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Les entreprises exportatrices misent sur la « swissness »

Les entreprises qui usent du label « Suisse » n'ont plus que quelques mois pour se conformer à la loi « Swissness » qui entrera en vigueur au début de 2017. Pour beaucoup d'exportateurs, la publicité associée à la croix suisse revêt une très grande importance.
Le label « Suisse » est particulièrement important pour les denrées alimentaires. Fabrique Toblerone à Berne.

À l’étranger, la Suisse jouit d’une bonne réputation auprès des consommateurs. Son nom est associé au chocolat, au fromage, aux montres et aux banques. Il est synonyme de montagnes et de beaux paysages, de niveau de vie élevé, de fiabilité, de confiance et de propreté.

Les entreprises tirent parti de cette image positive en associant le mot « Suisse » à leur raison sociale. Elles intègrent la croix suisse dans leur logo et ornent leur marque d’images emblématiques, comme le Cervin. Trois exemples parmi d’autres : la compagnie d’aviation Swiss, le coutelier Victorinox et le chocolatier Toblerone.

Ce jumelage de la marque du produit et de la Suisse génère une plus-value si les propriétés des produits sont en accord avec les caractéristiques du label[1]. Pour des chocolats suisses, les consommateurs étrangers sont prêts à payer près d’un tiers en plus. Par rapport aux produits sans indication de provenance, la « swissness » élève cette disposition à 43 % pour les montres, 14 % pour les produits cosmétiques et 7 % pour les accessoires informatiques[2].

Le pays d’origine joue un rôle important dans la commercialisation des produits[3]. Si les entreprises suisses craignaient encore, il y a une dizaine d’années, de passer pour vaguement démodées et provinciales avec des produits affichant leur origine, cette indication est aujourd’hui tendance. C’est ainsi que sur les dix premières années du siècle, le nombre de nouvelles marques utilisant le terme « Swiss », déposées auprès de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI), a quadruplé, pour friser les 5700 en 2010.

Il arrive, cependant, que l’on utilise abusivement la marque « Suisse ». Un fabricant de cosmétiques, par exemple, présentait ses articles comme étant d’origine suisse alors qu’ils étaient fabriqués en France avec des matières premières étrangères. Une banque se disait, par ailleurs, helvétique alors qu’elle n’avait de suisse que ses déposants et trois boîtes aux lettres installées dans notre pays[4].

Matières premières indigènes exigées


Ce type d’abus a provoqué en 2006 le dépôt de deux propositions parlementaires destinées à protéger la marque « Suisse ». Il en a résulté une révision de la loi sur la protection des armoiries – qui réglemente l’utilisation des armoiries suisses et d’autres signes publics – et de la loi sur la protection des marques, qui fixe les conditions auxquelles un produit ou un service peuvent indiquer leur origine suisse.

Désormais l’apposition de la croix suisse sur les denrées alimentaires n’est admise que si les principales étapes de leur fabrication se déroulent en Suisse et si 80 % au moins de leurs constituants proviennent du pays[5]. Les produits industriels peuvent être nantis de ce label si 60 % des coûts de production et l’essentiel de la phase de production se situent en Suisse[6]. Les services peuvent arborer la croix blanche lorsque le siège et le centre administratif de l’entreprise sont établis en Suisse et que la personne qui la dirige a un passeport helvétique ou son domicile dans le pays.

La loi révisée sur les marques et la protection des armoiries a été adoptée par le Parlement en juin 2013 et entrera en vigueur début 2017. Elle modifie passablement les conditions-cadres des entreprises suisses actives au niveau international. Celles-ci devront vérifier si elles satisfont bien aux nouvelles normes de la loi « Swissness » et procéder, le cas échéant, aux modifications requises en matière d’achat et de production.

Les entreprises apprécient la marque « Suisse »


Sur mandat de l’organisation Switzerland Global Enterprise, dédiée à la promotion des exportations, la Haute école de technique et d’économie de Coire a cherché à déterminer l’importance de la désignation de provenance pour les entreprises suisses actives à l’international. Ces dernières ont été interrogées sur la conformité de leurs produits à la loi « Swissness » et sur leur besoin de soutien dans la mise en œuvre de cette législation (voir encadré).

