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Travail à temps partiel et rente : il vaut la peine d’y regarder de plus près

Le travail à temps partiel durant la vie active peut diminuer le montant de la retraite. Une nouvelle étude montre ce dont il faut tenir compte, le moment venu, pour bénéficier du minimum vital. Elle formule des recommandations concrètes.

Travail à temps partiel et rente : il vaut la peine d’y regarder de plus près

Ce sont surtout les jeunes mères qui travaillent à temps partiel. Elles doivent travailler à plein temps avant d’avoir des enfants et dès qu’ils ont atteint un certain âge si elles veulent réduire la risque de pauvreté après l’âge de la retraite.

Il n’y a guère de pays européens où le travail à temps partiel soit aussi répandu qu’en Suisse[1]. Cette tendance se renforce depuis les années nonante. Parmi la population active, 60 % des femmes et 16 % des hommes ont actuellement un taux d’occupation inférieur à 90 %, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. En Suisse, le travail à temps partiel est une caractéristique de l’emploi féminin.

Le taux extrêmement élevé de travail à temps partiel chez les femmes s’explique notamment par la fiscalité qui décourage le conjoint marié de travailler pour un second revenu. Ajoutons-y la répartition inégalitaire des tâches domestiques et familiales, les attentes de la société concernant le rôle des parents et les inégalités salariales.

Conséquences à l’âge de la retraite


Dans leur étude intitulée Les conséquences du travail à temps partiel sur les prestations de prévoyance vieillesse[2], les professeurs Giuliano Bonoli, de l’Idheap, et Eric Crettaz, de la Haute école de travail social Genève (Hets), ont analysé la manière dont le taux d’activité se répercute sur les futures rentes. Comment le salaire et les règlements des caisses de pension influencent-ils la prévoyance vieillesse ? Quel est l’impact d’un divorce sur la rente, lorsque la personne a travaillé à un taux d’occupation réduit ?

En Suisse, une grande partie des personnes en âge de travailler s’efforcent de concilier vies professionnelle et privée. À cette fin, la plupart d’entre elles (surtout les femmes) recourent au travail à temps partiel. En effet, les mères qui voudraient travailler à plein temps ou avec un taux d’occupation de 80 à 90 % doivent surmonter de sérieux obstacles. Elles se heurtent d’un côté aux normes sociales, de l’autre à des phénomènes institutionnels : la Suisse est l’un des pays développés qui dépensent le moins d’argent public pour la famille, en particulier la petite enfance.

Afin de s’occuper de leurs enfants, de nombreuses femmes décident donc de renoncer à tout ou partie de leur activité professionnelle. Des phases prolongées d’emploi à faible temps partiel peuvent cependant peser lourd sur le niveau des prestations de l’AVS et du deuxième pilier.

L’arbitrage entre un travail à temps partiel aujourd’hui et une bonne rente à la retraite est difficile à réaliser. La complexité du système de retraite suisse fait qu’il n’est pas aisé d’en mesurer les conséquences en termes de prévoyance vieillesse. La plupart des jeunes assurés sont vraisemblablement incapables d’effectuer une pesée d’intérêts en toute connaissance de cause.

Différences notables entre les sexes


Les données statistiques de l’Enquête suisse sur la population active (Espa) permettent de mesurer la prévalence du travail à temps partiel et de la non-participation au marché du travail en Suisse selon le genre, l’âge, la situation familiale (présence d’un partenaire, enfants, état civil) et le statut socioéconomique (formation et niveau salarial).

Conformément aux attentes, la situation en Suisse varie fortement en fonction du genre : comme le montrent les données 2013 de l’Espa, 24,2 % des femmes entre 20 et 65 ans n’exercent pas d’activité lucrative, contre seulement 13% des hommes. L’écart est encore plus spectaculaire pour l’emploi à plein temps : alors que 75,9 % des hommes travaillent à plein temps, la proportion tombe à 28,9 % chez les femmes. Cette différence entre les sexes est très marquée en Suisse. Elle dépend de la situation socioéconomique, de l’état civil et de l’âge. On l’observe même chez les personnes vivant seules et sans enfant.

S’occuper des enfants n’est donc pas la seule raison pour laquelle les femmes choisissent le temps partiel. En effet, un peu moins de 50 % des femmes seules et sans enfant travaillent à plein temps. La proportion est de 72 % chez les hommes dans la même situation.

