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La Suisse est prête pour le renminbi

La devise chinoise, le renminbi, entrera dans le panier du Fonds monétaire international à partir d’octobre, ce qui fera d’elle l’une des monnaies de transaction les plus importantes du monde. La Suisse a compris cette ouverture et a négocié de bonnes conditions-cadres avec la Chine afin de devenir un centre financier important au niveau international avec un accès aux marchés financiers chinois.
La croissance de la puissance commerciale chinoise a attiré l'attention de nombreux investisseurs, comme ici à Jinhua.

En novembre dernier, le Fonds monétaire international (FMI) a décidé d’inclure le renminbi (RMB), soit la monnaie chinoise désignée également sous le nom de yuan, dans le panier des droits de tirage spéciaux avec une pondération de 10,9 % à côté du dollar étasunien (USD), de l’euro, du yen japonais et de la livre sterling ; cette décision entrera en vigueur le 1er octobre prochain. Les droits de tirage spéciaux servent notamment d’unité de compte à l’usage du FMI. Seules les monnaies les plus importantes, suivant les critères de l’organisation, peuvent participer à ce panier. Cette décision montre l’importance du renminbi actuellement, alors que l’on n’y prêtait guère attention en dehors des frontières chinoises avant l’éclatement de la crise financière mondiale. Déjà à l’époque, cela contrastait fortement avec la puissance commerciale du pays, dont la portée était mondiale.

Il paraissait, dès lors, évident que le RMB prendrait tôt ou tard une importance internationale lorsque le pays montrerait un intérêt en ce sens. La Chine a de bonnes raisons de vouloir régler davantage ses flux financiers internationaux dans sa propre monnaie. Les risques de change et des coûts de transaction extérieurs diminueraient. Les entreprises chinoises offrant des services financiers amélioreraient leur compétitivité, puisqu’elles auraient à un accès privilégié à des liquidités basées sur le RMB et à une infrastructure. Il serait également moins nécessaire de détenir des réserves de devises pour couvrir les crises monétaires.

Les questions de prestige ont peut-être aussi servi les défenseurs des réformes financières chinoises pour mettre l’internationalisation du RMB tout en haut de l’agenda du gouvernement chinois.

L’ombre persistante de la crise asiatique


Les premières étapes de la libéralisation de la politique monétaire chinoise ont été entamées dès le milieu des années nonante. Elles ont, toutefois, cessé rapidement en réaction à la crise monétaire asiatique. Le RMB a, alors, été rattaché sur une base fixe à l’USD et le contrôle des flux de capitaux a été durci. Par rapport à d’autres pays, la Chine a plutôt bien surmonté la crise asiatique, ce qui a souvent contribué à légitimer la poursuite d’une politique monétaire et financière isolationniste dans les années qui ont suivi. Son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 lui laissait entrevoir une croissance quantitative élevée. À cette époque, la compétitivité de ses exportations était servie par une politique des taux de change compétitive. Les excédents commerciaux qui en résultaient poussaient à la hausse le RMB. Pour atténuer ce phénomène, la Banque populaire de Chine (BPC) – autrement dit la banque centrale – a acheté en masse des USD sur le marché des devises. Cela a provoqué une hausse très forte des réserves de devises chinoises, qui ont atteint plus de 2 billions d’USD.

Vu la faiblesse persistante de cette monnaie et le risque latent de défaillance des investissements étasuniens, les réserves massives accumulées représentaient une avalanche de risques de plus en plus excessive[1]. C’est dans ce contexte que s’est exprimé le gouverneur de la BPC en mars 2009 dans un article qui a retenu une large attention. Ce texte soulignait la nécessité d’une monnaie de réserve internationale basée sur les droits de tirage spéciaux du FMI, afin de stabiliser le système financier mondial. Il remettait en question le rôle de l’USD comme monnaie de référence mondiale[2]. Pendant la crise financière, le RMB a continué sa percée étant donné les tensions qui régnaient sur les marchés financiers. Cela a débouché sur la signature de divers accords relatifs aux échanges financiers entre la BPC et d’autres banques centrales asiatiques. Le moment a semblé propice au gouvernement chinois pour internationaliser le RMB et le faire avancer sur divers grands axes.

L’accession au rang de monnaie d’échange     


Il est important de voir que l’utilisation du RMB comme monnaie internationale de transaction et de réserve et la libéralisation de la balance des capitaux sont apparentés. Ces aspects diffèrent, toutefois, fondamentalement de l’internationalisation du RMB. S’agissant de la balance des capitaux, le gouvernement chinois a opté pour une régulation des flux de capitaux transfrontaliers passant par divers régimes de licences et de quotas. Citons parmi ceux-ci le Programme des investisseurs institutionnels étrangers qualifiés (Qualified foreign institutional investor programm, QFII) ou son prolongement libellé en monnaie nationale, le RMB Qualified institutional investor programm (RQFII). Ces programmes permettent à des investisseurs étrangers d’accéder aux marchés financiers chinois. Dans l’autre sens, le Qualified domestic institutional investor programm (QDII) autorise les investisseurs institutionnels chinois licenciés à effectuer des placements à l’étranger. Il existe aussi d’autres systèmes et canaux d’investissements, comme les liens entre les bourses chinoises et étrangères qui permettent des flux de capitaux transfrontaliers.

