Les chiffres impressionnent d’eux-mêmes : depuis l’instauration du frein à l’endettement en 2003, la dette fédérale brute a baissé de 20 milliards de francs pour redescendre à 104 milliards en 2014. Comparée au produit intérieur brut (PIB), la diminution est encore plus nette, puisque le taux d’endettement est passé de 26 à 17 %.
Or, le monde politique ne cesse de remettre en doute l’efficacité réelle du frein à l’endettement. Les sceptiques avancent que les améliorations citées proviennent essentiellement de l’embellie conjoncturelle[1], arguant du fait que le PIB a augmenté seulement de 16 % entre 1993 et 2003, alors qu’il a progressé d’environ 24 % entre 2003 et 2013. On peut donc se demander si ce mécanisme a une réelle efficacité.
Le frein à l’endettement a été instauré pour assurer l’équilibre structurel des finances fédérales, compte tenu de la stabilisation conjoncturelle de l’économie[2]. Ce mécanisme trouve sa légitimation théorique dans un problème bien connu des économistes, à savoir la « tragédie des biens communs ». Une ressource limitée à vocation collective – autrement dit, dont tout le monde peut jouir – incite chaque acteur à la surexploiter dans la mesure où il n’en supporte qu’une partie des coûts. Les finances publiques en offrent l’illustration parfaite : un programme gouvernemental profite à un groupe d’intérêts, alors que ses coûts sont répartis sur l’ensemble des sujets fiscaux[3]. Les acteurs politiques ont ainsi tendance à affecter les deniers publics en fonction d’intérêts corporatistes (« rent-seeking »). Cette surexploitation de la manne fiscale menace le budget de l’État et conduit au déficit.
L’endettement croissant des années nonante s’est doublé d’un autre problème : la politique budgétaire était procyclique, ce qui avait plutôt tendance à déstabiliser la conjoncture. Le frein à l’endettement a agi comme un amortisseur : il a non seulement permis, mais également favorisé, une politique budgétaire anticyclique (voir illustration 1)[4]. Il est, toutefois, impossible d’observer et de comparer ce qu’aurait été l’évolution des finances publiques sans frein à l’endettement. Un doute existe donc sur son importance dans la réduction de l’endettement[5].
Ill. 1. Expansion budgétaire et écart de production (1990–2010)
Source : DFF (2016) / La Vie économique
L’instrument de mesure choisi est la méthode dite des contrôles synthétiques. Elle permet de tracer l’impact des mesures politiques en données objectives selon une perspective comparable. Les économistes espagnols Alberto Abadie et Javier Gardeazabal ont développé cette méthode pour quantifier l’incidence du terrorisme sur l’économie du Pays basque (voir encadré).
Résorption du taux d’endettement de 2 % par an
L’analyse contrefactuelle est formelle : le taux d’endettement est descendu à 17 % entre 2003 et 2010 sous l’effet du frein à l’endettement (voir illustrations 2 et 3)[6]. Le groupe de contrôle se compose des États de l’OCDE, pondérés selon leur importance relative. L’algorithme corrige ainsi fortement le poids de l’Australie, du Japon et du Luxembourg. Globalement, le frein à l’endettement a permis de réduire le taux d’endettement de 2,6 points de pourcentage en moyenne par an.
Ce résultat est confirmé par l’analyse analogique du déficit structurel. Durant la même période, le frein à l’endettement a amélioré le déficit structurel de quelque 3 points de pourcentage par an. Ces résultats empiriques permettent de conclure que c’est bien lui qui a réduit le taux d’endettement fédéral. Il a même joué un rôle essentiel dans l’amélioration des finances fédérales.
Ill. 2. Endettement de la Confédération (1980–2010)
Remarque : le graphique représente les évolutions effective et synthétique du taux d’endettement. La différence correspondant à l’effet causal du frein à l’endettement.
Source : Salvi / La Vie économique
Ill. 3. Déficit structurel de la Confédération (1990–2010)
Source : Salvi (2016) / La Vie économique
Assouplissement des règles : autant jouer avec le feu
L’ancrage constitutionnel de mécanismes tels que le frein à l’endettement peut limiter efficacement la dette publique. Ces règles doivent, toutefois, être simples à comprendre, à mettre en œuvre et à surveiller. En même temps, elles doivent aussi laisser une certaine marge de manœuvre, afin de réagir à des situations extraordinaires, comme une catastrophe naturelle ou une grave récession. Le frein à l’endettement remplit ces conditions et a amplement fait ses preuves.
Des défis tels que le vieillissement démographique pèseront de plus en plus fortement sur les finances fédérales. L’augmentation continuelle des coûts dans le domaine de la prévoyance vieillesse et de la santé en sera la première responsable. Comme le monde politique n’a encore rien décidé pour régler ce problème, l’endettement menace tous les niveaux, même en dehors des finances fédérales. Dès lors, assouplir la discipline budgétaire de la Confédération pour financer les assurances sociales serait une erreur. Il faudrait bien au contraire transférer le modèle du frein à l’endettement à ce dernier domaine en l’adaptant.