La naissance d’un enfant n’a pas les mêmes conséquences sur l’activité professionnelle des femmes et des hommes. Alors que les pères augmentent leur taux d’occupation, les mères tendent plutôt à le réduire. Cette tendance se renforce avec l’arrivée du deuxième enfant. A contrario, le taux d’activité des mères s’accroît nettement après un divorce, tandis que celui des pères reste quasiment inchangé.

Simuler des prestations de vieillesse


Pour analyser les effets de la politique sociale, on simule souvent les prestations sociales perçues par des individus hypothétiques. La présente étude se base sur des hypothèses conservatrices. Cela signifie que la situation présentée est plus optimiste que la réalité.

Dans un premier temps, l’étude s’intéresse à un « profil simplifié » de célibataires sans enfant, dont elle fait varier le taux d’occupation. Dans un deuxième temps, elle analyse des « profils plausibles » de couples mariés avec deux enfants. Elle simule des trajectoires qui présentent différents types de répartition entre travail rémunéré et non rémunéré. Enfin, l’étude examine comment un divorce se répercute sur ces profils.

Une rente AVS insuffisante pour les célibataires


Dans l’analyse des personnes seules et sans enfant, les simulations montrent que trois facteurs sont particulièrement importants : le niveau salarial, le taux d’activité et le règlement de la caisse de pension. Si deux ou trois facteurs défavorables se cumulent, les prestations de retraite en pâtissent fortement.

L’AVS seule ne permet jamais d’atteindre le minimum vital, soit environ 3100 francs pour une personne seule et 4500 francs pour un couple.

Le taux d’occupation est déterminant pour le montant des prestations de la prévoyance vieillesse. Si une personne touche un bas salaire et est affiliée à une caisse de pension qui ne verse que le minimum légal, elle doit travailler durant toute sa carrière à un taux de 100 % pour atteindre des prestations supérieures au minimum vital. Une caisse de pension plus généreuse peut, toutefois, compenser un taux d’activité plus faible.

À partir d’un taux d’occupation de 60 %, un salaire élevé protège contre le risque de se retrouver en dessous du minimum vital. Avec une caisse de pension relativement généreuse, même un taux d’occupation de 40 % peut suffire pour atteindre ce seuil.

Les couples sont mieux assurés


Une simulation porte sur des individus travaillant à temps partiel, qui sont mariés à un conjoint actif à plein temps et ont deux enfants. Elle montre qu’en général, tous les couples simulés atteignent le minimum vital. Ce constat est valable aussi bien pour les hauts que pour les bas revenus. Le travail à temps partiel au sein d’un couple marié ne présente donc pas un problème majeur pour les finances publiques, dans la mesure où le conjoint travaille à plein temps.

Pour des couples dont les deux partenaires ont un volume de travail équivalent, le système de retraite suisse offre une sorte de prime à l’égalité. En effet, le salaire pris en compte est plafonné dans le deuxième pilier et la partie du salaire qui dépasse ce plafond n’influence pas la rente. Les couples qui partagent le travail de manière égalitaire peuvent mieux exploiter la totalité du salaire assurable. Cette prime à l’égalité peut toutefois disparaître si la caisse de pension offre plus que le minimum légal et a fixé un plafond plus élevé.

Les désavantages dominent en cas de divorce


Selon les simulations, le divorce semble à première vue avoir un impact positif sur les prestations de retraite. En effet, le plafond AVS pour les couples mariés disparaît. En outre, les profils simulés augmentent en général leur taux d’occupation suite à la séparation. Cet impact positif ne suffit toutefois pas à compenser la perte du revenu du conjoint. Ce constat est valable surtout pour les actifs travaillant à des taux très réduits, quel que soit leur niveau de salaire.

Les conséquences d’un divorce sont plus graves pour des personnes qui travaillent à temps partiel et qui touchent un salaire relativement bas. Cette catégorie comprend essentiellement des femmes. Là encore, la simulation le montre bien : avec un taux d’occupation moyen et un salaire bas, les rentes resteront au-dessous du minimum vital en cas de divorce, même si le taux d’activité augmente suite à cet événement.

