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Une nouvelle banque de développement à vocation régionale

Avec la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), l’Asie se dote d’une institution susceptible de devenir un acteur majeur pour le financement de son développement. Fruit d’une initiative chinoise, la nouvelle banque régionale est majoritairement financée par les pays asiatiques eux-mêmes. Conformément au modèle de développement chinois, elle mise sur l’effet stimulant des infrastructures. Les projets retenus doivent promouvoir une croissance durable et lutter contre la pauvreté. Par sa participation, la Suisse entend renforcer ses relations commerciales avec cette région du monde.
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Le président chinois, Xi Jinping (au centre, à droite), le 29 juin 2015, avec d'autres membres fondateurs, dont le conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann (au centre, à gauche), lors de la signature de l'accord.

Les besoins en infrastructures sont énormes en Asie. Aujourd’hui encore, près de 1,8 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à des installations sanitaires, 800 millions n’ont pas l’électricité et 600 millions pas d’eau potable[1]. Une étude de la Banque asiatique de développement (BAD), réalisée en 2012, conclut que l’Asie devrait investir quelque 8000 milliards d’USD dans ses infrastructures entre 2010 et 2020 pour conserver une croissance dynamique et pérenniser les succès remportés dans la lutte contre la pauvreté. La mise à disposition d’infrastructures a plusieurs objectifs : créer des emplois, diminuer les coûts de production, faciliter l’accès à de nouveaux débouchés et marchés de fournisseurs, et contribuer à une croissance inclusive bénéficiant d’une large assise géographique.

Accéder à un financement avantageux


En tant que nouvelle institution régionale de financement, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) entend apporter une substantielle contribution financière à des projets relevant du secteur des transports, de l’énergie, de l’eau et des eaux usées. Elle prévoit également d’investir dans les installations portuaires, les mesures de protection de l’environnement, les technologies de l’information et des télécommunications, le développement économique et la logistique dans les espaces ruraux et urbains. L’AIIB travaille et noue des partenariats avec le secteur public et privé. À ce titre, elle octroie des prêts et des crédits, émet des garanties, souscrit des obligations et prend des participations aux fonds propres. Elle entend surtout mobiliser les fonds de tiers. La banque peut en outre octroyer une assistance technique et des subsides d’investissement, ou allouer des fonds spéciaux pour permettre, par exemple, aux pays les plus pauvres d’obtenir des financements à taux préférentiel.
Le capital autorisé de l’AIIB s’élève à environ 100 milliards d’USD, dont 20 milliards à libérer. Le reste forme le capital garanti. Le capital social est à 75 % aux mains de pays régionaux, asiatiques principalement. Font partie de la région Asie-Pacifique les nations d’Asie du Sud-Est et du Sud, les États insulaires du Pacifique, l’Asie centrale (Caucase inclus), la Turquie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, plusieurs États arabes et Israël. Afin de financer ses activités, la banque lèvera des fonds sur les marchés internationaux de capitaux, en espérant mobiliser de nouvelles sources de financement. La large distribution géographique des États membres et le pourcentage relativement élevé de capital à libérer ont un effet positif sur la solvabilité de l’AIIB et donc sur sa capacité de se financer à de bonnes conditions et de répercuter les emprunts sur les pays bénéficiaires.

Une initiative chinoise


La Chine est à la base de l’initiative qui a donné naissance à l’AIIB. L’insatisfaction de cette partie du continent à forte dynamique économique vis-à-vis des timides réformes de gouvernance au sein de la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales de développement n’y est sans doute pas étrangère. Bien que la déclaration d’intention relative à sa fondation ait été signée par seulement 21 États régionaux en octobre 2014, l’AIIB compte aujourd’hui 57 membres fondateurs, dont 37 effectivement de la région et 20 autres pour la plupart européens. Le processus de fondation est resté ouvert à de nouveaux membres jusqu’à la fin mars 2015. À l’approche de cette échéance, les adhésions ont afflué. Un grand nombre de pays non régionaux n’ont adhéré qu’au dernier moment, après avoir longtemps craint que la Chine puisse peser trop fortement dans la nouvelle institution et contourner les normes internationales. La large assise dont bénéficie maintenant l’AIIB lui confère le rang de véritable institution financière internationale. Il faut assurément y voir un succès de la Chine.
Les principaux membres fondateurs régionaux sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, les Philippines, Singapour et le Kazakhstan. Il faut leur ajouter l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar, de même que l’Australie, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. La Russie a également été admise, car elle appartient à la région. La plupart des pays régionaux ont, au sein du Comité d’aide au développement de l’OCDE, le statut de bénéficiaires de l’aide publique au développement. Ils sont, de surcroît, nombreux à bénéficier de la coopération internationale mise en œuvre par la Direction du développement et de la coopération (DDC) et le Secrétariat d’État à l’économie (Seco)[2]. Le groupe des pays non régionaux est principalement constitué, outre la Suisse, d’États européens (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, Espagne, Pologne, Autriche, Finlande et pays scandinaves) et extra-européens (Brésil, Égypte, Afrique du Sud). Les grands absents sont les États-Unis et le Japon, qui étaient, depuis le départ, très sceptiques envers cette banque de développement créée à l’initiative de la Chine. Toute une série d’autres pays régionaux ou non (dont un grand nombre parmi ceux de l’UE) ont manifesté leur intérêt pour une adhésion ultérieure.