On constate que 72 % des entreprises interrogées recourent à la désignation de provenance dans leur marketing. Le secteur des denrées alimentaires est celui qui utilise le plus largement la « swissness » (83 % des entreprises). Ce taux tombe à 74 % dans l’industrie et à 56 % dans les services (voir illustration 1).

Ill. 1. Entreprises recourant au label « Suisse » dans le marketing (en % de l’ensemble des sujets interrogés, N=197)




Source : HTW Coire / La Vie économique

La plupart des entreprises illustrent leur suissitude par le verbe et l’image : la référence nationale apparaît dans des noms ou des slogans, quand elle n’est pas renforcée par la croix suisse ou des images en rapport avec la Confédération.

Par contre, les entreprises ne font guère usage de la possibilité de signaler leur « swissness » aux divers stades de la valeur ajoutée (« conçu en Suisse », etc.). Seules 5 % des entreprises industrielles et 13 % des sociétés de services disent y recourir.

Plus d’une entreprise sur quatre renonce à une désignation d’origine. Les intéressés l’expliquent par le fait que la suissitude ne leur apporte aucune valeur ajoutée (15 %) ou que leurs produits ne sont pas fabriqués en Suisse (31 %).

Il ressort encore des analyses que la référence à la Suisse revêt moins d’importance pour les entreprises innovantes, qui l’utilisent plus rarement que les autres. Cela recoupe le résultat d’une étude de l’université de Saint-Gall et de la société de conseil HTP portant sur la marque « Suisse ». Il en résulte que notre pays n’est pas considéré par les consommateurs comme un leader en matière de technologie et d’innovation[7].

Les entreprises industrielles et de services en bonne position


Les branches sont inégalement préparées à un changement de législation. Dans le secteur alimentaire, seules 17 % des entreprises interrogées satisfont à l’exigence des 80 % de matières premières provenant de Suisse. La quasi-totalité d’entre elles (96 %) respectent, toutefois, le critère exigeant que la principale étape de production se déroule sur le territoire national.

Dans l’industrie, 72 % des entreprises se conforment au critère des coûts de fabrication et 82 % aux prescriptions « Swissness » en matière de production (voir illustration 2). Il apparaît que les PME les observent nettement mieux que les grandes sociétés. Les entreprises de services semblent être celles qui suivent le plus largement ces exigences : 93 % des prestataires interrogés ont leur siège et leur centre administratif en Suisse.

Ill. 2. Respect des critères « Swissness » dans l’industrie (en % des réponses, N=118)




Source : HTW Coire / La Vie économique

La plupart des entreprises interrogées ont certes une idée de ce qui les attend en 2017. L’information dont elles disposent pourrait toutefois être meilleure. Elles ne sont que 2 % à se dire très bien informées (voir illustration 3) et 46 % auraient besoin d’aide pour la mise en œuvre. Plus de la moitié d’entre elles souhaitent le conseil d’experts, un cinquième préfèreraient davantage d’échanges avec d’autres entreprises de la même branche, 10 % demandent la mise en place d’une « hotline » pour poser des questions sur la loi et 2 % voudraient  des modèles de documents qui les aident à préciser leur degré de conformité.

Ill. 3. Niveau d’information des entreprises sur la loi « Swissness » (en %, N=182)




Source : HTW Coire / La Vie économique

Des défis de taille pour les fabricants de produits alimentaires


D’une manière générale, il ressort de l’étude que le marquage « Swissness » revêt une grande importance pour les entreprises suisses actives au niveau international. Sur les marchés étrangers, l’image positive de la Suisse renforce de toute évidence l’estime portée à ses produits. Seules les entreprises innovantes et axées sur la technologie tirent un moindre profit de cette image, car la Suisse est perçue par les consommateurs comme étant moins innovante que d’autres pays industrialisés, et ce malgré les expertises qui témoignent du contraire[8]. Cette dissonance pourrait provenir du fait que les entreprises suisses novatrices et à fort coefficient de recherche, dans la branche pharmaceutique par exemple, ne signalent pas leur nationalité[9]. Notons toutefois que le degré d’innovation a été mesuré sur la base du chiffre d’affaires provenant de produits dont la durée de vie était inférieure à trois ans. Ce critère ne reflète pas de manière optimale l’inventivité des entreprises dans les branches où les cycles de vie des produits sont plus longs.

