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Inhabituel, mais présentant des atouts : le PIB dans l’optique des secteurs de production

L’environnement conjoncturel et les mesures prises en matière de politique économique influencent les secteurs productifs inégalement. Une analyse différenciée portant sur l’approche de la production permet une meilleure compréhension des interactions et donc de mieux prévoir l’évolution du PIB.
L'industrie manufacturière est moins affectée par les variations du taux de change que par la demande étrangère. Production de bouteilles dans l'entreprise Sigg, à Frauenfeld.

On peut examiner la composition du produit intérieur brut (PIB) réel sous trois aspects différents. L’approche basée sur la demande ou l’affectation divise le PIB selon les dépenses effectuées. L’approche par les revenus se focalise sur le paiement des facteurs de production, à savoir les salaires et les gains. Enfin, l’approche axée sur la production ou la formation calcule les valeurs ajoutées dans les différents secteurs productifs, dont la somme correspond également au PIB. Les secteurs productifs sont par exemple l’industrie manufacturière, le secteur bancaire ou celui de la santé. Pour analyser l’évolution économique, la plupart des modèles empiriques se concentrent sur l’affectation, autrement dit sur l’interaction entre les composantes principales de la demande, comme la consommation, les investissements, les exportations et les importations.
La présente étude adopte une autre approche. Dans le cadre d’un modèle factoriel dynamique, nous analysons le PIB suisse secteur par secteur et livrons ainsi une perspective sous l’angle de la production. L’évolution conjoncturelle n’a pas un impact identique sur toutes les branches et les mesures prises en matière de politique économique ne les influencent pas non plus de la même manière. C’est pourquoi le but de cette étude est de mettre en évidence l’effet de telles variations sur les différents secteurs et de fournir ainsi une base aux décisions politiques.

De meilleures prévisions du PIB


L’approche choisie présente en outre plusieurs avantages en ce qui concerne les prévisions du PIB. Le premier est que l’on peut augurer de son évolution sans qu’il soit nécessaire de spéculer sur les variations de stocks. Cette composante de la demande inclut des écarts statistiques très volatils, qui sont difficiles à interpréter et à prévoir (voir illustration 1). Ces écarts proviennent du mode de calcul du PIB. Généralement – et c’est aussi le cas en Suisse –, les variations trimestrielles de stocks ne sont pas mesurées directement, mais correspondent à la différence entre le PIB et la somme de la consommation, des investissements et des exportations nettes. Conformément au Système européen des comptes (SEC), le PIB lui-même est défini comme la somme des valeurs ajoutées dans les différents secteurs. L’approche axée sur la production permet ainsi une prévision plus directe du PIB.

Ill. 1. Le produit intérieur brut réel


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Taux de variation par rapport au trimestre précédent : données corrigées en fonction des variations saisonnières et du nombre de jours ouvrables, et non annualisées.

Seco / La Vie économique

L’approche axée sur la production présente un deuxième avantage pour la prévision du PIB : la plupart des indicateurs avancés, déterminants pour le cours actuel de l’économie se réfèrent aux évolutions sectorielles. Par exemple, les informations tirées des sondages effectués par la Société suisse des entrepreneurs ou par Swissmem, ou celles contenues dans la statistique des chiffres d’affaires du commerce de détail, peuvent être comparées directement avec l’évolution prévue du secteur correspondant.
Une approche des prévisions qui ne se base pas sur les données relatives à la demande offre encore un troisième avantage, à savoir que l’on peut utiliser des effets de diversification dans le cadre d’une analyse complète impliquant différents modèles. La littérature scientifique montre que la combinaison d’approches diversifiées donne fréquemment de meilleures prévisions que si l’on s’appuie seulement sur quelques modèles similaires. C’est la raison pour laquelle l’association de modèles axés sur la demande et sur la production peut s’avérer avantageuse pour la qualité des prévisions.
Dans ce contexte, il est étonnant que si peu de travaux empiriques tentent d’exploiter de tels avantages. Certes, quelques études ont été consacrées aux différents segments de la production industrielle. Cependant, rares sont les travaux qui analysent et modélisent l’interaction entre les facteurs macroéconomiques et tous les secteurs productifs d’une économie. La présente étude comble cette lacune pour la Suisse. Le modèle qu’elle propose peut toutefois s’appliquer facilement à d’autres pays.

Les secteurs évoluent différemment


Le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) – en tenant compte des informations publiées chaque année par l’Office fédéral de la statistique (OFS) – calcule des données trimestrielles sur la valeur ajoutée en Suisse. Celles-ci se répartissent en seize secteurs de production, auxquels s’ajoutent les impôts et les subventions sur les produits (voir illustration 2). Le modèle que nous proposons permet de déterminer comment ces secteurs réagissent aux mouvements qui affectent les principales variables économiques, comme la demande étrangère, le taux de change ou les taux d’intérêt[1]. En agrégeant les résultats sectoriels, on peut calculer l’influence sur le PIB.