Une réglementation fondée sur les normes internationales


Contrairement aux craintes de nombreux pays industrialisés occidentaux, la banque a conçu des bases réglementaires (statuts, politiques opérationnelle et financière, normes environnementales et sociales) qui satisfont, dans une large mesure aux normes internationales. Elle s’attache parallèlement, dans l’esprit de sa devise « lean, clean and green » (svelte, propre et verte), à mettre en place des structures efficientes, à définir des responsabilités claires et à être proche de la clientèle. À la différence d’autres banques de développement, elle n’a pas de « resident board », autrement dit de directeurs présents en permanence au siège de la banque à Pékin. Les normes sociales et environnementales doivent être compatibles avec celles des autres banques de développement. Elle entend coopérer étroitement avec elles et s’appuyer sur leurs travaux. L’AIIB ne se positionne pas, de prime abord, comme une concurrente. Elle a, toutefois, l’ambition d’être à la fois plus efficiente et efficace que les institutions financières existantes.
Les statuts de l’AIIB correspondent dans une large mesure aux normes qui prévalent dans des institutions comparables et s’appuient sur l’expérience. Sur certains points comme les conditions financières et l’utilisation du capital, elle se se ménage une plus grande marge de manœuvre. Les statuts contiennent d’importantes garanties sur des questions aussi importantes que la gouvernance, le respect des normes internationales et la mise sur pied de mécanismes appropriés de contrôle interne. Les politiques opérationnelles présentées dans le projet, y compris les procédures d’appel d’offres et les normes sociales et environnementales, sont garantes d’une gestion de l’AIIB correcte et conforme aux normes. Ce cadre et le large soutien international apporté à la banque diminuent aussi le risque d’instrumentalisation de la part d’un ou plusieurs pays.
L’AIIB est dominée par les pays régionaux. C’est la première fois que les pays industrialisés occidentaux représentent clairement une minorité au sein d’une banque de développement. Une telle situation reflète le déplacement du centre de gravité économique et l’affirmation de cette région. Le fait que ces pays assument davantage de responsabilités et prennent davantage en main leur destinée est globalement positif. L’AIIB offre également la possibilité à la Chine de se rapprocher des normes internationales en ce qui concerne le financement de projets liés au développement. Cela signifie également que les pays d’Europe de l’Ouest doivent être convaincants pour faire entendre leur voix. Bien qu’une volonté manifeste de collaborer et de créer une nouvelle banque de développement exemplaire se soit exprimée, on ne saurait exclure des divergences d’opinion, obligeant les pays extérieurs à la région à faire d’importants compromis. En ce sens, cette configuration particulière recèle aussi de nouveaux risques.

La Suisse participe


Le Conseil fédéral soutient l’adhésion de la Suisse à la nouvelle banque. Le 29 juin dernier, le conseiller fédéral Johannes N. Schneider-Amann a signé l’accord à Péking avec 49 autres membres fondateurs. Cette adhésion s’inscrit dans le cadre de sa politique générale et économique extérieures ainsi que de sa politique de développement. L’AIIB remplit les conditions requises pour devenir un pilier significatif de l’architecture internationale des banques de développement. Elle peut fortement contribuer à répondre aux importants besoins d’infrastructures, à promouvoir un développement économique durable et à lutter contre la pauvreté en Asie. Notre participation renforcerait également les relations avec la Chine– qui bénéficient d’un accord de libre-échange depuis l’année dernière – comme avec l’ensemble du continent. Elle offrirait aux entreprises suisses la possibilité d’y développer leurs relations commerciales.
Selon la quote-part établie, la Suisse participerait à l’AIIB à hauteur de 706,4 millions d’USD. Ce montant serait à libérer en cinq tranches annuelles de 141,5 millions. Les trois premières tranches seraient intégralement financées par le budget du Seco et de la DDC consacré à la coopération internationale. La question du financement des quatrième et cinquième tranches reste ouverte. Ces tranches seront compensées dans la mesure où elles pourront être imputées à l’aide publique au développement ; cette question devra faire l’objet d’un accord international. Dans sa décision, le Conseil fédéral tient compte des orientations de la nouvelle banque en matière de développement et des incertitudes qui demeurent à cet égard.

