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« En matière de dépenses, nous adaptons nos désirs à nos moyens »

Dans un entretien avec La Vie économique, Serge Gaillard évoque la situation financière de la Confédération et les programmes d’économie. Le directeur de l’Administration fédérale des finances explique également pourquoi la Confédération renonce à des recettes à travers la troisième réforme de l’imposition des entreprises.

« En matière de dépenses, nous adaptons nos désirs à nos moyens »

Le directeur de l'Administration fédérale des finances, Serge Gaillard, dans l'escalier du Bernerhof, où se trouvent ses services.
Monsieur Gaillard, la Confédération a enregistré l’an dernier son premier déficit depuis 2005. Ces prochaines années, elle devrait rester dans les chiffres rouges. La situation financière vous inquiète-t-elle ?

Non, nous avons terminé le dernier exercice sur un résultat proche de l’équilibre, au lieu d’être dans les chiffres noirs. La situation financière de la Confédération est toujours bonne dans l’ensemble.

Que faut-il faire maintenant ?

Après deux hausses du franc suisse, la croissance économique s’est nettement ralentie. Cela a également freiné la progression des recettes. Nous devons en tenir compte. En matière de dépenses, nous adaptons nos désirs à nos moyens.

Le prochain programme d’économie sera mis en consultation en novembre et s’appliquera dès 2017. Quels départements devront économiser le plus ?

Dans le budget 2016, nous avons déjà économisé plus de 1 milliard de francs par rapport au plan financier, afin de respecter le frein à l’endettement. Pour les années 2017-2019, il faudra encore réduire les dépenses de 800 millions à 1 milliard. Le Conseil fédéral a réparti les mesures d’économies entre les départements. Les objectifs sont un peu plus élevés que nécessaire, de manière à ce que le Conseil fédéral puisse fixer des priorités sur la base de propositions concrètes. Tous les départements devront faire des sacrifices. Toutefois, les dépenses continueront d’augmenter globalement.

Le personnel de la Confédération y laissera également des plumes. Le Conseil fédéral a annoncé qu’à partir de 2016, les hausses de salaires et les primes de prestations diminueront. D’autres menaces pèsent-elles sur les employés de la Confédération ?

L’effectif du personnel fédéral a fortement augmenté ces dernières années, en raison des nouvelles tâches et des internalisations, en particulier dans le domaine informatique. Le Parlement exige maintenant une stabilisation. C’est pourquoi les frais de personnel se situeront en 2016 à peu près au même niveau que cette année. En 2017, ils diminueront légèrement.

Les salaires qui augmentent automatiquement chaque année pour le personnel de la Confédération appartiendront-ils bientôt au passé ?

Non. Pour les collaborateurs qui n’avaient pas encore atteint le plafond de leur classe de salaire, la progression était jusqu’ici d’environ 3% si leur évaluation était normale. C’était très généreux, au regard de la faible inflation et des maigres hausses salariales de l’économie privée. Une réduction de ces augmentations automatiques se justifie.

Les recettes de l’impôt fédéral direct stagnent depuis 2009. L’an dernier, elles ont atteint 2,1 milliards de moins que ce qui était inscrit au budget. Il y a plusieurs causes à cela : la force du franc, la conjoncture morose, la diminution des implantations d’entreprises et les réformes fiscales antérieures. Quelle est la raison principale, d’après vous ?

L’évolution économique. Après la crise financière, la force du franc a pesé sur la croissance, ce qui s’est répercuté sur les recettes fiscales. Les pertes des entreprises ont également un impact, mais décalé. On peut, en effet, les déduire jusqu’à sept ans après. Une appréciation de la monnaie réduit les marges de toutes les entreprises confrontées à la concurrence internationale. De plus, le taux de change réduit les gains réalisés à l’étranger.

Ce n’est donc pas la deuxième réforme de l’imposition des entreprises qui a provoqué la diminution des recettes ? Pourtant, le produit de l’impôt fédéral direct stagne depuis l’introduction de cette réforme.

