Beaucoup de jeunes entrepreneurs en puissance veulent courir le moins de risques possible. Ils optent alors pour la voie facile et deviennent salariés.
Les experts estiment généralement que l’environnement entrepreneurial est bon en Suisse[1]. Le pays est politiquement stable et dispose d’un marché intérieur dynamique. Il offre également d’autres atouts, comme le transfert de savoir et de technologie, ainsi que la recherche et le développement. De plus, l’enseignement supérieur dispensé par les universités et les hautes écoles, ainsi que la formation professionnelle préparent de manière adéquate à la création et au développement de nouvelles entreprises.
Bien que l’environnement financier soit également au-dessus de la moyenne internationale, les jeunes pousses suisses n’ont pas suffisamment accès au capital-risque. L’enseignement recèle également un potentiel d’amélioration : les classes primaires et secondaires n’abordent guère des questions comme le « leadership », la créativité, l’innovation, l’indépendance et l’initiative personnelle. Enfin, la Suisse n’a pas de culture du risque, comme c’est le cas aux États-Unis par exemple.
Pour fonder une entreprise, il est indispensable d’avoir une idée et des compétences spécialisées. Le nombre et la nature des possibilités commerciales perçues, de même que l’estimation des compétences nécessaires au démarrage d’une activité entrepreneuriale dépendent des conditions propres à chaque pays. Ces spécificités incluent la croissance économique et démographique, la culture ou encore les mesures politiques de soutien à l’entrepreneuriat. En outre, l’attention portée par les médias aux entrepreneurs (voir illustration) joue un rôle important d’incitation.
Ill. 1. Processus entrepreneurial
Remarque : du point de vue de son processus, l’activité entrepreneuriale est subdivisée en différentes phases. Il faut établir une distinction entre les fondateurs potentiels, les entrepreneurs émergents, les nouveaux entrepreneurs et les entrepreneurs établis. Le taux d’activité entrepreneuriale totale (« total entrepreneurial activity », TEA) s’obtient en additionnant les entrepreneurs émergents et nouveaux. On tient compte également des personnes qui ont cessé leur activité entrepreneuriale durant les douze derniers mois.
Source : Reynolds P. et al., « Global Entrepreneurship Monitor : Data Collection Design and Implementation 1998–2003 », dans Small Business Economics, 24, février 2005, pp. 205 – 231 / La Vie économique
Selon l’étude mondiale du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) de 2015 (voir encadré), les Suisses ont une attitude relativement positive à l’égard de l’entrepreneuriat. Cependant, contrairement à la population d’autres pays innovateurs, comme Israël, le Portugal et l’Australie, ils affichent moins d’intentions entrepreneuriales (voir tableau). En revanche, la peur de l’échec est étonnamment faible en Suisse.
En ce qui concerne la perception des possibilités d’affaires, la Suisse se situe légèrement au-dessus de la moyenne. Deux pays nordiques – Suède et Finlande – ainsi que des États comme Israël, le Canada, l’Australie, les États-Unis et les Pays-Bas font nettement mieux à cet égard. En Suisse, la perception des compétences est également un peu au-dessus de la moyenne. Toutefois, notre pays se classe là aussi loin derrière les États-Unis.
Il convient d’interpréter avec prudence les données relatives aux possibilités d’affaires et aux compétences : on peut y voir le signe que les Suisses ont une confiance confortée dans leurs capacités entrepreneuriales. Cependant, ces résultats ne sont pas confirmés par ceux qui concernent les intentions rxprimés en ce domaine.
