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Le numérique : facteur de croissance de l’économie

Des études consacrées à l’UE et aux États-Unis montrent que la croissance économique de ces dernières années repose dans une large mesure sur le numérique. La Suisse est sur la bonne voie.
Les TIC ont été d'une importance décisive pour la croissance de ces dernières années.

Le processus de numérisation permet de sauvegarder et de diffuser par voie électronique toujours plus d’informations : les liseuses remplacent les livres, nous lisons le journal sur notre téléphone intelligent et de nombreuses transactions commerciales sont effectuées sur Internet. Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), qui sous-tend la numérisation, est considéré comme une innovation fondamentale. Des inventions comme celle-ci changent profondément la société et l’économie, au même titre que la machine à vapeur et l’électricité.
Dans le sillage du numérique, l’industrie de la musique et de la photographie, mais aussi le commerce, le secteur de la communication et, plus récemment, les taxis se sont considérablement transformés. De telles mutations déclenchent souvent un malaise et des réactions de défense, comme en témoignent les protestations des chauffeurs de taxis dans différentes villes du monde contre la société Uber. Comme pour tout changement structurel, la question du temps d’adaptation nécessaire est primordiale, en particulier sur le marché du travail[1].
Que signifie le processus de transformation amorcé par le numérique pour la politique économique suisse ?

Investissements et augmentation de la productivité


Tout d’abord, les profondes mutations induites par le numérique influencent la croissance économique. Pour simplifier, on peut dire qu’une économie peut croître de deux manières : soit en augmentant la quantité de travail et de capital physique utilisée, soit en exploitant plus efficacement les ressources disponibles pour améliorer sa productivité. L’innovation, le progrès technique ou une meilleure formation de la main-d’œuvre sont autant de façons d’accroître l’efficacité des ressources disponibles.
Par ailleurs, le numérique peut influencer la croissance économique de différentes manières. Il entraîne une hausse des investissements dans le capital physique (logiciels, serveurs, réseaux), un accroissement de la productivité dans le domaine des TIC grâce aux progrès technologiques rapides ainsi qu’une augmentation de la productivité en général en raison de l’utilisation des TIC dans les différentes branches de l’industrie et des services.
Une étude réalisée pour l’Allemagne a montré que l’utilisation grandissante de l’informatique entre 1998 et 2012 a contribué à hauteur de plus d’un tiers à la croissance de la valeur ajoutée chez notre voisin du nord[2]. Une autre étude concernant l’Union européenne et les États-Unis, qui porte sur les années 1995 à 2007, arrive aux mêmes conclusions : pour l’UE, environ un tiers de la croissance du PIB est à mettre en relation avec le numérique ; aux États-Unis, ce chiffre se monte même à 40 %[3]. Cette hausse est principalement due aux investissements dans l’informatique et à l’augmentation de la productivité dans le domaine des TIC. Les gains de productivité obtenus grâce à l’utilisation des technologies numériques jouent, quant à eux, un rôle un peu moins important[4].
L’automatisation des processus de production et la réorganisation de toute la chaîne de valeur ajoutée permettent de gagner en productivité en recourant aux TIC. De nouveaux modèles d’affaires (notamment les plateformes Internet) et une croissance relativement rapide (grâce à l’utilisation d’Internet comme canal de distribution ou à de nouveaux enseignements tirés de l’analyse des données) y contribuent également. De tels effets sont toutefois difficiles à quantifier et leur importance reste encore controversée dans la littérature économique[5].

Le numérique, moteur de la croissance suisse


En Suisse, il n’existe pas encore d’étude approfondie quant aux effets du numérique sur l’économie. Toutefois, les calculs de l’OCDE pour les années 1995 à 2013 indiquent que les investissements dans le capital physique TIC ont à eux seuls fait croître le PIB suisse de 0,4 point de pourcentage par an[6].
L’Office fédéral de la statistique (OFS) estime que, pour les années 1998 à 2012, le secteur des TIC a contribué à la croissance du PIB à hauteur de 0,3 point de pourcentage en moyenne[7]. Cependant, ce calcul tient seulement compte d’une partie des effets du numérique sur la croissance, car ses conséquences sur les branches qui ne sont pas liées au secteur des TIC ne sont pas prises en considération.
On peut partir du principe que les effets de la révolution numérique sur la croissance sont aussi substantiels en Suisse. Il est donc réjouissant de constater que ce pays figure dans les premières places de divers classements comparant les conditions offertes par les places économiques en matière de numérique[8].

