée: 1993 à 2010. N = 850 000 personnes. Environ 8% des personnes concernées se trouvaient au chômage à la fin de la période considérée. Elles ne sont pas prises en considération dans ce graphique, étant donné que leur statut professionnel futur n’était pas encore connu.

Source: Ecoplan (2013), calculs Bocherens et Weber / La Vie économique

Les chances de réintégrer le marché du travail dépendent fortement de la durée du chômage. Parmi les personnes ayant touché des indemnités durant moins de six mois, seules 6% se sont retirées complètement du marché du travail. Parmi celles ayant passé une fois plus de six mois au chômage ou ayant connu plusieurs phases de chômage durant la période considérée, 14% ne figurent plus parmi les actifs occupés.
L’étude Ecoplan montre que la probabilité de retrouver une activité professionnelle dépend également de la fréquence du chômage. L’âge, une nationalité étrangère, un faible niveau de qualification, un emploi dans la production ou la construction et un domicile situé en Suisse romande ou au Tessin ont une influence néfaste sur les chances de réintégration. L’expérience montre que ces mêmes facteurs s’accompagnent d’une durée de chômage supérieure. Ces constats soulignent l’importance de favoriser la réintégration rapide et durable des assurés sur le marché du travail par le biais de l’AC, comme le prévoit d’ailleurs la loi sur l’assurance-chômage (LACI).

De longues phases de chômage provoquent des pertes de salaire


Hormis les chances de réintégration, les auteurs de l’étude ont également examiné les conséquences du chômage à court et à moyen termes sur le revenu professionnel: alors que ce dernier reste stable jusqu’à trois mois de chômage, il diminue de 1,8% pour une période de quatre à six mois et de 5,4% pour sept à douze mois. La baisse de salaire est nettement plus importante après un à deux ans de chômage, puisqu’elle atteint 22%. La perte peut, enfin, être de 30% entre deux et cinq ans de chômage. Dans de nombreux cas, cette baisse intervient après l’arrivée en fin de droits, les demandeurs d’emploi étant de plus en plus contraints d’accepter des salaires moindres.
La perte de salaire peut, toutefois, être compensée. Lors de la réintégration dans le monde professionnel, une croissance accélérée du revenu permet de rattraper en partie le retard enregistré. Là aussi, la légère perte de salaire induite par des phases de chômage courtes est, en temps normal, entièrement compensée à long terme. Ce n’est pas le cas lorsque le chômage se prolonge.
La durée de perception des indemnités de chômage joue donc un rôle important dans la capacité d’adaptation des salaires aux réalités du marché du travail. Une protection trop courte du revenu par l’AC peut se traduire par une détérioration excessive du revenu. À l’inverse, si cette durée est trop longue, les adaptations nécessaires risquent d’être repoussées à un horizon trop lointain, ce qui implique des baisses d’autant plus fortes[1].

Quatre chômeurs en fin de droits sur cinq restent actifs sur le marché du travail


Dans une étude parue en 2014, l’Office fédéral de la statistique (OFS) se penche sur la situation des personnes ayant complètement épuisé leurs droits aux prestations de chômage. La conclusion est la même que pour Ecoplan: une grande partie de ceux qui ont retrouvé un poste ont dû accepter aussi bien un changement de profession qu’une baisse de salaire. Les dernières données montrent qu’environ 10% des personnes concernées cherchent toujours un emploi cinq ans après être arrivées en fin de droits, tandis que quelque 20% se sont retirées du marché du travail et que les 70% restantes ont retrouvé du travail. Une comparaison avec des enquêtes précédentes montre que cette situation n’a guère évolué depuis une vingtaine d’années. Elles sont toutes quasiment d’accord: environ un an après l’arrivée en fin de droits, la moitié des personnes concernées retrouvent un poste. Ce pourcentage ne s’est réduit qu’une seule fois: en 1997, lorsque la situation sur le marché du travail était particulièrement difficile (voir encadré 2).
Les groupes à risques sont également demeurés les mêmes, soit les personnes âgées, les étrangers et les travailleurs faiblement qualifiées. Ceux-là sont les plus susceptibles d’épuiser tous leurs droits. Cette constatation s’applique aussi aux femmes et aux personnes seules, avec ou sans enfant.

L’aide sociale s’ajoute aux indemnités de l’AC pour 14% des chômeurs


Étant donné que le risque d’une réduction permanente du revenu augmente avec la durée du chômage, il convient d’examiner si les chômeurs doivent également avoir recours à des prestations d’autres institutions de la sécurité sociale avant, pendant et après le chômage. Fluder et al. (2014) ont examiné cette question, sur mandat du Seco, pour les chômeurs qui ont commencé à recevoir des indemnités de l’AC en 2005. Ces personnes ont été suivies jusqu’en 2010, soit durant cinq à six ans.

Au cours de la période étudiée, la grande majorité des bénéficiaires d’indemnités de chômage (86%) ont seulement recouru aux prestations de l’AC. Les 14% restants ont également bénéficié de prestations de l’aide sociale avant, pendant et après le chômage. Les principaux facteurs qui favorisent le recours à l’aide sociale sont la situation familiale (bénéficiaires ayant des personnes à charge, personnes divorcées), l’origine (étrangers en dehors de l’UE et de l’AELE), la région linguistique (Tessin et Suisse romande), l’âge et un faible niveau de qualification.