Contribuer à l’expansion de la banque


La Suisse, qui est l’un des premiers pays d’Europe occidentale à avoir rejoint le projet, entend continuer à s’impliquer activement dans le processus de fondation. Elle s’attache donc, précisément durant la phase initiale cruciale, à jouer un rôle particulièrement actif via le conseil d’administration de la banque. Elle entend notamment veiller au respect des normes internationales, éviter la sous-enchère et une concurrence déloyale vis-à-vis des autres institutions financières, et accorder une attention toute particulière aux besoins de pays moins avancés. Elle estime également essentiel de collaborer étroitement avec d’autres institutions financières, d’opérer une coordination au niveau régional, d’avoir l’esprit ouvert aux mécanismes de financement novateurs et d’aider les pays concernés à concevoir des projets aptes à décrocher un financement.
Après une brève procédure de consultation, le projet est maintenant devant le Parlement, qui en débattra durant la session d’hiver 2015. La procédure de consultation a montré que l’adhésion de la Suisse à l’AIIB bénéficie d’un large soutien. Le rôle de la banque dans le financement du développement et des infrastructures, de même que les perspectives économiques qui s’offrent à la Suisse ont été particulièrement salués. Par contre, un certain nombre de participants ont émis des réserves quant à l’orientation et à l’importance encore floues de la nouvelle banque en matière de développement. Ils sont également préoccupés par les incertitudes qui subsistent concernant le respect des normes sociales et environnementales. La compensation, dans le cadre de la coopération internationale, de la participation au capital a également été critiquée.
L’AIIB devrait être formellement instaurée fin 2015 ou au plus tard début 2016. La Suisse pourrait ainsi déposer les documents de ratification durant le premier semestre de 2016 et donc finaliser son adhésion à la banque. Une ratification rapide est dans son intérêt si elle veut participer rapidement, en qualité de membre à part entière, au processus de mise en place de l’AIIB, qui se profile comme un nouvel acteur majeur du financement dans la région.

  1. Banque asiatique de développement, Infrastructure for Supporting Inclusive Growth and Poverty Reduction in Asia, 2012 ; Banque asiatique de développement, Estimating Demand for Infrastructure in Energy, Transport, Telecommunications, Water and Sanitation in Asia and the Pacific : 2010-2020, Institute Working Paper #248, 2010. []
  2. Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Indonésie, Jordanie, Cambodge, Kirghizstan, Laos, Mongolie, Myanmar, Népal, Pakistan, Sri Lanka, Tadjikistan, Ouzbékistan et Vietnam. []

Proposition de citation: Gruber, Werner (2015). Une nouvelle banque de développement à vocation régionale. La Vie économique, 26. octobre.

Banques de développement auxquelles la Suisse participe

La Suisse participe à plusieurs banques multilatérales de développement, la principale étant la Banque mondiale. Elle est en outre membre de toute une série de banques régionales de développement, dont les plus significatives sont :

  • le Groupe de la Banque mondiale, qui comprend la Banque internationale de reconstruction et de développement (Bird), l’Association internationale de développement (IDA), la Société financière internationale (SFI) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Amgi) ;
  • la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) ;
  • la Banque asiatique de développement (BAD) ;
  • la Banque africaine de développement (BAfD) ;
  • la Banque interaméricaine de développement (BID).


 

Les défis mondiaux requièrent une concertation internationale. Les institutions mentionnées disposent d’importantes ressources financières et d’instruments efficaces pour trouver des solutions à des problèmes mondiaux. Cofinancer ces banques confère à la Suisse un droit de regard. Le fait de participer à une banque de développement financée sur le marché des capitaux permet, en outre, de générer un puissant effet de levier pour la mobilisation de ressources destinées à la coopération au développement. Enfin, ces banques sont souvent à l’avant-garde, disposent d’un grand savoir-faire et sont par conséquent d’importants partenaires de la coopération internationale de la Suisse.
En tant que nouvel acteur régional en Asie, l’AIIB complète judicieusement ces participations.