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Pas si différents que cela !

On dit que les 20 à 35 ans planifient leur carrière différemment de leurs parents. C’est, en tous cas, un des clichés très répandus en ce qui concerne la génération dite Y. Une étude mondiale d’IBM leur tord le cou.
La génération Y a grandi avec le numérique. Cela la rend intéressante pour les entreprises.

Les médias rapportent fréquemment qu’il y aurait de grandes différences entre les générations de travailleurs. Or, une étude multigénérationnelle menée par le groupe informatique étasunien IBM et publiée l’année dernière révèle que ces différences si souvent évoquées sont fortement exagérées[1]. Il en ressort que l’attitude de la génération Y est fréquemment mal décrite. Les générations X et Y ainsi que les « baby boomers » (voir encadré) présentent en réalité de grands similitudes en ce qui concerne leurs objectifs professionnels, leur besoin de reconnaissance et tous les éléments que les employés apprécient à leur poste de travail.

Il existe toutefois une différence fondamentale entre la génération Y et celles qui l’ont précédée : le fait d’être la première à avoir grandi dans un monde numérique. Cela présente un certain intérêt pour les entreprises. Au moment même où ces dernières vivent la révolution numérique et ont un besoin urgent de compétences informatiques et de la mentalité ad hoc, les « natifs de l’ère numérique » (« digital natives ») entament leur parcours professionnel et revêtent des fonctions à haute responsabilité. Plusieurs dirigeants de sociétés sont convaincus que les Y disposent tout particulièrement des capacités nécessaires pour assurer la mutation numérique.

Ces dirigeants savent que leurs entreprises doivent plaire aux nouveaux talents et qu’il faut réussir à se les attacher. Ils se demandent quel environnement et quelle culture d’entreprise développer pour gagner les Y à leur cause. Ce faisant, ils postulent que ces derniers ont d’autres idées et besoins que leurs aînés.

Pour mieux comprendre cette dynamique, l’IBM Institute for Business Value a interrogé dans le monde entier plus de 1700 employés de petites et grandes entreprises de différents secteurs[2]. Les réponses des Y interrogés ont été ensuite comparées à celles des personnes actives appartenant à la génération X ou aux « baby boomers ». Il s’est avéré qu’en ce qui concerne la génération Y, le monde du travail connaît cinq mythes extrêmement répandus (voir encadré 2).

Objectifs professionnels et louange


Le premier mythe affirme que la génération Y aurait d’autres objectifs professionnels que les deux précédentes (voir illustration 1). Constat : les Y interrogés ont effectivement des objectifs et des attentes aussi nombreux que variés. Comme de nombreux représentants de cette génération ont atteint l’âge adulte pendant la grande récession qui a suivi la crise financière, il n’est guère surprenant qu’ils aspirent à la sécurité financière.

Les Y veulent également exercer une action positive dans leur organisation. Ils souhaitent une direction d’entreprise qui les inspire, des stratégies d’affaires définies clairement et une harmonisation sans problème de leurs vies privée et professionnelle. Enfin, ils revendiquent de la souplesse, une liberté de décision aussi étendue que possible et de l’autoresponsabilité, sans parler d’une reconnaissance liée à la performance et au succès, avec les promotions qui en découlent. Qui n’en souhaite pas autant ? Les actifs de la génération X et les « baby boomers » ont des désirs et des besoins semblables en matière de plan de carrière et d’attentes.

Ill. 1. Objectifs professionnels primordiaux selon les générations




Remarque : Les personnes interrogées devaient sélectionner les deux propositions qui leur paraissaient les plus importantes sur les dix exprimées. Génération Y : N=1153 ; génération X : N=353 ; « baby-boomers » : N=278.

Source : IBM (2015) / La Vie économique

Selon un autre mythe, les Y veulent être loués en permanence, ne serait-ce que pour avoir tout simplement effectué leur travail. Il n’y a également rien dans les données recueillies qui le confirme. À la question de ce qui fait un supérieur « parfait », de nombreux représentants de la génération Y répondent souhaiter un chef qui dirige ses collaborateurs de façon équitable et moralement irréprochable. Ils voudraient en outre un supérieur qui transmette volontiers les informations et qui soit strict et fiable.

Les Y attachent moins d’importance à ce que leur supérieur reconnaisse leurs prestations. Les collaborateurs interrogés de la génération X sont plutôt d’avis que tous les membres d’une équipe performante devraient être récompensés. En outre, 66 % de la génération X sont d’avis que les employés devraient être récompensés pour leurs échanges et leur collaboration, contre seulement 55 % chez les Y.

Internet et autonomie


Une autre opinion très répandue est que les Y seraient des accros du numérique. Ils voudraient tout expédier en ligne et utiliser collectivement l’informatique. Ces technologies leur sont certes très familières, mais cela ne signifie pas qu’ils souhaitent interagir exclusivement en mode virtuel.

Ainsi, en réponse à la question concernant la manière dont ils souhaitent acquérir de nouvelles connaissances professionnelles, l’interaction directe, d’homme à homme, fait aussi partie des trois options qu’ils privilégient : les foires et événements, la formation personnelle en salle de classe et la collaboration avec un collègue compétent (voir illustration 2). Le recours aux modules interactifs ou aux applications ne figure qu’au quatrième rang. L’essentiel est que, comme les actifs d’autres générations, les Y souhaitent vivre des expériences variées.

Ill. 2. De quelle manière les Y préfèrent-ils acquérir de nouvelles connaissances professionnelles ?




Remarque : La question posée à la génération Y était la suivante : quelle est la meilleure manière d’acquérir des connaissances et des compétences professionnelles ?

