Les négociants en matières premières attirent de plus en plus l'attention. La présidente du conseil d'administration de l'ITIE Clare Short s'exprime à Berne.
Le conseil d’administration de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) a tenu récemment à Berne sa trentième séance. Ses membres, qui représentent des gouvernements, des entreprises et la société civile, ont discuté de la transparence dans la branche des matières premières. Cette rencontre est l’occasion de passer en revue l’évolution suivie jusqu’ici par l’initiative.
Près de dix ans se sont écoulés depuis la première séance du conseil d’administration. À l’époque, l’objectif était déjà de renforcer le dialogue entre les gouvernements, les entreprises extractives et les organisations de la société civile. Depuis, les parties prenantes ont cherché ensemble des solutions aux défis complexes liés à la gouvernance dans le secteur lié à l’exploitation des matières premières.
Cette année à Berne, des sociétés de négoce ont participé pour la première fois à la séance avec le statut d’observateurs. Le conseil a accepté la candidature du Malawi. Ce petit État d’Afrique australe devient ainsi le 49e pays à mettre en œuvre la norme ITIE. Au total, plus de 400 employés travaillent à plein temps à l’application des exigences de l’initiative dans les États concernés. À cela s’ajoutent environ 1200 personnes qui siègent dans les comités nationaux de l’ITIE chargés de superviser les processus de mise en œuvre au niveau local.
Les efforts de transparence portent leurs fruits sur le plan financier et politique. Grâce à l’ITIE, le Nigeria a pu récupérer quelque 2 milliards d’USD. Au Kazakhstan, le système gouvernemental a été renforcé. L’initiative a également permis d’améliorer la traçabilité des redevances minières au Ghana et la gestion des paiements pétroliers au Tchad. Aux États-Unis, un portail de données administratives est désormais disponible. À Trinidad et Tobago, des campagnes d’information ont été organisées à l’intention des jeunes.
L’ITIE emprunte également de nouvelles voies pour promouvoir la transparence dans le négoce de matières premières et la divulgation des ayants droit économiques[1] des sociétés actives dans ce secteur. Elle le fait également dans d’autres domaines : la petite exploitation minière, les contrats d’échange et les processus conduisant à l’octroi de licences d’exploitation. L’ITIE a montré qu’elle était un moyen avantageux de réaliser des réformes qui servent ensuite de modèles à d’autres secteurs.
Malgré tout, il reste encore beaucoup à faire. Garantir la transparence et l’obligation de rendre des comptes dans la branche des hydrocarbures et l’industrie minière reste un énorme défi, même dans les pays qui mettent en œuvre la norme ITIE. Comme la plupart des grands défis mondiaux, celui-ci n’a pas de solution simple et rapide. L’élaboration de la norme a exigé beaucoup d’efforts. Il faudra en déployer encore davantage afin de garantir que les données publiées dans les rapports ITIE soient utilisées pour améliorer l’administration des finances publiques et renforcer l’obligation de rendre des comptes.
Le principe de la transparence des paiements
L’ITIE veut promouvoir, au niveau mondial, la divulgation d’informations et la redevabilité dans l’exploitation des ressources naturelles. La norme qui a été élaborée à cet effet renforce les systèmes gouvernementaux et entrepreneuriaux, informe l’opinion publique et instaure la confiance entre les parties prenantes évoluant dans les pays riches en matières premières. Partout où elle est mise en œuvre, un groupe multipartite garantit son application. Il comprend des représentants du gouvernement, des entreprises extractives et les organisations de la société civile.
La norme a évolué au fil du temps : l’ITIE s’est d’abord doté de principes généraux en 2003. Elles les remplacés par des critères en 2005, puis des règles en 2008, avant de les réviser en 2013 pour adopter la norme actuellement en vigueur. Comme l’impose le caractère multipartite de l’ITIE, les différents milieux représentés au conseil d’administration ont dû collaborer étroitement et trouver des solutions consensuelles pour assurer ce développement continu.
Les différentes étapes suivies par la norme ont fait évoluer le contenu des rapports nationaux de l’ITIE. L’objectif principal est toujours de publier tous les versements effectués par des compagnies pétrolières, gazières ou minières au profit des États concernés.
