Dans les débats économiques actuels, différentes idées circulent sur la manière d’empêcher une prétendue dépendance de l’étranger. Certains suggèrent d’augmenter le niveau d’autosuffisance en denrées alimentaires ou de renoncer à des importations d’énergie jugées trop onéreuses. Dans une vaste campagne intitulée « L’argent reste ici »[1], un comité donne l’impression qu’il vaut mieux promouvoir les énergies domestiques que d’importer à grands frais du pétrole, du gaz ou d’autres énergies.
Ces préoccupations semblent a priori raisonnables. Qui pourrait être contre l’énergie indigène et pour l’énergie importée, dont l’achat va peut-être encore enrichir les magnats du pétrole ? Aussi logiques que puissent paraître les arguments des initiants, un examen plus approfondi montre qu’ils sont erronés. Si nous renonçons aux exportations, nous devrons en effet produire nous-mêmes plus d’énergie.
Si cette substitution aux importations était rentable, nous produirions déjà davantage d’énergie domestique, sans que la politique ne l’impose. Mieux : nous renoncerions aux importations par mesure d’économie. Or, la production en Suisse n’est pas gratuite. Elle est, comme disent les économistes, « liée aux coûts d’opportunités ». Le secteur de l’énergie a besoin de ressources, en particulier de main-d’œuvre. C’est dans d’autres branches ou à l’étranger – par le biais de l’immigration ou des importations –, qu’il doit se les procurer. Or, ces spécialistes seraient aussi rémunérés à un niveau probablement supérieur dans les autres secteurs de l’économie. Vu la situation actuelle sur le marché du travail, il est totalement absurde de croire que ces experts de l’économie énergétique ne sont pas demandés dans d’autres secteurs et qu’ils sont au chômage.
Si l’on pousse plus loin la logique du comité, un ménage à deux revenus devrait renoncer aux crèches, à la femme de ménage, aux artisans, etc. sous prétexte que l’on peut assumer ces travaux soi-même et faire ainsi des économies. Il ne faut, toutefois, pas oublier que le coût de tels services est souvent inférieur à ce que le couple en question peut gagner pendant le temps où ils sont effectués. Une économie qui renonce aux importations doit tout produire elle-même, peu importe qu’elle le fasse bien ou mal. Cela l’empêche de se concentrer sur ses propres forces (avantages comparatifs), autrement dit sur les branches où elle possède le plus d’avantages concurrentiels et peut gagner le plus en utilisant un minimum de ressources. Il est donc plus logique d’acheter en Allemagne une électricité meilleur marché (y compris, par exemple, du courant écologique subventionné par les contribuables allemands) et d’engager nos spécialistes ici en Suisse dans des secteurs qui sont concurrentiels sans avoir besoin de subsides.
La Suisse exploite ses atouts
La Suisse affiche un excédent commercial record et figure régulièrement aux premiers rangs dans les classements de l’innovation. Cette réussite inégalée est la preuve que notre économie prend globalement de bonnes décisions lorsqu’elle doit choisir entre faire et faire faire (« make or buy ») : nous produisons et exportons dans les secteurs où nous sommes forts, et nous importons ce qu’il nous coûterait trop cher de fabriquer nous-mêmes.
Un jour, un mathématicien a demandé ironiquement au célèbre économiste américain Paul Samuelson s’il existe un résultat des sciences sociales qui soit vrai sans être trivial. Le prix Nobel n’a pas pu lui fournir du tac au tac une réponse adéquate. C’est seulement des années plus tard qu’il l’a trouvée : les avantages comparatifs. « Cette notion est logiquement vraie, car elle n’a pas besoin d’être démontrée à un mathématicien. Elle n’est pas triviale puisque des milliers d’hommes importants et intelligents n’ont jamais pu la comprendre d’eux-mêmes ou y croire une fois qu’elle leur eut été expliquée », expliquait Paul Samuelson.