Source : IBM (2015) / La Vie économique

On prétend encore souvent que, contrairement à leurs aînés, les Y seraient incapables de prendre des décisions sans avoir recueilli auparavant l’avis de tous leurs collègues. Certes, 56 % des Y interrogés estiment prendre de meilleures décisions s’ils ont demandé au préalable l’avis de différentes personnes, mais 64 % des actifs interrogés de la génération X font la même réponse, alors que chez les « baby boomers », le taux est tout juste de 50 %.

Il est donc exact qu’avant de prendre une décision, les Y aiment discuter avec leurs collègues de travail et qu’ils sont convaincus d’obtenir ainsi des résultats plutôt positifs. Il est, toutefois, manifeste que beaucoup de leurs aînés le pensent aussi.

L’argent compte, même pour les jeunes


Le dernier mythe prétend que les représentants de la jeune génération auraient une tendance plus marquée à changer d’employeur quand ils estiment ne pas pouvoir se réaliser dans leur emploi. Ici encore, les résultats de l’enquête indiquent que les employés des trois générations étudiées changent de poste pour les mêmes raisons.

L’idée de gagner plus d’argent dans un environnement plus créatif justifie un changement d’emploi pour plus de 40 % des personnes interrogées, toutes générations confondues ; c’est le principal facteur évoqué. Deux clichés sont également contredits : seuls 21 % des Y déclarent vouloir renoncer à leur emploi pour exercer un travail plus intéressant et seuls 13 % d’entre eux changeraient de travail pour se consacrer à des tâches plus en lien avec leurs préoccupations sociales ou écologiques.

Les clichés générationnels mènent dans l’impasse


Ces constats ont des conséquences pour les entreprises. Ainsi, les cadres doivent renoncer à diriger leurs collaborateurs sur la base de clichés générationnels. Tous les employés doivent être considérés comme des individus dotés de mérites spécifiques et d’un potentiel d’amélioration. Pour embaucher les meilleurs talents et les attacher à l’entreprise, il faut que les organisations concernées analysent correctement leurs besoins en personnel. Elles ont également besoin de stratégies et de programmes dans lesquels les collaborateurs sont perçus comme des individus uniques et complexes.

Tout comme leurs aînés, les jeunes voudraient avoir le sentiment que leur activité est bénéfique à l’entreprise. Il faut, en outre, que leur travail soit important. Les Y souhaitent, enfin, des supérieurs qui les inspirent et voudraient être sûrs d’être informés des choses essentielles. Ils souhaitent également avoir accès aux informations, aux données, aux outils et aux technologies dont ils ont besoin pour donner le meilleur d’eux-mêmes.

Cibler les incitations


Quelles mesures les entreprises doivent-elles donc prendre pour garantir de telles conditions de travail ? La communication est certes importante, mais il faut surtout que les paroles soient suivies d’actes. Les entreprises doivent veiller à reconnaître les prestations de leurs employés et à bien juger les incitations qu’elles créent pour eux.

Quels sont les programmes nécessaires pour souder intelligemment les cadres et leurs équipes ? De quelle formation les supérieurs ont-ils besoin pour améliorer la collaboration avec leurs subordonnés ? Les Y apprécient certes les avantages liés aux notices brèves (SMS ou tweets), mais ils ne souhaitent pas vivre pour autant dans une bulle virtuelle. Les entreprises doivent donc réfléchir au bon équilibre à trouver entre les activités et les formes de communication réelles et virtuelles. Comme un nombre toujours croissant d’employés pratiquent le télétravail, la question continuera à se poser.

Tant les Y que leurs aînés se sentent attirés par des salaires compétitifs et un cadre de travail créatif, dans lequel chacun peut participer au développement d’idées novatrices. Les entreprises qui pratiquaient jusqu’ici une approche descendante (« top-down ») et travaillaient dans un contexte isolé peuvent affronter ici de sérieux défis. Il leur faudra en effet mettre en place des systèmes électroniques favorisant la collaboration, constituer des communautés transversales et développer une culture qui favorise la recherche de consensus. Ce sont surtout ces changements qui permettront aux entreprises de s’imposer dans la course aux meilleurs cerveaux et de soutenir le développement de leurs collaborateurs de tous âges.

  1. Carolyn Heller Baird, Myths, Exaggerations and Uncomfortable Truths, IBM Institute for Business Value, Somers, NY, 2015. []
  2. Les États étudiés sont l’Allemagne, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l’Espagne, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Inde, le Japon et le Mexique. Les secteurs comprennent les banques, les assurances, le commerce de détail, les médias et les loisirs, l’électronique de divertissement et les télécommunications. []

Proposition de citation: Carolyn Heller Baird (2016). Pas si différents que cela !. La Vie économique, 25 mai.

Générations X, Y et « baby boomers »

La génération Y (on parle aussi des milléniaux) comprend les personnes nées entre 1980 et 1996 ; l’étude IBM ne tient compte que des volées 1980 à 1993. La génération X recouvre les volées 1965 à 1979 et les « baby boomers » celles de 1954 à 1964.

Cinq mythes concernant la génération Y

  1. Les Y ont d’autres objectifs et attentes professionnelles que les actifs des générations précédentes.
  2. Les Y veulent être loués en permanence et sont d’avis que tous les membres de leur équipe devraient être distingués pour leurs prestations.
  3. Les Y sont des accros du numérique. Ils veulent tout expédier en ligne et utiliser collectivement l’informatique.
  4. Contrairement à leurs collègues plus âgés, les Y sont incapables de prendre des décisions sans avoir recueilli auparavant l’avis de tous leurs collègues.
  5. Les Y ont plutôt tendance à changer d’employeur s’ils estiment ne pas pouvoir se réaliser dans le poste qu’ils occupent.