Cela fait longtemps que les différentes générations suisses ne s’agencent plus suivant une structure pyramidale. Actuellement, on aurait plutôt un champignon dont le gros chapeau repose sur un pied trapu (voir illustration 1). La taille du chapeau s’explique par un taux de natalité en forte hausse à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce phénomène, appelé « baby-boom », s’est prolongé jusqu’en 1965. Ceux qui sont nés durant cette période prendront leur retraite ces prochaines années. Le rapport de dépendance – qui confronte le nombre de retraités à celui des cotisants à l’AVS – va donc se modifier. Actuellement, on compte trois cotisants pour un rentier. Ils ne seront plus que 2,4 en 2030.
Ill. 1. Structure par âge de la population résidante permanente en 2030
Source : OFS / La Vie économique
Une nouvelle vague de départs à la retraite se produira dans les années 2035, en raison des mouvements migratoires de ces dernières décennies. Cela se répercutera sur le rapport de dépendance en 2045, qui sera d’environ deux cotisants pour un retraité. Ajoutons que les bénéficiaires de rente AVS établis à l’étranger ne font pas partie de la population résidante permanente et ne sont donc pas comptabilisés. Ce groupe absorbe déjà 14 % des rentes AVS versées en Suisse et il s’accroît continuellement.
Comme le nombre de cotisants baisse alors que la masse des rentes à verser augmente, il en résulte un manque à gagner pour l’AVS qui s’amplifiera à partir des années 2020 et conduira au tarissement du Fonds de compensation en 2030. Afin de maintenir le niveau des prestations et d’assurer le financement de l’AVS, le Conseil fédéral a présenté en 2014 le projet de réforme de la prévoyance vieillesse 2020, qui devrait être soumis au peuple l’année prochaine.
L’espérance de vie augmente
Le montant total des rentes à verser augmente avec l’allongement de l’espérance de vie. Jusqu’à présent, les surcoûts ont pu être compensés par le double relèvement de l’âge de la retraite des femmes, en 2001 et en 2004, ainsi que par l’augmentation du taux de la TVA en faveur de l’AVS en 1999. La hausse du volume des cotisations, imputable à une meilleure productivité du travail et à la participation accrue des femmes au marché du travail, y a aussi contribué.
Pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie, la réforme de la prévoyance vieillesse 2020 propose d’harmoniser l’âge de référence de la retraite pour les hommes et les femmes et de relever le taux de TVA en faveur de l’AVS. Elle prévoit en outre d’adapter à l’allongement de l’espérance de vie les réductions et les augmentations actuarielles de la rente en cas d’anticipation ou de report de la retraite.
Conséquences pour le IIe pilier
La modification de la structure d’âge agit également sur le IIe pilier. Il est bien connu que l’espérance de vie croissant, l’avoir de vieillesse épargné doit être réparti sur une plus longue période[1]. On est, par contre, moins conscient du fait qu’avec l’augmentation du rapport de dépendance, les bénéficiaires de rentes prendront de plus en plus d’importance, que ce soit en raison du nombre de personnes ou des avoirs concernés. Ainsi, le capital de prévoyance des retraités sera plus élevé que celui des actifs. Il représentait déjà 45 % du total ces dix dernières années[2]. Ce sera 50 % dans une décennie et 55 % en 2035 (voir illustration 2).
Cette évolution se répercute sur le rendement du capital que les caisses de pension doivent obtenir sur le marché financier. Actuellement, le taux d’intérêt technique, qui sert à calculer le capital nécessaire à la couverture de leurs engagements, est généralement supérieur au taux d’intérêt rémunérant les avoirs de vieillesse des assurés actifs. Pour ces derniers, le rendement moyen a ainsi été de 1,93 % en 2015, tandis que le taux d’intérêt technique avec lequel le capital nécessaire au financement des engagements est calculé, était en moyenne de 2,75 %[3]. Dans ces circonstances, si la part du capital de prévoyance des retraités dans le capital de prévoyance total progresse, le rendement que doivent obtenir les caisses de pension pour maintenir leur stabilité financière augmente également.
