Les propriétaires assument des risques d’intérêt élevés à long terme
Les ménages très endettés disposent rarement de réserves pour compenser la baisse du prix des maisons.
En Suisse, le marché hypothécaire s’est fortement développé ces dernières années. Le volume des crédits octroyés entre 2000 et 2012 a ainsi frisé les 860 milliards de francs. Une telle expansion est remarquable si l’on songe que le produit intérieur brut n’a progressé dans le même temps que d’un tiers environ.
Le faible niveau des taux d’intérêt et la hausse des prix de l’immobilier comportent toutefois des risques : une progression des taux se traduirait par une baisse de la viabilité des crédits et la possibilité que les emprunteurs ne puissent plus honorer leurs échéances régulières. La baisse des prix de l’immobilier augmenterait, en outre, leur degré d’endettement. Elle pourrait rendre impossible un financement relais adossé aux hypothèques existantes si la valeur de la maison tombait au-dessous du volume de crédit en cours. Étant donné que le portefeuille crédits de la plupart des banques en Suisse est pour une large part de type hypothécaire, une diminution sensible de ce type de crédit frapperait durement le secteur.
Une étude de l’université de Saint-Gall[1] a tenté d’évaluer l’ampleur à moyen et à long termes de ces risques liés aux intérêts et au prix de l’immobilier. Elle a également cherché à cerner les facteurs qui déterminent le choix de crédits hypothécaires particulièrement risqués. Elle s’est appuyée à cette fin sur un échantillon aléatoire de 325 demandes émises pour des habitations individuelles et déposées en Suisse alémanique entre septembre 2012 et janvier 2014. Dans cet échantillon, les jeunes ménages faisant partie de la tranche supérieure des revenus et vivant en zone urbaine sont surreprésentés. Il s’agit donc du groupe d’emprunteurs hypothécaires qui seraient le plus touchés par la baisse des prix de l’immobilier.
Selon les résultats, il apparaît qu’à court et à moyen termes, une forte remontée des taux et une baisse des prix de l’immobilier ne se traduiraient que par un modeste recul des crédits. Une hausse prolongée des taux et une baisse durable des prix de l’immobilier pourraient entraîner, en revanche, un recul important. À l’échelon individuel, ces considérations paraissent toutefois jouer un rôle mineur comparées au coût du crédit hypothécaire.
Un cinquième des propriétaires privés menacés en cas de hausse à long terme des taux d’intérêt
Pour quantifier le risque lié au taux d’intérêt, les auteurs de l’étude ont cherché à déterminer si les propriétaires d’un logement individuel pourraient encore maîtriser leurs charges hypothécaires en cas de progression durable des taux à 5 % sur une durée de cinq ans. Selon l’étude, les charges annuelles, comprenant les intérêts et l’amortissement, ne sont pas maîtrisables si elles dépassent le tiers du revenu mensuel du ménage.
Afin de déterminer la viabilité d’un crédit hypothécaire, l’étude procède à un premier calcul qui tient compte des coûts y afférents – soit les charges d’intérêt (5 % du crédit) et les frais d’entretien du bien immobilier (1 % du prix de la maison) – et les rapporte au revenu annuel total de l’emprunteur. Il apparaît alors que 6 % seulement de l’ensemble des emprunteurs auraient des obligations de paiement dépassant le tiers de leur revenu annuel total. Si l’on inclut en outre un montant d’amortissement correspondant à environ 1 % du crédit octroyé, cette proportion atteint près d’un cinquième (voir illustration 1). Elle s’élève à un tiers environ dans le cas où seul le revenu fixe de l’activité lucrative du preneur – et non son revenu global – serait retenu[2]. Si, lors de demandes de crédit communes, le salaire principal est uniquement pris en considération (celui d’un conjoint par exemple), le risque passe même à deux tiers.
