Ces dernières décennies, de nombreuses entreprises n’ont cessé d’internationaliser de nombreux pans de leur valeur ajoutée. Ce processus ne se limite pas à des secteurs précis, comme la production, mais couvre aussi les activités de recherche et d’innovation (R&I).
Les multinationales sont l’un des moteurs de l’innovation. Elles revêtent donc une importance cruciale pour le système national de recherche et d’innovation. Côté investissements, plus de 70 % des dépenses engagées dans la recherche et le développement (R&D) suisses sont couvertes par les grandes entreprises. Côté résultats, plus de la moitié des dépôts de brevets faits en Suisse émanent des dix premières multinationales.
Par leurs liens avec les différents acteurs, les grands groupes jouent aussi indirectement un rôle central, en tant que catalyseurs. Ainsi, des hautes écoles et des groupes exploitent ensemble des centres de R&I (appelés « R&I labs »). C’est le cas par exemple du centre de recherche créé par la société informatique IBM et l’EPFZ pour l’étude des nanotechnologies, du Nestlé Institute of Health Sciences à l’EPFL ou encore du laboratoire « Bosch Internet of Things & Services Lab » à l’université de Saint-Gall. L’exemple de ComfyLight montre que de telles formules de coopération peuvent déboucher sur des réussites. Cette « spin-off » de l’université de Saint-Gall et de l’EPFZ, qui développe des lampes LED intelligentes, a été plusieurs fois primée.
En Suisse, les petites et moyennes entreprises (PME) profitent de la coopération avec les grandes firmes. Intégrées dans leurs chaînes de valeur en tant que fournisseurs de composants hautement spécialisés, elles accèdent ainsi aux marchés internationaux et peuvent devenir des « champions cachés » sur des marchés de niche. Les PME peuvent également s’aligner sur les axes que les groupes privilégient pour assurer leur avenir (voir illustration 1).
Ill. 1. Les acteurs du système national de recherche et d’innovation
Source : Graham et Woo (2009), OCDE (1999), représentation élaborée par les auteurs / La Vie économique
La main-d’œuvre qualifiée, un atout
L’accès à la main-d’œuvre qualifiée est la raison principale pour laquelle les multinationales pratiquent la R&I en Suisse (voir illustration 2 et encadré). Comme le montrent les entretiens menés par l’Institut de gestion de la technologie de l’université de Saint-Gall avec des représentants d’entreprises, les grandes firmes recourent volontiers aux diplômés très qualifiés des hautes écoles suisses – principalement à ceux issus des écoles polytechniques fédérales de Zurich et de Lausanne. La qualité de vie élevée et la qualité des infrastructures sont également appréciées.
La proximité de la recherche et de la technologie de pointe est également essentielle. Elle permet aux multinationales de s’unir aux hautes écoles, ce qui favorise les échanges et le développement continu du système de recherche et d’innovation. Le fait que la Suisse soit le numéro un mondial en termes de dépôts de brevets par habitant prouve d’ailleurs que, jusqu’ici, cette formule a bien fonctionné.
Ill. 2. Raisons pour les multinationales de pratiquer la R&I en Suisse
Remarque : moyenne ; échelle de Likert à sept niveaux, de 1 = insignifiant à 7 = très important ; nombre de multinationales interrogées : 45.
Source : Gassmann, Homann et Palmié (2016) / La Vie économique
Le soutien de l’État : un point faible
La discussion sur l’attrait et les potentiels d’amélioration s’articule autour des thèmes suivants (voir illustration 3)[1] :
- disponibilité du personnel qualifié ;
- qualité des hautes écoles et des instituts de recherche ;
- incitations fiscales et financières pour la R&I ;
- promotion de la R&D ;
- droits de propriété intellectuelle.
Comme mentionné plus haut, la Suisse marque des points dans le sondage en ce qui concerne la disponibilité du personnel qualifié. Elle est jugée très attrayante tant au regard du niveau de formation que de l’accès à la main-d’œuvre qualifiée. Les multinationales souhaitent que la part des sciences naturelles s’améliore dans la formation, afin d’augmenter le nombre d’experts autochtones à disposition. Il leur importe en outre que l’accès aux spécialistes étrangers continue d’être garanti à l’avenir.
Concernant la qualité des hautes écoles et des instituts de recherche, la Suisse est également très bien notée. Des possibilités d’amélioration résident dans une plus grande autonomie des hautes écoles, l’assurance que ces dernières bénéficient d’un financement de base solide et la création d’un parc suisse d’innovation.
Les droits de propriété intellectuelle figurent également au nombre des aspects très positifs, aussi bien concernant l’accès à la protection que l’application de ces droits.
En revanche, la Suisse ne suscite qu’un intérêt moyen lorsqu’il s’agit des incitations fiscales et financières à la R&I. L’imposition globale est certes intéressante. En revanche, les incitations fiscales sur le plan des investissements (p. ex. la déductibilité répétée des charges de R&I pour l’impôt sur le bénéfice) comme des résultats (p. ex. moyennant des « licence boxes ») sont jugées moins attrayantes. Il existe un potentiel d’amélioration en ce qui concerne les dépenses de R&I, dont la déductibilité est faible en comparaison internationale. À noter qu’avec la réforme de l’imposition des entreprises III, l’environnement fiscal est actuellement en pleine mutation.
Enfin, la promotion de la R&D est l’aspect jugé le plus faible en Suisse. Pour les multinationales, il serait souhaitable que l’État renforce son soutien, par le biais du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) et de la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI). Les firmes interrogées soulignent en outre l’importance d’une participation suisse à Horizon 2020, le programme de l’UE pour la recherche et l’innovation.
Ill. 3. Attractivité et potentiels d’amélioration en Suisse, selon les multinationales
Remarque : échelle de Likert à sept niveaux, de 1 = très peu attrayant à 7 = très attrayant ou de 1 = amélioration sans importance à 7 = amélioration très importante ; nombre de multinationales sondées : 48.
Source : Gassmann, Homann et Palmié (2016) / La Vie économique
Améliorer les conditions-cadres
L’image générale qui se dégage de l’étude est que la Suisse reste en excellente position face à la concurrence internationale, mais que ses avantages comparatifs sont de plus en plus sous pression. Contrairement à une idée reçue, l’innovation dans notre pays n’est pas essentiellement le fait de PME solides. C’est surtout l’interaction symbiotique entre les multinationales et d’autres acteurs de l’économie et des milieux académiques qui la fait progresser et qui garantit à la Suisse une position de leader à l’échelle mondiale.
La Suisse et son économie tirent profit des activités de R&I déployées par les multinationales. Les avantages englobent la part substantielle de ces sociétés dans la valeur ajoutée globale, l’augmentation de la compétitivité des entreprises locales, la création d’emplois bien rémunérés, la formation d’une relève hautement qualifiée, le renforcement du secteur des hautes écoles ainsi que la mise en réseau des acteurs suisses de R&I au niveau national et international.
Les entreprises interrogées estiment que la Suisse offre de bonnes conditions-cadres pour les activités de R&I. Face à la concurrence internationale croissante, elles recommandent toutefois de poursuivre leur amélioration de différentes manières. Premièrement, la Suisse doit devenir une nation attrayante et ouverte pour les chercheurs et les grands cerveaux. Deuxièmement, elle doit examiner l’introduction d’un éventuel privilège fiscal pour le domaine de la R&I. Troisièmement, il faut continuer à développer les instruments majeurs d’encouragement, comme le FNS ou la CTI.
- Guimón J., « Policies to benefit from the globalization of corporate R&D – An exploratory study for EU countries », Technovation, 31, 2011, pp. 77–86. []