Environ 20% des nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale ont déjà eu recours à l’AC


La combinaison des données de l’aide sociale, de l’assurance-invalidité et de l’assurance-chômage (AS-AI-AC), proposée depuis 2006 par l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas), permet de suivre année après année les interactions entre les systèmes de sécurité sociale. Il ressort du suivi réalisé entre 2006 et 2013 que, chaque année, entre 9000 et 15 500 nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale, soit entre 22 et 32% des nouvelles inscriptions annuelles, percevaient des indemnités de chômage une année plus tôt (voir illustration 2).
Les nouvelles inscriptions ont atteint un pic durant les années 2006 et 2011, qui ont suivi des phases de chômage élevé. En 2011, le nombre de nouveaux bénéficiaires a en outre augmenté à la suite de la révision de la LACI, la durée maximale de perception des indemnités ayant été réduite pour différents groupes d’assurés à partir d’avril 2011. La situation s’est ensuite normalisée en 2012.

Ill. 2. Nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale (ayant auparavant perçu des indemnités de l’AC)




Remarque: sont représentées les personnes qui ont bénéficié de prestations de l’AC l’année précédente.

Source: OFAS / AS-AI-AC / La Vie économique

À la lumière des résultats des études réalisées, l’objectif du service public de l’emploi de promouvoir une intégration rapide et durable des assurés sur le marché du travail demeure pertinent. Les données disponibles à ce jour permettent d’analyser en profondeur les interactions entre les systèmes de prestations des assurances sociales et de veiller à une meilleure coordination entre les différentes prestations et mesures d’aide, augmentant ainsi l’efficacité du système dans son ensemble.

  1. Degen et Lalive (2013) plaident également en faveur d’un juste milieu dans leur étude consacrée à la réduction, lors de la révision de 2004 de la LACI, de la période maximale d’indemnisation pour les demandeurs d’emploi âgés. []

Une étude d'Ecoplan, datant de 2013, montre qu'après une phase de chômage, neuf personnes sur dix retrouvent un emploi.


Bibliographie

 Aeppli Daniel C., “La situation des chômeurs en fin de droits en Suisse – Quatrième étude”, publication du SECO, Politique du marché du travail, n° 21, Berne, 2006.
 OFS, Situation des personnes arrivées en fin de droits, Actualités OFS, Neuchâtel, novembre 2014.
 Degen Kathrin et Lalive Rafael, How Do Reductions in Potential Benefit Duration Affect Medium-Run Earnings and Employment?, manuscrit, université de Lausanne, 2013.
 Ecoplan, “Auswirkungen der Arbeitslosigkeit auf Einkommen und Erwerbsbiografien”, publication du SECO, Politique du marché du travail, n° 34, Berne, 2013.
 Fluder Robert, Fritschi Tobias et Salzgeber Renate, “Dépendre à long terme des prestations sociales: un risque pour certains groupes de chômeurs”, La Vie économique, 4-2014, pp. 32-35.


Bibliographie

 Aeppli Daniel C., “La situation des chômeurs en fin de droits en Suisse – Quatrième étude”, publication du SECO, Politique du marché du travail, n° 21, Berne, 2006.
 OFS, Situation des personnes arrivées en fin de droits, Actualités OFS, Neuchâtel, novembre 2014.
 Degen Kathrin et Lalive Rafael, How Do Reductions in Potential Benefit Duration Affect Medium-Run Earnings and Employment?, manuscrit, université de Lausanne, 2013.
 Ecoplan, “Auswirkungen der Arbeitslosigkeit auf Einkommen und Erwerbsbiografien”, publication du SECO, Politique du marché du travail, n° 34, Berne, 2013.
 Fluder Robert, Fritschi Tobias et Salzgeber Renate, “Dépendre à long terme des prestations sociales: un risque pour certains groupes de chômeurs”, La Vie économique, 4-2014, pp. 32-35.

Proposition de citation: Bocherens, Elischa; Weber, Bernhard (2015). Comment se répercute le chômage sur la suite du parcours professionnel? La Vie économique, 23. juillet.

Qui peut prétendre aux prestations de l'AC

Pour avoir droit aux indemnités-chômage, un personne immatriculée à l’AC doit avoir cotisé un minimum de douze mois dans les deux ans qui précède son inscription. Les cotisations ne sont pas perceptibles dans certains cas: formation, divorce, retour de l’étranger, etc. D’après la loi sur l’assurance-chômage (LACI), la durée maximale d’indemnisation est de deux ans. Ce délai-cadre varie de quatre mois (personnes libérées des conditions de cotisation) à 24 mois en fonction du nombre de cotisations versées, de l’âge et des obligations d’entretien par rapport à ses enfants À la fin du délai-cadre ou lorsque la durée maximale d’indemnisation est épuisée, l’assuré est considéré en fin de droits (voir la FAQ, sous www.espace-emploi.ch/arbeitslos/FAQ).

La base de données Sesam facilite l’analyse

Entre 1996 et 2006, quatre études ont été réalisées sur la situation des personnes en fin de droits Les données relatives à la situation professionnelle et salariale de ces personnes ont été relevées au moyen d’un questionnaire spéciala. Depuis 2004, les données de l’enquête suisse sur la population active (Espa), menée par l’OFS, peuvent être analysées en combinaison avec des informations issues des registres de l’AC. Cette base de données, appelée «Protection sociale et marché du travail» (Sesam), permet d’examiner plus facilement la situation professionnelle des personnes arrivées en fin de droits. Deux études de l’OFS (2009 et 2014) se fondent sur Sesam.

a Aeppli (2006), la dernière étude ayant été réalisée durant cette période.