Ces mesures ciblées et sélectives visant à promouvoir la convertibilité du RMB font que le degré d’internationalisation de la devise peut être plus ou moins marqué selon la manière de l’utiliser. C’est surtout dans son rôle de monnaie de transaction que le RMB s’est développé rapidement au cours de ces dernières années, notamment au niveau régional. On le doit surtout à l’arrivée progressive du RMB dans le commerce transfrontalier à partir de 2009. Alors qu’en janvier 2012, cette devise ne représentait que 0,25 % des paiements internationaux effectués par Swift, la plate-forme de communication pour les paiements internationaux, cette proportion s’élevait à 2,45 % quatre ans plus tard, ce qui correspond à une progression du vingtième au cinquième rang. En comparaison, la Suisse compte pour 1,63 %[3].

Des besoins en développement élevés, malgré la libéralisation


En dépit de son dynamisme de ces dernières années, il semble que l’on puisse actuellement faire du RMB une monnaie de référence émergente. Pour les opérateurs, les marchés financiers chinois ont encore beaucoup de chemin à faire, malgré les progrès accomplis. Ils doivent ainsi disposer des instruments liquides nécessaires pour les opérations de couverture. De plus, les interventions directes ou indirectes de l’État ont toujours un impact considérable, malgré l’assouplissement de la politique des taux d’intérêt et de change. Les corrections apportées aux bourses chinoises au milieu de 2015 apparaissent parfois comme des symptômes de la fragilité persistante qui affecte le système financier de ce pays.

Cependant, le fait que des corrections de cette nature puissent se produire est le signe que les forces du marché jouent un rôle de plus en plus grand. La Chine conservera sans aucun doute le cap qu’elle a choisi, à savoir la libéralisation progressive de sa balance des capitaux et l’internationalisation de sa devise. Il se peut que l’on assiste à des ralentissements temporaires. Les avis divergent toutefois sur la meilleure chronologie à adopter en matière de libéralisation. Le gouvernement chinois semble en ce moment privilégier celle des mouvements de capitaux avant celle des taux de change. L’idée est de remplacer progressivement les contrôles explicites des flux de capitaux par des mécanismes de surveillance administrative plus légers.

Une chance pour les prestataires financiers étrangers


Dans le sillage de ce qui précède, Hong Kong s’est révélé, dès le début, parfaite pour tester les premières initiatives destinées à internationaliser le RMB. Un marché « offshore » des liquidités y a été ouvert, dont le volume est d’environ 1 billion de RMB. Comme la Chine contrôle les flux de capitaux, deux taux de change différents sont apparus : l’un pour le marché « onshore » (CNY) et l’autre pour le marché « offshore » (CNH). Ce dernier est en principe librement négociable.

Ajoutons à cela que vers 2012, la Chine a commencé à promouvoir l’internationalisation du RMB sur d’autres marchés « offshore », tout en restant concentrée sur ses partenaires commerciaux les plus importants et sur les centres financiers influents. Cette internationalisation a ouvert de nouvelles possibilités d’affaires aux prestataires financiers en dehors de la Chine et de Hong Kong.

La Suisse, avec son important secteur financier, entend participer à ce mouvement. Son économie réelle peut notamment profiter d’une offre élargie de services financiers basés sur le RMB. Dans cette optique, le positionnement de la place financière suisse en tant que plateforme de la devise chinoise a suscité un grand intérêt. Un tel « hub » ne peut, toutefois, pas se réduire à de simples solutions institutionnelles, comme la présence d’une banque de compensation. Il se définit avant tout par l’ensemble des conditions institutionnelles et des activités commerciales qui permettent le déroulement de services financiers basés sur le RMB et qui contribuent à la création d’un marché « offshore » liquide approprié. Le plus important est que la mise en place et le développement de la plateforme s’inscrivent dans un processus continu.

Le dialogue financier entre la Suisse et la Chine


La Suisse entretient des relations économiques et diplomatiques intenses avec la Chine et a commencé très tôt à soutenir ses initiatives de réforme. L’accord de libre-échange, entré en vigueur en juillet 2014, constitue une étape importante. L’augmentation des efforts consentis en faveur de l’économie réelle ou pour élargir les relations bilatérales a aussi accru la nécessité de disposer de l’infrastructure nécessaire aux flux financiers qui en découlent. Les prestataires financiers suisses accordent, en outre, une importance stratégique élevée à l’internationalisation du RMB et aux possibilités commerciales qui y sont liées.

En mai 2013, la BPC et le Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI) ont posé la première pierre d’un dialogue financier annuel. Ces deux organismes dirigent le dialogue officiel. D’autres acteurs y participent également : la Banque nationale suisse (BNS), l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma), le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ainsi que diverses autorités chinoises de surveillance des marchés financiers et de régulation.