Attitudes et perceptions entrepreneuriales dans des économises basées sur l’innovation (2015)
Économies basées sur l‘innovation | Possibilités perçues | Compétences perçues | Peur de l‘échec |
Intentions
|
Entrepreneuriat
|
Statut plus
|
Attention portée à l’entrepreneuriat par les médias |
Australie | 48,9 | 48,2 | 41,7 | 14,4 | 56,4 | 70,1 | 72,3 |
Belgique | 40,3 | 31,9 | 48,5 | 10,9 | 54,2 | 54,5 | 54,7 |
Finlande | 48,6 | 37,4 | 32,6 | 10,9 | 33,2 | 84,9 | 68,1 |
Allemagne | 38,3 | 36,2 | 42,3 | 7,2 | 50,8 | 75,7 | 49,8 |
Israël | 55,5 | 41,6 | 47,8 | 21,6 | 64,5 | 86,2 | 54,8 |
Italie | 25,7 | 30,5 | 57,5 | 8,2 | 60,9 | 69,0 | 48,5 |
Corée du Sud | 14,4 | 27,4 | 38,1 | 6,6 | 38,0 | 53,5 | 61,5 |
Pays-Bas | 48,4 | 40,6 | 33,2 | 9,4 | 79,2 | 64,5 | 57,7 |
Portugal | 28,1 | 48,9 | 40,8 | 16,2 | 63,4 | 62,9 | 71,6 |
Suède | 70,2 | 36,7 | 36,5 | 8,4 | 52,7 | 69,8 | 61,3 |
Suisse | 41,8 | 44,0 | 33,8 | 7,0 | 40,0 | 66,5 | 59,5 |
Royaume-Uni | 41,6 | 43,6 | 34,9 | 8,2 | 57,8 | 79,2 | 61,1 |
États-Unis | 46,6 | 55,7 | 29,4 | 12,4 | – | – | – |
Moyenne (économies basées sur l‘innovation) | 39,8 | 41,4 | 39,5 | 11,4 | 54,7 | 68,4 | 58,8 |
Source : Global Entrepreneurship Monitor (2015) / La Vie économique
Il existe des différences notables dans ces généralités concernant l’entrepreneuriat. Quelque 40 % des personnes interrogées en Suisse le considèrent comme un bon choix de carrière, alors que ce taux est presque deux fois plus élevé aux Pays-Bas. Cela montre qu’ici, l’idée de créer son entreprise n’est pas ancrée les mentalités. Par contre, le statut social des entrepreneurs qui réussissent s’est amélioré ces dernières années, tout en restant légèrement au-dessous de la moyenne. Un autre indicateur évalue l’attention qu’accordent les médias à l’entrepreneuriat. Sur ce point, la Suisse se situe un peu au-dessus de la moyenne.
Un taux de création d’entreprises au-dessous de la moyenne en Suisse
Le rapport 2015 du Global Entrepreneurship Monitor montre que la Suisse a légèrement accru, par rapport à l’année précédente, son potentiel de création d’emplois par des jeunes entrepreneurs, tout en restant au-dessous de la moyenne internationale. Elle ne fait pas mieux en ce qui concerne l’activité entrepreneuriale totale (« total entrepreneurial activity », TEA) – soit la proportion de jeunes entrepreneurs ou de personnes sur le point de le devenir (voir illustration 2). Bien que la Suisse dépasse sur ce point l’Allemagne et l’Italie voisines, elle est largement devancée par le Canada, l’Australie, les États-Unis et Israël.
Ill. 2. Activité entrepreneuriale (TEA) dans quelques pays innovateurs (2015)
Remarque : L’indice de l’activité entrepreneuriale (TEA) comprend le taux de jeunes entrepreneurs et celui de personnes sur le point de le devenir. Les barres verticales représentent l’intervalle de confiance de 95 % et indiquent la précision des estimations.
Source : Global Entrepreneurship Monitor (2015) / La Vie économique
Le faible taux d’activité entrepreneuriale (3,1 %) des 18-24 ans vient étayer les résultats concernant l’attitude qu’elle suscite. L’une des explications possibles est que les jeunes ne sont pas prêts à quitter le confort d’une activité salariée qui les satisfait. Cela soulève plusieurs questions. Ne devrait-on pas dispenser des cours dès la scolarité obligatoire sur l’esprit d’entreprise et l’innovation ? Les décideurs politiques et économiques ne devraient-ils pas parler davantage de l’entrepreneuriat aux enfants et aux adolescents, en adaptant leur discours à leur âge ?
