Le « pare-feu » de l’économie mondiale : état des lieux
La préoccupation se lit sur les visages lors de la crise grecque. La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, et le président de la BCE, Mario Draghi (au milieu), durant l'été 2015.
Le coussin de sécurité de l’économie mondiale représente environ un cinquième de son PIB, soit quelque 16 000 milliards d’USD. Connu sous le nom de « filet mondial de sécurité financière » (« Global financial safety net », GFSN), son objectif est de soutenir, à court et à long termes, les États en proie à des crises économique et financière, et donc de faciliter les ajustements nécessaires. Le GFSN englobe plusieurs dimensions : nationale, bilatérale, régionale et internationale.
Au niveau national, l’accumulation des réserves de devises par la banque centrale constitue le premier coussin de liquidités détenu par les pays en cas de choc économique externe. Depuis la crise, les réserves des pays se sont considérablement accrues : elles s’élèvent cette année à 11 000 milliards d’USD (14 % du PIB mondial) contre 5000 milliards en 2009 (7 %). Si cette accumulation semble excessive pour certains, il faut tenir compte de ses motifs qui ne sont pas nécessairement ou seulement prudentiels. Elle peut, par exemple, résulter d’une politique visant à préserver le taux de change de la monnaie nationale.
Au niveau bilatéral, les banques centrales ont adopté des mesures monétaires concertées (accords de « swap line ») pour répondre aux besoins de liquidités en cas de crise. En 2008, la Banque nationale suisse (BNS) a conclu des accords monétaires avec la Banque du Canada, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed). Depuis lors, ces accords ont été reconduits sans interruption.
Au niveau régional, les accords de financement (« regional financing arrangements », RFA) se sont multipliés ces dernières années. Ils peuvent prendre la forme d’un dispositif de prêt aux États membres (p. ex., le Mécanisme européen de stabilité) ou d’une mise en commun des réserves de change avec la création d’un organe régional de surveillance (p. ex., l’Initiative de Chiang Mai).
Au niveau international, la capacité de prêt du FMI a été considérablement augmentée depuis la crise de 2008. Elle est passée d’environ 200 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) à 460 milliards, ce qui inclut les nouveaux accords d’emprunt du FMI. L’institution a, par ailleurs, procédé à une refonte massive de ses instruments. Le plafond des prêts a ainsi été relevé et ceux-ci sont libérés avec davantage de rapidité. Des mécanismes, tels que la ligne de précaution et de liquidité (LPL), ont, par ailleurs, été adoptés pour servir d’assurance contre les crises. Ils n’ont, toutefois, été que peu utilisés jusqu’à présent. En Europe, les opérations de refinancement se basent sur des instruments traditionnels.
L’essor du régionalisme financier
La montée en puissance du régionalisme financier accroît l’hétérogénéité du système. Les accords conclus à ce niveau varient considérablement selon leurs objectifs, leur taille et leur cadre institutionnel. Le plus important d’entre eux est le Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce fonds de garantie pour les États membres de la zone euro est doté d’environ 700 milliards d’euros. En Asie, l’Asean[1], la Chine, la Corée et le Japon ont lancé, dans le contexte de la crise financière asiatique de 1997, l’Initiative de Chiang Mai, laquelle a pris progressivement la forme d’un accord multilatéral d’échange de devises. En Amérique latine, le Fonds latino-américain de réserve (Flar) constitue plutôt un mécanisme de compensation des paiements infrarégionaux. Plus récemment, en 2015, les Brics[2] ont institué un nouvel instrument de liquidité, le « Contingent reserve arrangement » (CRA). Mis à part le MES, ces accords financiers ont la particularité de ne pas avoir encore été « testés ». Leur efficacité reste donc à prouver.
Malgré leur diversité intrinsèque, les RFA visent des objectifs similaires : promouvoir l’intégration régionale en optant pour une gestion améliorée des crises. L’étroitesse de leurs liens commerciaux permet aux pays d’une même région de bénéficier d’« externalités infrarégionales » : les fonds régionaux offrent ainsi des conditions de prêts avantageuses. La répartition des rôles entre les mécanismes régionaux et le FMI peut, toutefois, poser problème dans certaines circonstances. C’est notamment le cas en ce qui concerne le statut prioritaire du créancier et les modalités de la conditionnalité des prêts. En cas de chocs systémiques, le FMI et les RFA auraient avantage à adopter une vision commune afin d’éviter les effets de contagion.
Un tel système « multistrates » offre des avantages en termes de complémentarité et de flexibilité des conditions de refinancement. Sa trop grande décentralisation n’en est pas moins un souci pour les services du FMI, qui la perçoivent comme un frein à la cohérence du dispositif mondial de stabilisation financière. En novembre 2011, le G20 a adopté six principes destinés à améliorer la coopération entre les RFA et le FMI (complémentarité des prêts, collaboration en matière de surveillance, cohérence des conditions de prêts entre les institutions financières).
Une déresponsabilisation aux effets pervers
Avant de considérer l’octroi de ressources supplémentaires au FMI ou aux autres dispositifs du GFSN, il convient de tenir compte des effets pervers d’un système financier international dans lequel les pays ne sont pas pleinement responsables des risques auxquels ils s’exposent. Il est dangereux, à double titre, d’augmenter la « taille » du filet de sécurité en le doublant d’un mécanisme permanent d’octroi de liquidités, sans conditions préalables ou fort peu. D’une part, un système de garantie financière trop prévisible n’incite pas les pays bénéficiaires à engager les réformes structurelles nécessaires pour éviter les crises. D’autre part, un tel système de garantie publique tend à déresponsabiliser les acteurs privés ; ce problème est connu sous l’appellation d’aléa moral (« moral hazard »). À l’inverse, le fait de laisser un certain degré d’ambiguïté sur l’invulnérabilité du GFSN peut inciter à diminuer les risques encourus, à se réformer et, consécutivement, à permettre une évaluation plus réaliste du risque-pays par le marché.
A contrario, la stratégie la plus efficace pour améliorer la résilience aux chocs réside dans l’application de politiques économiques et financières saines au niveau national. En ce sens, le FMI ne peut pas se contenter d’assumer un rôle de prêteur en dernier ressort, mais doit également renforcer sa capacité de surveillance des politiques de stabilité macroéconomique. Il peut ainsi promouvoir en amont des politiques budgétaires saines et durables ainsi que la surveillance du secteur financier.
Par ailleurs, afin d’éviter de futures crises de l’endettement et de garantir la stabilité des équilibres monétaires et financiers, il convient de clarifier les règles applicables à la faillite d’un État. En ce sens, la Suisse s’engage activement (notamment au FMI et dans le cadre du G20) pour que la restructuration des dettes publiques bénéficie d’un cadre international. Celui-ci doit être impartial, prévisible et fiable, tant pour les débiteurs que pour les créanciers.
En résumé, au lieu de chercher à augmenter la taille du coussin de sécurité, il semble plus urgent de limiter le poids de la chute. La diversité des éléments composant le filet actuel est un atout qu’il convient de préserver. Le rôle central du FMI doit, toutefois, être ajusté aux risques réellement encourus par l’économie mondiale. Il faut aussi tenir compte des motivations des pays à recourir à d’autres organismes que le FMI. Les raisons peuvent être d’ordre politique, procédural ou découler de facilités de liquidité alternatives.
Proposition de citation: Monnerie, Gildas (2016). Le « pare-feu » de l’économie mondiale : état des lieux. La Vie économique, 22. septembre.