La réforme de l’imposition des entreprises a fait baisser les recettes dans une certaine mesure. La diminution oscille entre 300 et 400 millions de francs, selon les estimations de l’Administration fédérale des contributions. Des réformes fiscales ont également bénéficié aux familles, qui ont économisé environ 800 millions de francs. Pour l’imposition des entreprises, le fait que les implantations de sociétés aient reculé depuis 2008 est également important. Cette évolution s’explique notamment par le niveau élevé et la forte croissance des coûts administratifs que doivent assumer les multinationales en Suisse. L’incertitude relative aux futurs régimes fiscaux a peut-être joué aussi un rôle. À cela s’ajoute une tendance croissante au niveau international : on veille aujourd’hui davantage à ce que les bénéfices des entreprises soient imposés dans le pays où ils sont réalisés.

L’importante perte subie par la Banque nationale suisse au premier semestre 2015 a relancé le débat sur la distribution de son bénéfice à la Confédération et aux cantons. Que représente ce versement pour la Confédération ?

La Confédération ne dépend pas du bénéfice que lui verse la banque nationale. Dans une période où l’on doit faire des économies, un montant de 333 millions de francs est toutefois un coup de pouce bienvenu. J’estime que la distribution du bénéfice n’est pas compromise à long terme. Le bilan de la BNS atteint presque 600 milliards de francs. Cela représente un rendement possible de 9 à 10 milliards de francs pour les intérêts et les dividendes. Cependant, la valeur des réserves de devises et de l’or fluctue considérablement. À court terme, cela peut entraîner des pertes ou des gains très élevés. Compte tenu de la provision nécessaire pour faire face à ces fluctuations, une distribution moyenne de 1 milliard de francs n’est pas particulièrement élevée.

Ill. Finances fédérales: le temps des grands excédents est révolu

Remarque : (1) estimation (2) budget.

Source : AFF / La Vie économique

Revenons au budget de la Confédération. Durant l’été 2014, le plan financier pour 2017 et 2018 prévoyait encore un excédent dépassant 1 milliard de francs. Comment la situation a-t-elle pu s’inverser aussi rapidement ?

Nous étions trop optimistes au sujet de l’évolution économique. Après la levée du taux plancher face à l’euro en début d’année, il a fallu profondément réviser les prévisions de croissance. Nous avons donc dû réduire de 2 milliards de francs les projections de recettes. En l’espace de trois mois, cela a provoqué des corrections à hauteur de 1 milliard de francs. Nous dépendons fortement de l’environnement économique.

Les prévisions erronées au sujet des rentrées fiscales ne sont donc pas dues uniquement à la conjoncture ?

Non, nous avons également été surpris par la faible croissance des recettes provenant des personnes physiques. C’est probablement parce que les hauts revenus n’augmentent plus aussi rapidement que durant les décennies précédentes. Peut-être même ont-ils été revus à la baisse. Cette hypothèse reste toutefois à vérifier.

Partez-vous de l’idée, comme le Groupe d’experts de la Confédération, que l’économie nationale peut s’adapter aux nouveaux taux de change sans plonger dans une profonde récession ?

Malgré les incertitudes qui pèsent sur les pays émergents, la situation de l’économie mondiale est bonne. Aux États-Unis, la croissance tourne autour des 3 % par an. En Europe, l’économie a fini par se redresser : nettement en Grande-Bretagne, un peu plus timidement dans la zone euro. Une des explications résident dans la chute des prix du pétrole, qui soutient la croissance en Europe et aux États-Unis. En outre, l’appréciation du dollar face à l’euro est positive pour l’économie européenne, car elle aide les exportateurs. Nous vivons dans un environnement économique international qui n’avait pas été aussi favorable depuis longtemps. Malheureusement, la Suisse s’en est déconnectée à cause de l’appréciation du franc. Une partie de l’essor économique mondial lui échappe donc.

Malgré le frein à l’endettement, les déficits budgétaires sont autorisés. Quand pensez-vous que la Suisse retrouvera une haute conjoncture, dans laquelle les déficits devront être compensés ?

En raison de la faible croissance, nous pouvons autoriser cette année et la suivante des déficits d’origine conjoncturelle. Le rythme de la reprise dépendra beaucoup de la manière dont le taux de change évoluera. D’après nos modèles actuels, nous pourrons générer en 2018 et en 2019 des excédents conjoncturels.

Cela semble optimiste. À supposer que les déficits restent d’actualité, devrait-on suspendre le frein à l’endettement pour quelques années ?