L’État doit créer des conditions-cadres favorables


L’importance du numérique pour la croissance économique pose la question du rôle de l’État dans ce processus de mutation. Au cours des dernières années, divers pays européens ont présenté des programmes à grande échelle liés au virage numérique. En mai dernier, la Commission européenne a publié son rapport sur la création d’un marché unique numérique[9].
En Suisse aussi, le Conseil fédéral promeut la société de l’information. Pour ce qui est de l’économie, il écrit : « La Confédération crée un cadre général favorable à l’utilisation des TIC dans toutes les régions et dans tous les domaines de l’économie. […] »[10]. Cette approche se fonde sur la conviction que l’État ne doit pas intervenir directement dans l’activité économique, mais fixer les meilleures règles du jeu possibles pour les acteurs privés. Vu l’importance capitale des TIC et la rapidité avec laquelle l’environnement évolue, il n’est pas indiqué de promouvoir de manière ciblée certaines branches, entreprises ou technologies.
Parmi les conditions-cadres que la Suisse offre à l’économie, on compte la grande liberté d’entreprendre, la sécurité juridique, la main-d’œuvre qualifiée, la flexibilité du marché du travail, la haute qualité des infrastructures, la politique budgétaire durable, une charge fiscale relativement modérée et une qualité de vie élevée. Le maintien, voire l’amélioration, de ces conditions pour les entreprises est au cœur de la politique économique[11]. Le numérique ne devrait presque rien y changer.
Les domaines suivants sont particulièrement importants pour permettre à la Suisse d’exploiter de façon optimale le potentiel économique de la révolution numérique :
1. Formation et perfectionnement. Les qualifications des travailleurs doivent satisfaire, dans la mesure du possible, aux exigences d’un monde de plus en plus marqué par le numérique.
2. Recherche. La Suisse peut occuper une place de choix dans l’exploration des possibilités technologiques offertes par le numérique et dans l’élaboration des applications qui en découlent (comme l’impression 3D).
3. Protection des données. Étant donné les nouvelles possibilités technologiques et l’augmentation du stockage de données personnelles qu’elles entraînent, la sécurité juridique doit être assurée.
4. Infrastructures TIC sûres et performantes. Ces infrastructures sont pour ainsi dire l’épine dorsale de l’univers numérique. En Suisse, leur exploitation et leur développement s’effectuent surtout sous l’impulsion du marché. Toutefois, l’intervention de l’État pour réglementer les infrastructures de réseau revêt une grande importance en raison de leur rôle essentiel dans la mutation numérique. Ces infrastructures doivent couvrir le plus de territoire possible et être accessibles au plus grand nombre.
Enfin, la mutation numérique et les chances qu’elle comporte ne devraient pas être entravées par des réglementations hâtives. L’État ne devrait pas, par ce biais, favoriser les technologies et les modèles d’affaires traditionnels au détriment de l’innovation (voir encadrés).
Les mesures que peuvent prendre la Confédération, les cantons et les communes en lien avec le numérique concernent en premier lieu la cyberadministration. Le Conseil fédéral a rédigé une stratégie suisse dans ce domaine ; son objectif est de permettre tant aux acteurs économiques qu’à la population de régler par voie électronique les affaires avec les autorités (du changement d’adresse aux formalités douanières, en passant par les services à la population)[12].

  1. Voir l’article d’Ursina Jud Huwiler (Seco) dans ce numéro. []
  2. Bitkom/Prognos (2013). []
  3. Bart van Ark et al. (2013). Les résultats présentés se réfèrent à l’UE15. []
  4. Pour une croissance du PIB de 2,2 % en moyenne (1995-2007), l’apport des investissements a été de 0,4 point de pourcentage, l’augmentation de la productivité dans la production de TIC de 0,3 point et l’augmentation de la productivité grâce à l’utilisation des TIC de 0,1 point. []
  5. Daron Acemoglu et al. (2014). []
  6. Croissance moyenne du PIB en Suisse entre 1995 et 2013 : 2,0 %. Les valeurs de tous les pays de l’OCDE se situent entre 0,2 et 0,6 point de pourcentage. Voir la base de données de l’OCDE sur la productivité. []
  7. Approche basée sur la valeur ajoutée. La définition du secteur des TIC est relativement large. Ce secteur représentait 4,3 % du PIB en 2012. Selon la définition de l’OFS et de l’OCDE, il comprend l’ensemble des activités économiques qui produisent des biens et services permettant la numérisation de l’économie, soit la transformation des informations utilisées ou fournies en informations numériques. Voir www.infosociety-stat.admin.ch. []
  8. Network readiness index du Forum économique mondial (6e rang) ; E-friction index du Boston Consulting Group (4e rang) ; National absorptive capacity index d’Accenture/Frontier Economics (2e rang). Voir également Seco/IWSB, Cyberéconomie en Suisse: monitorage et rapport, 2014. []
  9. Voir l’article de Barbara Montereale (Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne) dans ce numéro. []
  10. Stratégie du Conseil fédéral pour une société de l’information en Suisse, 2012, p. 10. Voir www.infosociety.admin.ch. []
  11. Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Principes pour une nouvelle politique de croissance, 2015. []
  12. Voir l’article de Christian Weber (Seco), Alessia C. Neuroni et Andreas Spichiger (tous deux de la Haute école spécialisée bernoise) dans ce numéro. []

Comment l'État doit-il se positionner par rapport aux nouveaux modèles d'affaires ? Test par La Poste d'un drone livreur de colis.