Les rapports actuels vont, toutefois, bien au-delà. Ils livrent aussi des informations sur les droits d’exploitation, les concessions, les contrats, les conditions-cadres fiscales et légales, la production, les entreprises étatiques et l’utilisation des fonds provenant du secteur des matières premières ainsi que d’autres données pertinentes. Depuis 2006, plus de 250 rapports ont été publiés. Ils couvrent ensemble plus de 1700 milliards d’USD de recettes publiques.
Une mise en œuvre sur mesure
La mise en œuvre de la norme ITIE n’est pas un but en soi et ne signifie pas que la corruption a été éradiquée dans un pays. Elle introduit plutôt un processus et une plateforme qui serviront de base à de futures réformes, lesquelles déboucheront sur une augmentation de la transparence et un renforcement de la redevabilité. L’ITIE se fonde sur la conviction que le pays concerné est le seul à pouvoir réaliser des changements durables et qu’il n’est pas possible de les imposer de l’extérieur.
S’il n’existe qu’une seule norme ITIE, sa mise en œuvre doit tenir compte de 49 réalités nationales. C’est ce qui explique les différences significatives qui marquent les différents rapports. Souvent, ceux-ci contiennent des innovations spécifiques au contexte local.
Cette diversité dans la mise en œuvre s’explique par le travail des groupes multipartites qui identifient les priorités nationales et fixent d’un commun accord le processus de l’ITIE. Ainsi, le Liberia a décidé d’étendre son rapport aux secteurs de la sylviculture et de l’agriculture. Les rapports du Pérou et de la Tanzanie contiennent également des données sur les montants que les entreprises ont versés aux autorités infranationales. En ce qui concerne la Tanzanie, l’intégration de données régionales et locales dans le rapport ITIE a révélé que plusieurs millions d’USD avaient été mal répartis et qu’ils étaient dus à la région où se déroule l’exploitation minière.
Informations sur les premières ventes
Si les États ont la possibilité de présenter des informations concernant toute la filière du secteur extractif, ils tiennent également compte de nouveaux aspects qui sont importants dans le contexte local et qui n’avaient pas été couverts jusque-là par la norme ITIE. Les efforts entrepris depuis peu pour faire la lumière sur les « premières ventes » en sont un exemple. Ces transactions initiales entre les entreprises pétrolières étatiques et les négociants sont extrêmement lucratives et opaques.
La République démocratique du Congo, l’Irak, le Nigeria, la Norvège et d’autres pays publient déjà des informations sur les versements que reçoivent leurs compagnies nationales d’hydrocarbures pour les premières ventes de pétrole aux négociants internationaux. Le groupe suisse Trafigura, un géant du négoce des matières premières, s’est volontairement engagé à divulguer ses paiements en faveur des gouvernements qui mettent en œuvre l’ITIE.
Transparence sur les ayants droit économiques
Ces progrès sont appréciables. Cependant, il est urgent de poursuivre les efforts de mise en œuvre de la norme. Celle-ci doit être mieux utilisée pour contribuer à une bonne information de l’opinion publique et à l’amélioration des plans d’action politique. Le conseil d’administration de l’ITIE aide les États à intégrer les obligations de divulgation imposées par la norme dans leurs systèmes gouvernementaux, dans les prescriptions en matière de présentation des comptes et dans leur législation nationale.
Il existe une autre possibilité d’utiliser l’ITIE comme plateforme pour des réformes supplémentaires – par exemple pour étendre la redevabilité. Elle consiste à faire la transparence sur les ayants droit économiques des entreprises de matières premières qui sont autorisés à extraire du pétrole, du gaz naturel ou des minerais. Plusieurs pays essaient actuellement, dans le cadre d’un projet pilote, de déterminer qui sont les véritables ayants droit économiques qui se cachent derrière des réseaux souvent opaques d’entreprises.
À l’avenir, l’ITIE continuera de promouvoir la transparence et l’obligation de rendre des comptes, pour que ces valeurs soient complètement intégrées dans les systèmes nationaux. Alors seulement, on pourra s’attendre à ce que l’exploitation des matières premières profite à tous.
- Un ayant droit économique est soit la personne physique qui, en dernier lieu, possède ou contrôle le partenaire contractuel, soit la personne physique à l’instigation de laquelle une transaction a été effectuée ou une relation d’affaires s’est établie. []
Proposition de citation: Short, Clare (2015). La norme ITIE, une plateforme pour des réformes. La Vie économique, 24. novembre.