Le frein à l’endettement empêche les dépenses d’augmenter plus vite que les recettes à moyen terme. Durant des périodes extrêmement difficiles, il assure temporairement une certaine souplesse. Nous ne sommes pas dans ce cas-là. Nous n’avons pas de crise immobilière, la situation sur le marché de l’emploi est toujours bonne et les perspectives de l’économie mondiale sont favorables.

La réduction des dettes est-elle un objectif pour la Confédération ?

Le frein à l’endettement a pour but de stabiliser la dette en termes nominaux. Étant donné que, chaque année, les dépenses sont inférieures aux prévisions budgétaires, celle-ci diminue même légèrement dans la pratique. C’est une bonne chose. Un faible niveau d’endettement accroît la résistance d’une économie aux crises. Ces dernières années, nous avons réussi à réduire la dette de 20 milliards tout en investissant beaucoup et en augmentant les dépenses dans des domaines importants. Ce résultat provient surtout de la forte croissance économique, que la libre circulation des personnes a notamment rendue possible.

Reste à savoir si nous continuerons de profiter d’aussi bonnes conditions à l’avenir.

Le succès économique qu’a connu la Suisse ces dix dernières années résultait surtout du fait que la libre circulation des personnes permettait aux entreprises de recruter des spécialistes à l’étranger, si elles en éprouvaient la nécessité. L’immigration a stabilisé la croissance économique. En même temps, la BNS a réussi à assurer une certaine stabilité des taux de change malgré une politique monétaire autonome. Dans ces deux domaines, la politique économique fait face aujourd’hui à d’importants défis.

Que signifie l’impératif d’économie pour la troisième réforme de l’imposition des entreprises ?

Pour toutes les décisions en matière de dépenses, et pas uniquement pour la troisième réforme de l’imposition des entreprises, le Parlement doit fixer plus de priorités que par le passé. On ne peut plus tout financer.

Cette réforme est-elle finançable ?

La Confédération aide les cantons à adapter leurs régimes fiscaux. C’est pourquoi la part cantonale au produit de l’impôt fédéral direct doit passer de 17 à 20,5 %. Cela devrait coûter quelque 800 millions de francs à la Confédération, selon les estimations révisées concernant les rentrées fiscales. La suppression du droit de timbre d’émission sur le capital propre constituera un manque à gagner de 200 millions. On estime actuellement que les coûts globaux dépasseront légèrement 1 milliard de francs. Le budget de la Confédération n’en supporterait pas davantage. J’espère que le Parlement ne décidera pas d’une réforme plus onéreuse. Les coûts et les diminutions de recettes de cette réforme sont déjà intégrés dans le plan financier à partir de 2019.

Vous parlez seulement des surcoûts et des diminutions de recettes que la réforme engendrera. Qu’en est-il des rentrées supplémentaires ? L’impôt sur les gains en capital provenant des titres ne figure pas dans le projet.

Nous avons évalué la possibilité de financer partiellement la troisième réforme de l’imposition des entreprises par de nouvelles recettes. Nous sommes parvenus à la conclusion que la marge de manœuvre était très étroite : une hausse de la TVA n’entre pas en ligne de compte, car l’AVS nécessite d’urgence un point de pourcentage supplémentaire. Ces prochaines années, la TVA doit être utilisée prioritairement en faveur de l’AVS. Quant à l’impôt sur les gains en capital, le Conseil fédéral l’avait envisagé, mais il y a renoncé devant les résultats sans équivoque de la procédure de consultation.

« J’espère que le Parlement ne décidera pas d’une réforme plus onéreuse » : Serge Gaillard dans son bureau.

Proposition de citation: Nicole Tesar (2015). « En matière de dépenses, nous adaptons nos désirs à nos moyens ». La Vie économique, 29 septembre.

L'invité

L’économiste Serge Gaillard est, depuis trois ans, directeur de l’Administration fédérale des finances (AFF). De 2007 à 2012, il a présidé aux destinées de la Direction du travail du Secrétariat d’État à l’économie (Seco). Il était auparavant responsable de la politique économique de l’Union syndicale suisse (USS). Il a passé son doctorat en 1987, à l’Institut de sciences économiques expérimentales de l’université de Zurich.