Des centaines de personnes manifestent à Buenos Aires, en 2014, contre un « fonds vautour » basé aux États-Unis. Ce dernier empêchait la restructuration de la dette publique argentine.
L’endettement a atteint un niveau record dans le monde. Selon le Fonds monétaire international (FMI), il s’élève à 152 billions d’USD, secteurs public et privé confondus[1]. Il a augmenté ces dernières années tant dans les pays industrialisés que dans les pays émergents et en développement (voir illustration). Ces derniers partent, cependant, de plus bas.
Évolution de l’endettement brut, en % du PIB
Source : Moniteur des finances publiques du FMI (octobre 2016) / La Vie économique
Dans de nombreux pays industrialisés, tels que la Grèce, le Japon, l’Italie et les États-Unis, l’endettement public se situe à un niveau inégalé depuis la crise financière. Cette situation tient surtout au fait que la croissance globale n’est pas vraiment repartie, comme ce fut le cas lors des crises précédentes, et que l’inflation continue d’être basse, voire négative, ces dernières années.
Des plans de désendettement, coordonnés au niveau multilatéral, ont été menés dans les pays les plus pauvres au début du millénaire. Ils ont débouché sur une réduction significative des dettes publiques. Des bailleurs de fonds bilatéraux et multinationaux ont accordé une remise de dette à ces États via l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et l’initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM). Le FMI et la Banque mondiale constatent, cependant, que l’endettement repart à la hausse dans ces pays[2]. Ce phénomène concerne en particulier ceux que l’on appelle les marchés frontières, comme le Ghana, le Mozambique ou le Sénégal, et de petits États comme l’île de la Dominique, dans les Caraïbes. L’amélioration de l’accès aux marchés internationaux des capitaux dont bénéficient les pays en développement leur permet de s’endetter plus facilement qu’avant. D’autres causes sont à rechercher dans un meilleur développement des marchés indigènes et dans les taux d’intérêts bas. De nouveaux créanciers, comme la Chine, jouent aussi un rôle important pour ces États.
Un endettement privé dangereux
Un endettement public élevé ou en augmentation ne susciterait pas autant d’inquiétude si l’endettement privé dans les pays industrialisés et émergents était faible. Diverses études montrent que la hausse de l’endettement privé peut causer bien plus de dommages à l’économie réelle que l’endettement public à lui seul[3]. En effet, une dette privée non soutenable peut engendrer des crises. Si elle est, en plus, élevée, les vulnérabilités courantes de la conjoncture sont accentuées.
En cas de crise, les emprunteurs lourdement endettés sont particulièrement menacés. Comme ils sont insolvables ou qu’ils ne sont plus dignes de crédit, ils doivent limiter leur consommation et leurs investissements, tout en réduisant leurs dettes. L’économie est ainsi gravement atteinte.
À l’échelle mondiale, le secteur privé représente les deux tiers de l’endettement total, dont une bonne partie revient aux pays industrialisés et émergents. Dans ces derniers, c’est surtout l’endettement des entreprises qui a fortement augmenté. L’accès facilité aux marchés internationaux des capitaux est à la fois une chance pour des sociétés en pleine expansion et une source de dangers. Les risques augmentent, en effet, si les intérêts globaux sont à la hausse ou si les dettes sont libellées en devises étrangères.
La présence simultanée de dettes publiques et privées élevées dans de nombreux pays restreint la marge de manœuvre des gouvernements dans leur lutte contre l’endettement privé. Ces derniers ne peuvent recourir à des stimuli fiscaux que dans certaines limites, car la dette de l’État pourrait se dégrader. Ces pays ne pourraient plus se conformer aux recommandations du FMI qui, en cas de crise, préconise des mesures rapides, ciblées et coordonnées dans le temps. L’assainissement du secteur financier, par exemple, doit avoir lieu immédiatement et avant que la politique budgétaire n’intervienne (voir également l’encadré 1).
Le FMI pose ses conditions
Si la crise de la dette exerce une forte pression sur la balance des paiements courants d’une économie, le pays concerné peut demander un crédit au FMI. Ce dernier associe le crédit à un programme de réformes destiné à rétablir la viabilité, qui comprend des mesures de politique économique et des restructurations. En procédant ainsi, on doit garantir au pays que sa dette sera viable à moyen terme : cela permettra aussi au FMI d’être remboursé. Dans les pays à faible revenu, ces programmes contiennent des directives qui plafonnent clairement l’endettement public suivant la catégorie de risque, Celle-ci est déterminée par l’analyse qui est faite de la viabilité de la dette (voir encadré 2) et par la capacité institutionnelle de l’administration des finances publiques.
Il se peut que, comme en Grèce, la crise soit d’une ampleur telle que les mesures d’économie ne suffisent pas à rétablir la viabilité de la dette ou qu’elles soient trop sévères du point de vue économique. Le FMI doit, dans ce cas, conditionner l’octroi de crédit à la restructuration de la dette publique. L’ampleur d’une telle restructuration est déterminée par l’analyse de viabilité de la dette effectuée par le FMI.
Dans les cas graves, les créanciers privés et officiels doivent accepter de réduire radicalement leurs créances. Les restructurations peuvent être complétées par des montants bilatéraux supplémentaires venant d’autres créanciers officiels, afin de combler les besoins de financement restants. C’était le cas en Grèce et en Ukraine. Dans les situations moins graves, on a la possibilité de reprofiler la dette, ce qui équivaut à une prolongation du délai de remboursement.