Prestations de vieillesse simulées, à l’exemple d’une assistante en pharmacie




Remarque : Cet exemple se réfère à un revenu de 3300 francs pour un emploi à plein temps d’assistante en pharmacie. Le revenu du mari se monte à 5550 francs. L’hypothèse est que la femme réduit son taux d’activité à 80 % quand elle se marie, à l’âge de 26 ans. Elle le baisse à 50 % quatre ans plus tard, après la naissance de son premier enfant, puis passe à 20 % à 33 ans après la naissance du deuxième. Au moment du divorce, âgée de 44 ans, elle augmente de nouveau son taux d’activité à 60 %. En atteignant la cinquantaine, elle revient à 80 %. Cette assistante en pharmacie est assurée auprès d’une caisse de pension qui ne garantit que les prestations minimales. Il résulte de l’analyse qu’elle et son ex-mari toucheront les prestations de vieillesse suivantes :

Rente globale de la femme (AVS + IIe pilier): 2330,50 + 930,72 francs = 3261 francs

Rente globale du mari (AVS + IIe pilier): 2706,81 + 2191,21 francs = 4898 francs

Source : Bonoli, Crettaz (2016).

Mettre l’accent sur les jeunes en début de carrière


En Suisse, le système de la prévoyance vieillesse n’oublie rien. Les profils simulés montrent quelle est la meilleure stratégie à adopter pour une personne qui veut être proche de ses enfants quand ils sont en bas âge sans se voir trop lourdement pénalisée à l’heure de la retraite : elle doit travailler à plein temps avant d’avoir des enfants et dès qu’ils ont atteint un certain âge.

Or, l’analyse du marché du travail suggère que très peu de femmes adoptent cette stratégie aujourd’hui en Suisse. Un quart seulement des femmes mariées sans enfant travaillent à plein temps, contre les trois quarts des hommes vivant la même situation. Apparemment, le temps partiel ne sert pas qu’à concilier plus facilement le travail et la famille. Il serait intéressant d’en étudier les autres raisons.

La présente étude a montré que des périodes prolongées de travail à temps partiel à de faibles taux activité peuvent, en cas de divorce, représenter un facteur de risque de pauvreté après l’âge de la retraite. La politique publique devrait donc rendre attentives les générations qui entrent sur le marché du travail, en particulier les jeunes femmes, au fait que le gain en termes de temps à passer avec leurs enfants et leur famille s’obtient au détriment des prestations de retraite.

  1. Cet article a été rédigé sur mandat de la Conférence suisse des délégué-e-s à l’égalité entre femmes et hommes. []
  2. L’étude complète est disponible à l’adresse Equality.ch. []

Proposition de citation: Silvia Hofmann (2016). Travail à temps partiel et rente : il vaut la peine d’y regarder de plus près. La Vie économique, 25 juillet.

Recommandations de la CSDE

La Conférence suisse des délégué-e-s à l’égalité entre femmes et hommes (CSDE) adresse les recommandations suivantes :

  1. Aux femmes et aux hommes. Examiner de manière précoce les effets à long terme du travail à temps partiel sur leur prévoyance vieillesse. Ce qui aujourd’hui paraît être une bonne solution peut devenir un problème au moment de la retraite. Les personnes travaillant en moyenne à 70 % au minimum sont celles qui courent les risques financiers les plus faibles, même en cas de divorce.
  2. Aux entreprises. Veiller à l’égalité salariale, éviter les faibles taux d’activité et renforcer les modèles de travail flexibles pour les hommes et pour les femmes à tous les niveaux de la hiérarchie.
  3. Aux caisses de pension. Indiquer dans leur rapport annuel les données relatives au genre, afin que la répartition des sexes devienne visible dans les prestations obligatoires et surobligatoires.
  4. À l’AVS et aux caisses de pension. Garantir une information transparente, accessible et détaillée aux salariés sur leur prévoyance professionnelle personnelle (Ier et IIe piliers), ainsi que sur les prestations de vieillesse. Produire une fiche annuelle récapitulative et facile à comprendre sur la rente vieillesse prévisible des Ier et IIe piliers.
  5. À la Confédération, aux cantons et aux communes. Financer sur tout le territoire des structures de jour extrafamiliales, abordables et flexibles.
  6. Au Parlement fédéral et aux législatifs cantonaux. Octroyer la pleine déduction fiscale pour les frais d’accueil extrafamilial et introduire l’imposition individuelle, afin de réduire les incitations négatives à l’activité professionnelle des femmes.
  7. Au Parlement fédéral. Mieux protéger les bas revenus, y compris le travail à temps partiel, dans le cadre de la réforme Prévoyance vieillesse 2020.