Depuis lors, le dialogue financier avec la Chine s’est avéré une plateforme utile pour nouer et entretenir des contacts privilégiés avec les autorités chinoises compétentes. Il a permis d’approfondir en peu de temps la collaboration bilatérale dans le domaine financier. Ces liens très intenses ont permis à la Suisse d’être invitée à participer aux travaux du G20 dans le secteur financier. C’est là que des décisions importantes sont prises pour développer le système financier international et réguler les marchés qui lui sont subordonnés.

Le contenu du dialogue financier avec la Chine porte sur une vaste palette de sujets. On y échange des points de vue et des expériences sur l’évolution nationale et internationale en matière de politique financière et de régulation, de même que sur les positions adoptées dans les forums financiers internationaux. Lors des rencontres qui ont eu lieu jusqu’ici, la participation de la Suisse à l’internationalisation du RMB et la mise en place de conditions-cadres institutionnelles adéquates sur son territoire ont constitué un point important. L’engagement de nos autorités se fonde sur un intérêt manifeste et solide de la part du secteur privé et de la politique.

Le premier ministre chinois Li Keqiang[4]: s’est exprimé, de son côté, à l’occasion d’une conférence au sommet en marge du WEF en janvier 2015. Il a confirmé son intérêt pour un renforcement de la collaboration bilatérale dans le secteur financier. Il a ainsi émis un signal politique fort vis-à-vis de la place financière suisse en tant que marché « offshore » du RMB.

Des avantages pour la Suisse


Ces contacts entre autorités ont permis à la Suisse de mieux participer, ces trois dernières années, à l’internationalisation du RMB et de mettre en place l’infrastructure nécessaire au déroulement des services financiers basés sur cette monnaie. On peut citer, par exemple, l’accord de swap passé entre la BNS et la BPC, qui permet à la Chine de mettre si nécessaire à la disposition de la Suisse des liquidités à hauteur de 150 milliards de RMB. En janvier 2015, la Chine a élargi son programme RQFII à la Suisse avec un quota de 50 milliards de RMB. Cette somme constitue un canal qui permet aux investisseurs institutionnels suisses de pénétrer directement sur les marchés financiers chinois. De même, la BPC a autorisé en novembre dernier l’échange direct de RMB contre des francs suisses au China Foreign Exchange Trade System (CFETS), la plate-forme officielle chinoise d’échange de devises.

Un taux de change direct entre le RMB et le franc suisse peut contribuer à réduire les coûts de transaction, puisqu’il n’est plus nécessaire de passer par l’USD comme jusqu’ici. On peut s’attendre à voir augmenter le volume d’affaires des services financiers suisses basés sur le RMB. Ce sera notamment le cas de la China Construction Bank, la banque de compensation en RMB désignée par la BPC ; depuis l’automne dernier, elle possède une licence pour l’ouverture d’une succursale en Suisse. Indépendamment de l’avantage que procure cette compensation locale, la présence de banques chinoises en Suisse est importante, notre pays possédant le savoir-faire et le réseau nécessaires pour faire des affaires avec la première puissance asiatique.

Pour terminer, l’interdépendance bilatérale du commerce et de la finance de même que la cohérence entre les différentes activités commerciales et les mécanismes institutionnels sont décisives pour générer un volume d’affaires rentable et développer un marché « offshore » des liquidités. Avec les mesures énoncées ci-dessus, la Suisse a créé les conditions-cadres pour que sa place financière puisse devenir une plateforme dédiée aux services basés sur le RMB. Cela la hisse au même niveau que les autres places européennes et lui permet de se transformer en passerelle vers les marchés financiers chinois. Il incombe au secteur financier lui-même de profiter de cette chance.

  1. Xinhua, Premier worries about safety of Chinese assets in U.S., 13 mars 2009. []
  2. Zhou Xiaochuan, Reform the international monetary system ; voir sous www.bis.org. []
  3. Voir SWIFT RMB Tracker à l’adresse www.swift.com. []
  4. Voir Xinhua du 20 janvier 2015, «Premier Li arrives in Switzerland for Davos forum, working visit» []

Bibliographie

  • Yu Yongding, How Far Can renminbi Internationalization Go?, ADBI Working Paper Series, février 2014.
  • Eswar S. Prasad, The Dollar Trap, 2014, Princeton University Press.
  • The Economist Intelligence Unit, A delicate stage : The future of the renminbi as a global investment currency, 2015.
  • Bloomberg.com, « A Timeline : The Chinese Yuan’s Journey to Global Reserve Status », 30 novembre 2015.

Bibliographie

  • Yu Yongding, How Far Can renminbi Internationalization Go?, ADBI Working Paper Series, février 2014.
  • Eswar S. Prasad, The Dollar Trap, 2014, Princeton University Press.
  • The Economist Intelligence Unit, A delicate stage : The future of the renminbi as a global investment currency, 2015.
  • Bloomberg.com, « A Timeline : The Chinese Yuan’s Journey to Global Reserve Status », 30 novembre 2015.

Proposition de citation: Bernhard Küffer (2016). La Suisse est prête pour le renminbi. La Vie économique, 27 avril.