Ill. 2. Capital de prévoyance des assurés actifs et des rentiers, de 2005 à 2045
Remarque : le graphique illustre seulement les conséquences directes de l’évolution démographique attendue sur le capital de prévoyance et sur les flux de trésorerie du IIe pilier. Il ne prend pas en compte les autres facteurs économiques, institutionnels et politiques. Les valeurs ne sont donc pas des pronostics, mais servent uniquement à illustrer les effets isolés de l’évolution démographique.
Source : statistiques des caisses de pension (2005-2014) ; calculs de l’Ofas / La Vie économique
Par ailleurs, plus la proportion de retraités parmi les assurés d’une caisse de pension est élevée et plus il est difficile de l’assainir en cas de découvert, le montant des rentes étant garanti. S’il s’avérait nécessaires d’agir en ce sens – en réduisant les intérêts sur les avoirs de vieillesse ou en percevant des contributions d’assainissement par exemple –, ce serait entièrement à la charge des assurés actifs. Les caisses de pension comptant une forte proportion de retraités auront donc plus de difficultés que les autres à combler un découvert. Pour éviter autant que possible qu’un tel phénomène ne se produise, elles peuvent réduire leurs placements à risque, contrairement aux caisses « plus jeunes ». Le vieillissement démographique pose ainsi de nouveaux défis aux institutions de prévoyance, ce qui peut influencer leur politique d’investissement.
Un flux de trésorerie négatif à partir de 2045
La proportion de retraités augmentant dans la population, les flux de trésorerie (ou liquidités) disponibles – à savoir la différence entre les cotisations encaissées et les versements sous forme de rente ou de capital – varieront aussi. À l’heure actuelle, les flux de trésorerie disponibles de toutes les institutions de prévoyance sont clairement positifs : les cotisations sont supérieures d’environ 15 milliards de francs par an aux versements. Ce chiffre est en partie dû au fait que la prévoyance professionnelle se trouve encore en phase de constitution. Ce n’est qu’en 2025, à savoir quarante ans après que le IIe pilier soit devenu obligatoire, que la première génération d’assurés dont la rente se fonde sur un cycle d’épargne complet (début de l’assurance à l’âge de 25 ans) partira à la retraite. Nos projections montrent que les flux de trésorerie disponibles diminueront constamment et deviendront négatifs aux alentours de 2045 (voir illustration 3).
Un flux de trésorerie négatif limite la marge de manœuvre des caisses de pension. Les recettes courantes ne permettent plus de couvrir les dépenses et il faut puiser dans la fortune de prévoyance. Les caisses de pension se trouvent donc dans l’obligation de détenir davantage de liquidités, ce qui aura aussi un impact sur l’allocation de la fortune de placement.
Ill. 3. Cotisations, prestations et flux de trésorerie disponibles (2005-2045)
Voir remarque sous graphique 2.
Source : statistiques des caisses de pension (2005-2014), calculs de l’Ofas / La Vie économique
En résumé, on constate que la situation du IIe pilier restera tendue étant donné l’évolution démographique et le bas niveau des taux d’intérêt. Pour assurer la stabilité financière des caisses de pension, il est donc important d’adapter le taux de conversion minimal à la situation économique et démographique, comme le propose la réforme de la prévoyance vieillesse 2020.
- Voir Conseil fédéral, Message concernant la réforme de la prévoyance vieillesse 2020, 2014 ; Friedli Thomas et Borek Thomas, « Des bases pour le calcul de la prévoyance vieillesse », La Vie économique, 9-2013 ; Swisscanto, Les caisses de pension suisses 2016, 2016. []
- Statistique des caisses de pensions 2005 – 2014, OFS. []
- Rapport sur la situation financière des institutions de prévoyance 2015, CHS PP, 2016. []