Dans toute crise de la dette, trouver une solution rapide et convenable s’avère crucial pour atténuer l’insécurité des marchés et les risques de contamination. Depuis 2013, le FMI travaille à l’amélioration du cadre de restructuration des dettes publiques. Les créanciers récalcitrants (« hold out ») font l’objet d’une attention particulière. Des fonds spécialisés dans ce genre de stratégie avaient, par exemple, refusé une restructuration à l’Argentine en 2005 et en 2010. Ils revendiquaient la valeur nominale entière de leurs dettes.
Des modèles de clauses collectives ont été élaborés pour les contrats d’emprunt publics en 2014. Élaborés par l’association économique International Capital Market Association (ICMA) en collaboration avec le FMI, ils ont constitué une étape marquante dans la lutte contre de telles pratiques. Ces modèles définissent des procédures et des majorités, afin de mettre sur pied des restructurations qui soient les plus équitables et efficaces possibles, en excluant les cas de créanciers récalcitrants. Depuis, des clauses de cette nature figurent dans la plupart des nouvelles émissions internationales de dettes publiques.
Cette approche fondée sur un contrat a toutefois ses limites, puisque l’ensemble des dettes publiques déjà existantes n’ont pas encore de clauses collectives. De ce fait, les fonds de créanciers récalcitrants peuvent continuer à acquérir des emprunts sans clauses collectives et faire valoir leur droit à un paiement intégral.
La Suisse soutient l’approche du FMI
Mieux vaut prévenir que guérir. La situation de la dette dans le monde est telle que les réformes structurelles devraient davantage être mises en avant. On pourrait alors améliorer le cadre institutionnel à moyen terme, afin qu’il débouche sur une croissance durable. Des règles budgétaires, comme le frein à l’endettement en Suisse, poussent à une utilisation économe et productive des recettes de l’État et dégagent une marge de manœuvre pour les mauvais jours.
Les plans de relance budgétaire n’ont que des effets à court terme et ne sont guère possibles dans les pays fortement endettés. Les réformes visant à soutenir la croissance et la résiliance de façon durable ne peuvent donc pas les remplacer.
La Suisse estime qu’il serait judicieux de renforcer le mécanisme de restructuration des dettes publiques. C’est pourquoi elle s’engage au FMI et dans des groupes d’experts pour que le cadre contractuel existant continue d’être étudié et affiné.
Bibliographie
- Abbas S. A., Akitoby B., Andritzky J., Berger H., Komatsuzaki T. et Tyson J., Dealing with High Debt in an Era of Low Growth, Staff Discussion Note du FMI, SDN/13/07, 2013.
- Batini N., Melina G. et Villa S., Fiscal Buffers, Private Debt, and Stagnation : The Good, the Bad and the Ugly, document de travail du FMI, WP/16/104, 2016.
- FMI, The Fund’s Lending Framework and Sovereign Debt – Further Considerations, 2015.
- FMI, Moniteur des finances publiques, octobre 2016.
- FMI et Banque mondiale, Public Debt Vulnerabilities in Low-Income Countries – The Evolving Landscape, 2015.
Bibliographie
- Abbas S. A., Akitoby B., Andritzky J., Berger H., Komatsuzaki T. et Tyson J., Dealing with High Debt in an Era of Low Growth, Staff Discussion Note du FMI, SDN/13/07, 2013.
- Batini N., Melina G. et Villa S., Fiscal Buffers, Private Debt, and Stagnation : The Good, the Bad and the Ugly, document de travail du FMI, WP/16/104, 2016.
- FMI, The Fund’s Lending Framework and Sovereign Debt – Further Considerations, 2015.
- FMI, Moniteur des finances publiques, octobre 2016.
- FMI et Banque mondiale, Public Debt Vulnerabilities in Low-Income Countries – The Evolving Landscape, 2015.
Proposition de citation: Wehrle, Caroline (2016). La marge de manœuvre des États est limitée par un endettement élevé. La Vie économique, 24. novembre.
Les mesures destinées à améliorer la viabilité de la dette se divisent en deux catégories :
- Approche macroéconomique (davantage de croissance, davantage d’inflation) : une meilleure croissance augmente la capacité de remboursement à long terme. En règle générale, les débiteurs profitent d’une inflation accélérée, parce qu’elle réduit la dette réelle ; comme la valeur du patrimoine a augmenté, cela diminue aussi l’endettement net. La croissance et une inflation modérée laissent une marge de manœuvre pour réduire les dettes, sans mettre une pression excessive sur la demande.
- Approche bilancielle (remboursements, restructurations, amortissements) : si l’excédent de la dette est élevé, il faut s’attacher à désendetter le bilan. Les restructurations et les amortissements peuvent être douloureux pour les créanciers et les entreprises, puisque la valeur nominale totale de la dette ne leur est plus restituée.
Le cadre de viabilité de la dette (« debt sustainability analysis ») est un instrument de surveillance normalisé qui permet au FMI d’évaluer la viabilité de la dette de ses États membres. Des analyses quantitatives et qualitatives ainsi que des tests de résistance comparent le volume et la composition des dettes avec des valeurs clés macroéconomiques. Il est ainsi possible de prévoir l’évolution des dettes selon divers scénarios. Les résultats sont comparés avec des valeurs-limites définies. Les pays les plus pauvres sont, en particulier, répartis selon des catégories de risque (déjà surendetté, élevé, moyen, faible).