L’activité entrepreneuriale doit atteindre un certain niveau pour entretenir le dynamisme économique. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue les jeunes entrepreneurs qui restent actifs après la phase de démarrage. En Suisse, le taux d’entrepreneurs établis (11,3 %) est au-dessus de la moyenne et reste stable d’année en année. Il est vrai qu’environ la moitié des activités commerciales ont cessé en raison d’obstacles bureaucratiques, ce qui est considérable. C’est pourquoi il faut absolument simplifier les réglementations : elles font actuellement obstacle à la création d’entreprises et contribuent à l’échec entrepreneurial.
Enfin, un aperçu sectoriel montre que l’Europe et l’Amérique du Nord mettent clairement l’accent sur les branches tournées vers le savoir et les services. En Suisse, ces dernières ne suscitent que 5,4 % des projets de jeunes pousses. La santé, l’éducation et le social (27,2 %) constituent le secteur le plus important de ce point de vue. Tandis que les finances, les TIC et la production restent des domaines masculins, ce sont en priorité des femmes qui créent des entreprises dans les services aux personnes, comme le mentorat ou le conseil en image, ainsi que dans le commerce de détail et la gastronomie.
L’abondance d’emplois émousse l’esprit d’entreprise
Pour terminer, on constate que les personnes interrogées en Suisse reconnaissent dans une mesure suffisante les possibilités d’affaires et qu’elles pensent disposer d’assez d’expériences et de compétences pour fonder une entreprise. Seules un tiers d’entre elles renoncent à créer leur propre firme par crainte d’échouer. Bien que les conditions-cadres générales et spécifiques soient bonnes, l’étude met en évidence une hésitation à se lancer dans une activité entrepreneuriale. Ce résultat se répète d’année en année.
Le potentiel entrepreneurial existant, mesuré selon le taux de TEA, n’est pas complètement exploité, en particulier chez les jeunes. D’une part, on ne doit pas oublier que la plupart des entreprises se créent sur la base d’une idée commerciale perçue comme bonne, et non pas faute de possibilités d’emploi. D’autre part, il faut prendre en considération les normes culturelles et sociales au sujet de l’entrepreneuriat, l’image et la réputation de l’entrepreneur dans la société ainsi que l’attrait que le marché du travail exerce.
- Sefri (2016), Recherche et innovation en Suisse. []
L'Australienne Judie Fox, cofondatrice de Shoes of Prey, n'hésite pas à prendre des risques. Ses chaussures fabriquées sur mesure conquièrent le monde.
Proposition de citation: Baldegger, Rico J. (2016). Les fondateurs potentiels de jeunes pousses ont d’autres plans de carrière. La Vie économique, 21. décembre.
Le rapport international du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) offre un panorama complet de l’entrepreneuriat à travers le monde. Pour cela, le GEM mesure les attitudes et les caractéristiques des individus qui participent à des activités entrepreneuriales à différents stades du processus et sous différentes formes. Il identifie et quantifie notamment les facteurs qui favorisent ou entravent leur activité entrepreneuriale. En cela, ce rapport se distingue nettement d’autres enquêtes dans le domaine de l’entrepreneuriat, lesquelles utilisent surtout les registres officiels de création d’entreprises.
La Suisse participe au projet du GEM depuis 2002. Le onzième rapport national sur la Suisse est paru en 2015. La Haute école de gestion de Fribourg (HEG-FR), responsable du projet, a collecté les données nécessaires en collaboration avec l’EPFZ et la Haute École spécialisée de la Suisse italienne (Supsi). Environ 2000 entretiens téléphoniques et 36 entretiens avec des experts ont été réalisés, afin d’analyser les attitudes, les activités et les ambitions entrepreneuriales, ainsi que les facteurs d’influence.
En 2015, l’étude mondiale du GEM a porté sur 62 pays. Elle a couvert tous les niveaux de développement économique, depuis les pays innovateurs jusqu’à ceux vivant de leurs facteurs de production, en passant par les pays émergents dont l’économie se fonde sur l’efficience.