La législation « Swissness » pose un défi tout particulier aux producteurs de biens alimentaires, dont beaucoup ne respectent pas les impératifs de la loi relatifs aux matières premières. Il leur incombe donc de vérifier si et en quoi les mesures d’exception concernant l’origine de ces dernières s’appliquent à eux et à quelles adaptations ils doivent procéder en matière d’achat et de production.

Compte tenu de la haute importance des désignations de provenance et de la prochaine entrée en vigueur de la législation, le niveau d’information des sociétés suisses actives à l’international est relativement faible. Il faut donc s’assurer que les entreprises soient dûment informées de la nouvelle législation et qu’elles puissent échanger leurs expériences. Il serait également utile de produire des instruments permettant d’évaluer le degré de conformité de chaque entreprise à la nouvelle législation. Il conviendrait, par ailleurs, d’élaborer des méthodes permettant d’adapter la chaîne de valeur ajoutée dans le sens d’une décision économiquement raisonnée pour ou contre la « swissness ».

  1. Bruhn, Schwarz et Batt (2011), p. 153. []
  2. Feige et al. (2013), p. 42. []
  3. Pharr (2005), p. 34. []
  4. Feige et al. (2013), p. 73. []
  5. À l’exception du lait et des matières premières qui ne sont pas, ou insuffisamment, produites en Suisse. []
  6. Mêmes exceptions que ci-dessus pour les matières premières. []
  7. Feige et al. (2013), p. 14. []
  8. Schwab et Sala-i-Martin (2014). []
  9. Feige et al. (2013), p. 14. []

Bibliographie

  • Bruhn M., Schwarz J. et Batt V., « Swissness als Erfolgsfaktor », Die Unternehmung, 2011 (2).
  • Feige S., Fischer P., von Matt D. et Reinecke S., Swissness Worldwide 2013 : Image und internationaler Mehrwert der Marke Schweiz, Saint-Gall, 2013.
  • Pharr J., « Synthesizing country of origin research from the last decade », Journal of Marketing Theory and Practice, vol. 13, 4, 2005.
  • Schwab K. et Sala-i-Martin X., The Global Competitiveness Report 2014-2015, Genève, 2014.

Bibliographie

  • Bruhn M., Schwarz J. et Batt V., « Swissness als Erfolgsfaktor », Die Unternehmung, 2011 (2).
  • Feige S., Fischer P., von Matt D. et Reinecke S., Swissness Worldwide 2013 : Image und internationaler Mehrwert der Marke Schweiz, Saint-Gall, 2013.
  • Pharr J., « Synthesizing country of origin research from the last decade », Journal of Marketing Theory and Practice, vol. 13, 4, 2005.
  • Schwab K. et Sala-i-Martin X., The Global Competitiveness Report 2014-2015, Genève, 2014.

Proposition de citation: Ralph Lehmann ; Manuel Melichar ; Lukas Horrer ; Kathrin Dinner ; (2016). Les entreprises exportatrices misent sur la « swissness ». La Vie économique, 24 février.

Méthodologie

En juin 2015, la Haute école de technique et d’économie de Coire a questionné 199 entreprises actives à l’international, tirées du répertoire des membres de Switzerland Global Enterprise. Sur ce nombre, 15 % peuvent être cataloguées comme grandes, un tiers sont moyennes et plus de la moitié sont petites. En outre, 52 % des firmes viennent du secteur industriel, 23 % du tertiaire, 13 % du domaine alimentaire et 12 % d’autres domaines économiques. La première partie du questionnaire électronique interrogeait les entreprises sur leur taille, leur branche et leur degré d’innovation (mesuré à la part qu’occupent les produits âgés de moins de trois ans dans leur chiffre d’affaires). Dans la deuxième partie, les sociétés devaient indiquer si et sous quelle forme leur marketing recourt à la marque « Suisse ». En troisième partie, elles devaient estimer dans quelle mesure elles remplissent les exigences de la loi en la matière. Dans la dernière partie, il leur était demandé si elles se sentent bien informées sur la nouvelle législation et de quel type de soutien elles auraient besoin pour la mettre en œuvre.