Ill. 2. Contribution des secteurs de production au PIB suisse


Parts nominales, 2014



Seco / La Vie économique

La principale difficulté de la modélisation tient au fait que les secteurs, relativement nombreux, réagissent plus ou moins vigoureusement et parfois avec retard aux variations de l’environnement économique. D’une part, le modèle doit être en mesure de prendre en compte toutes sortes de réactions dans les différents secteurs. D’autre part, il ne doit pas être trop complexe, afin qu’une définition empirique solide de ses paramètres reste possible. L’étude montre que la structure d’un modèle factoriel dynamique et son estimation au moyen de méthodes bayésiennes offrent un bon compromis entre flexibilité et robustesse. On part de l’hypothèse que l’évolution dans les différents secteurs est alimentée par une poignée de facteurs communs et par des composantes spécifiques à chacun d’eux. La dynamique des facteurs communs reflète l’évolution macroéconomique en Suisse, tandis que les composantes spécifiques mesurent les facteurs qui ne touchent que certains secteurs. Les facteurs communs peuvent aussi bien refléter les variables observées – par exemple les taux d’intérêt ou de change – que les autres. Les variables non observées (ou du moins difficiles à mesurer) sont, par exemple, le progrès technologique, qui influence tous les secteurs, ou la perception du risque par les acteurs économiques.
La distinction entre facteurs sectoriels et communs permet de limiter le nombre des paramètres à évaluer sans devoir formuler des hypothèses trop restrictives au sujet de l’interaction entre les facteurs macroéconomiques et les évolutions sectorielles. En outre, la méthode bayésienne permet non seulement d’établir une estimation ponctuelle de tous les éléments intéressants – soit tous les paramètres ou prévisions –, mais également de définir leur répartition complète et donc de représenter l’insécurité qu’ils recèlent.
Au moyen du modèle estimé, nous pouvons déterminer quelle part de fluctuations est influencée par des facteurs spécifiques dans chaque secteur et, par conséquent, dans le PIB. Il s’avère que les facteurs macroéconomiques jouent un rôle secondaire à court terme. Ainsi, ceux spécifiques à un secteur expliquent jusqu’à 80 % des fluctuations du PIB durant le premier trimestre faisant l’objet d’une prévision[2]. C’est seulement à moyen terme, après un an environ, que les facteurs macroéconomiques prennent le dessus et expliquent plus de la moitié des fluctuations du PIB.

La demande étrangère est déterminante


Dans notre modèle, nous identifions trois facteurs d’influence : la demande étrangère, le taux de change et le taux d’intérêt. Il apparaît que le premier détermine largement le cycle conjoncturel en Suisse. Si la croissance augmente de 1 % à l’étranger, elle progresse d’environ 0,4 % dans notre pays. L’évolution du taux de change et la politique monétaire ont également des répercussions tangibles. Une appréciation de 1 % du franc se traduit par une perte d’environ 0,15 % au niveau du PIB. Si les taux d’intérêt augmentent d’un point de pourcentage, le PIB accuse une baisse d’environ 0,5 % un an après. Compte tenu des variations propres aux trois facteurs d’influence, ces sensibilités impliquent toutefois que la demande étrangère explique la majeure partie des modifications du PIB.
L’évaluation macroéconomique cache le fait que les secteurs réagissent très différemment au contexte conjoncturel. Prenons les incidences estimées du taux de change sur le PIB : elles sont certes relativement modérées, mais toute modification du taux peut avoir un effet considérable dans certains secteurs, alors qu’il n’influencera guère la valeur ajoutée dans d’autres. Les domaines les plus sensibles sont notamment ceux de la finance – banques et assurances – et de l’énergie. Le faible impact du taux de change sur la valeur ajoutée produite par l’industrie manufacturière est quelque peu étonnant. Nos résultats montrent en revanche que ce secteur est fortement marqué par la demande étrangère. Sans surprise, on constate que certaines branches font preuve d’une réelle fermeté par rapport aux fluctuations des facteurs d’influence étudiés. En font partie les prestations des ménages privés, le domaine de la santé, mais aussi l’administration publique.
Les résultats de notre étude montrent donc que l’optique de la production fournit des informations détaillées sur les différentes branches. Il est important de mieux comprendre l’interaction entre les facteurs macroéconomiques et les évolutions sectorielles afin de compléter les analyses basées sur la demande.

  1. Dans cette analyse, nous nous limitons aux secteurs dont la part au PIB est d’au moins 1 %. Cela signifie que treize secteurs sont modélisés. []
  2. Il s’agit ici de la part à la variance de l’erreur de prévision. []

Proposition de citation: Gregor Bäurle ; Elizabeth Steiner ; (2015). Inhabituel, mais présentant des atouts : le PIB dans l’optique des secteurs de production. La Vie économique, 21 décembre.

De la recherche à la politique

La Vie économique et la Société suisse d’économie et de statistique facilitent le transfert de savoir entre la recherche et la politique. Les études qui ont un rapport étroit avec la politique économique de notre pays sont publiées sous une forme ramassée dans la revue.