Bibliographie

Daron Acemoglu, David Autor, David Dorn, Gordon H. Hanson et Brendan Price, « Return of the Solow Paradox? IT, Productivity, and Employment in US Manufacturing », American Economic Review, Papers & Proceedings, 104(5), 2014, pp. 394–399.
Bart van Ark, Willem Overmeer et Desirée van Welsum, Unlocking the ICT Growth Potential in Europe : Enabling People and Businesses, 2013.
Bitkom/Prognos, Digitale Arbeitswelt : Gesamtwirtschaftliche Effekte, 2013.
Commission allemande des monopoles, Wettbewerbspolitik : Herausforderung digitale Märkte, Sondergutachten 68, 2015.
OCDE, Hearing on disruptive innovation, Issues paper by the Secretariat, 2015.


Bibliographie

Daron Acemoglu, David Autor, David Dorn, Gordon H. Hanson et Brendan Price, « Return of the Solow Paradox? IT, Productivity, and Employment in US Manufacturing », American Economic Review, Papers & Proceedings, 104(5), 2014, pp. 394–399.
Bart van Ark, Willem Overmeer et Desirée van Welsum, Unlocking the ICT Growth Potential in Europe : Enabling People and Businesses, 2013.
Bitkom/Prognos, Digitale Arbeitswelt : Gesamtwirtschaftliche Effekte, 2013.
Commission allemande des monopoles, Wettbewerbspolitik : Herausforderung digitale Märkte, Sondergutachten 68, 2015.
OCDE, Hearing on disruptive innovation, Issues paper by the Secretariat, 2015.

Proposition de citation: Markus Langenegger (2015). Le numérique : facteur de croissance de l’économie. La Vie économique, 26 octobre.

Réglementation de l’économie de partage

La diffusion des technologies numériques et des modèles d’affaires qui leur sont associés représente un défi pour la politique de la concurrence. Les services proposés par l’économie de partage, comme le service de transport avec chauffeur Uber ou la plateforme de location de logements Airbnb, ont intensifié la concurrence. Les consommateurs bénéficient d’une offre élargie et peuvent obtenir les services souhaités à des prix moindres. Parallèlement, les prestataires traditionnels se plaignent de ne pas être à égalité avec les nouveaux acteurs qui, selon eux, exercent une pression inadmissible sur les prix. Ils font valoir que leurs concurrents numériques profitent d’un avantage concurrentiel, car ils ne sont soumis à aucune réglementation, contrairement à eux.
Les autorités de la concurrence, en tant qu’« avocates de la concurrence », peuvent profiter de ce débat pour remettre en cause les réglementations en vigueur. Les prescriptions problématiques du point de vue de la concurrence sont celles qui ne sont plus d’actualité et qui font obstacle à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché.
Marc Blatter, chef du centre de compétences Économie au secrétariat de la Commission de la concurrence (Comco)

Plateformes monopolistiques

Les plateformes Internet et les moteurs de recherche jouent un rôle déterminant dans la numérisation de l’économie. Faisant office d’intermédiaires, les plateformes, qui rassemblent différents groupes d’utilisateurs, se caractérisent par des effets de réseau indirects : pour un vendeur, plus une plateforme est utilisée par des acheteurs potentiels, plus elle est attrayante. À l’inverse, pour les acheteurs potentiels, l’attrait d’une plateforme augmente en fonction du nombre de vendeurs actifs.
Les effets de réseau indirects ont pour conséquence une forte concentration des marchés des plateformes. Par exemple, le moteur de recherche Google ou le service de réservation Booking ont une position très forte. Une telle concentration est-elle problématique sur le plan de la politique de la concurrence?
Sur le plan économique, une plateforme monopolistique est efficace, car les effets de réseau y sont maximisés. Sous l’angle de la concurrence, il peut être problématique qu’une entreprise dominant le marché transfère son pouvoir de marché sur d’autres marchés grâce à des offres liées entre elles ou que les utilisateurs soient obligés de passer par un système et par un prestataire donnés.
Toutefois, il ne faut pas oublier que l’excellente position d’une plateforme sur le marché est le reflet de son succès. Les entreprises ne seraient plus incitées à investir dans les nouvelles technologies et les nouveaux modèles d’affaires si elles ne pouvaient pas récolter les fruits de leurs investissements. En outre, les marchés numériques se caractérisent par un très grand dynamisme. Des prestataires dominants aujourd’hui peuvent rapidement perdre leur place au profit de nouveaux acteurs innovants. Pour les autorités de la concurrence, il s’agit de trouver un équilibre entre la protection de la concurrence à court terme et le maintien des incitations à l’innovation à long terme.
Marc Blatter (Comco)