Ill. 1: Maîtrise d’une hypothèque pour l’emprunteur (4 scénarios)
5 % de charges d’intérêt plus 1 % de frais d’entretien (rapportés au revenu total)
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5 % de charges d’intérêt plus 1 % de frais d’entretien plus 1 % d’amortissement (rapportés au revenu total)
5 % de charges d’intérêt plus 1 % de frais d’entretien plus 1 % d’amortissement (rapportés au revenu fixe de l’activité lucrative)
5 % de charges d’intérêt plus 1 % de frais d’entretien plus 1 % d’amortissement (rapportés au revenu du salaire principal)
Remarque: les crédits sont considérés comme non maîtrisables si les charges hypothécaires annuelles, composées des intérêts et de l’amortissement, dépassent un tiers du revenu annuel du ménage. N=325.
Source: Guin et Brown / La Vie économique
Si les variations d’intérêt à court terme n’ont pas d’effet immédiat sur la viabilité des charges de longue durée (à taux fixes), elles peuvent exercer une influence sur les hypothèques de courte durée (à taux d’intérêt variables ou fixes). Il apparaît que plus de 60% des crédits faiblement maîtrisés se caractérisent par un taux d’intérêt fixe et une durée de plus de cinq ans. On peut donc admettre qu’une progression des taux à court et à moyen termes n’aurait qu’un faible effet agrégé sur la solvabilité des emprunteurs. En revanche, une progression durable des intérêts serait susceptible de mettre en difficulté nombre de nouveaux propriétaires de leur logement.
Un quart des preneurs de crédit sont fortement endettés
Pour déterminer le risque endossé sur le prix d’une maison, les auteurs évaluent la proportion d’emprunteurs qui présentent un taux d’endettement particulièrement élevé. Pour ce faire, ils comparent le volume de crédit hypothécaire de chaque emprunteur au prix de la maison (voir illustration 2). Sont considérés comme hautement endettés les preneurs de crédit pour lesquels ce rapport est supérieur à 80%.
Ill. 2: Degré d’endettement des preneurs de crédit
Volume de crédit hypothécaire rapporté au prix de la maison
Volume de crédit rapporté au prix de la maison et aux autres sûretés
Source: Brown et Guin / La Vie économique
Selon cette définition, environ un quart des emprunteurs sont hautement endettés. Si l’on tient compte de sécurités supplémentaires telles que titres ou assurances-vie, cette proportion se réduit à un cinquième environ. Les ménages qui se trouvent dans cette situation ne disposent que rarement d’autres actifs susceptibles de compenser la baisse du prix des maisons.
Lorsque les prix de l’immobilier sont à la baisse, les emprunteurs en difficulté sont ceux qui doivent refinancer leur hypothèque à court terme et qui ne disposent pas d’autres fortunes pouvant constituer un capital propre susceptible d’être donné en gage. C’est pourquoi l’analyse de l’échéance du risque sur le prix d’une maison a pris en compte aussi bien la durée de l’hypothèque que les autres biens du preneur de crédit.
Rares sont les emprunteurs qui ont à la fois une hypothèque de courte durée et un faible patrimoine. Par conséquent, la forte baisse des prix des maisons n’aurait à brève et moyenne échéances que des incidences relativement mineures sur leur solvabilité.
Les risques de taux d’intérêt jouent un rôle secondaire
De quels facteurs dépend le choix de crédits hypothécaires particulièrement risqués ? Pour répondre à cette question, les auteurs ont notamment étudié le rôle joué par les attentes individuelles en matière de taux d’intérêt, l’aversion individuelle au risque et l’évolution régionale des prix des maisons. Les crédits à taux variable et ceux dont la durée est inférieure à cinq ans sont considérés dans l’étude comme particulièrement risqués.
Alors que les attentes individuelles en matière de taux d’intérêt ne semblent pas avoir d’influence sur le choix de l’hypothèque, il ressort de l’étude que les ménages habitant dans des régions où les prix des maisons sont relativement élevés privilégient les hypothèques à court terme. Comme celles-ci impliquent en général des coûts d’intérêt réduits, on peut admettre que les considérations d’accessibilité l’emportent sur les facteurs de risque dans le choix d’une hypothèque.
Proposition de citation: Brown, Martin; Guin, Benjamin (2015). Les propriétaires assument des risques d’intérêt élevés à long terme. La Vie économique, 24. septembre.