Paolo D’Alcini (à partir de la gauche), Olga Peters et Francesco Dell’Endice sont des jeunes entrepreneurs zurichois qui ont élaboré un trieur de céréales. Le potentiel de croissance est important.
Les jeunes entreprises innovantes créent des emplois, renforcent la capacité d’innovation et la compétitivité d’une économie, tout en encourageant les mutations structurelles. Alors pourquoi le financement de leur projet est-il si souvent un tel défi ? Les jeunes pousses (« start-ups ») n’ont généralement pas d’immobilisations corporelles pouvant servir de sûretés et elles présentent un profil de risque élevé. Accéder aux capitaux étrangers – par exemple auprès des banques – leur est donc difficile. En plus, il faut du temps et des compétences pour construire une relation durable avec les partenaires qui financent les fonds propres.
Les problèmes découlent pour la plupart des risques dus à l’asymétrie d’information entre les débiteurs et les créanciers, ce qui renchérit les coûts de transaction. La plupart des créanciers ont de la peine à distinguer les entreprises prometteuses des autres. Il leur arrive alors de ne pas être à la hauteur des besoins réels de la jeune pousse, tout en exigeant d’elle une rémunération plus élevée qu’ordinaire à cause du risque.
Le rôle de l’État, ici et ailleurs
La recherche de capitaux externes peut bénéficier de garanties d’État. Celles-ci donnent aux créanciers les sûretés requises pour combler les déficits de financement. D’après l’OCDE[1], ce sont justement les garanties de crédit qui ont permis de financer les petites et moyennes entreprises (PME) durant la crise financière et économique de 2008-2009.
L’État peut, par ailleurs, soutenir les jeunes entreprises directement ou indirectement par des programmes de capitaux propres. Il en existe dans de nombreux pays de l’OCDE. Les pays avancés les ont multipliés – c’est notamment le cas si on compare avec les outils de promotion fiscaux – pour répondre à la crise financière et économique mondiale. La plus forte hausse a été enregistrée par les fonds de co-investissement, où les deniers publics complètent les apports privés : sur les 32 pays de l’OCDE, 21 s’étaient dotés de tels fonds en 2012. Les fonds de fonds public-privé – qui investissent dans des sociétés de capital-risque privées – se sont aussi développés. En 2012, on en trouvait également dans 21 pays de l’OCDE. Parallèlement, le nombre de fonds publics investissant directement a baissé. En 2012, l’on n’en trouvait que dans treize des 32 pays de l’OCDE.
D’une manière générale, les investissements publics directs sont moins efficaces que ceux effectués dans des fonds dits de co-investissement ou des fonds de fonds, qui s’efforcent de mobiliser les investissements privés. Il faut aussi dire que les programmes de financement des jeunes pousses n’ont guère fait l’objet d’analyses accessibles au public et que leur efficacité manque de preuves empiriques.
Rôle clé du Fonds européen d’investissement
Le Fonds européen d’investissement (FEI) est, sur le continent, le premier acteur en matière de financement par capital-risque et de garanties pour les PME et les jeunes pousses. Il dispose d’outils – que ce soit pour les capitaux propres ou externes – qui s’adressent aux partenaires financiers des entreprises concernées, soit les banques, les institutions de financement et les fonds. Les moyens mis à disposition par le FEI (ou plutôt par les donneurs d’ordre étatiques) ne sont donc pas transmis directement aux entreprises, mais via des intermédiaires.
Géographiquement, la Suisse est entourée d’États membres de l’Union européenne. Il est donc normal que les 67 fonds, dans lesquels le FEI investit, couvrent également notre pays. Ces fonds disposent d’un capital d’investissement avoisinant 8 milliards d’euros. Même si la Suisse n’est pas membre du FEI, les fonds de capital-risque qui s’y trouvent peuvent donc bénéficier de ses investissements. Par ailleurs, 56 jeunes pousses suisses ont été cofinancées par ce biais au cours des dix dernières années. La Suisse n’est cependant pas une priorité en soi pour le FEI.
De nombreuses solutions de financement dans les cantons
En Suisse, les cantons déterminent leur propre politique économique et peuvent proposer des financements aux entreprises. Il en existe une grande variété, y compris pour les jeunes pousses. Une enquête menée par le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) a permis d’en dénombrer 87[2]. Quinze cantons en offrent plus d’une. Avec neuf chacun, les cantons du Jura, du Tessin et du Valais sont en tête, tandis que Bâle-Campagne, Lucerne, Nidwald, Schwyz, Soleure, St-Gall, Thurgovie et Zoug n’en proposent pas du tout.
Les différences sont fortes. Ainsi, quinze cantons proposent des programmes de financement externe comprenant principalement des prêts et des garanties de crédits bancaires. Quatre cantons ont des offres dites de capital propre, qui les intègre dans le capital-actions de la jeune pousse.
Rôle de la Confédération
Au niveau fédéral aussi, des instruments de promotion simplifient l’accès aux capitaux externes pour les PME et les jeunes pousses. Ce sont par exemple le Cautionnement des arts et métiers, la Société suisse de crédit hôtelier (SCH) et le Fonds de technologie.
Malgré les nombreuses solutions de financement privées et cantonales ou encore les offres fédérales mentionnées, il est courant d’entendre qu’il faudrait un instrument de financement fédéral ciblé sur les jeunes pousses. Un postulat en ce sens du conseiller national PLR vaudois Fathi Derder est d’ailleurs en suspens auprès du Conseil fédéral[3]. Dans sa réponse, le Conseil fédéral examinera notamment, dans le cadre d’une analyse des jeunes entreprises à croissance rapide, la question d’un programme de financement public de la Confédération. Son rapport est annoncé pour le printemps 2017.
En même temps, les services fédéraux concernés s’efforcent de trouver d’autres solutions dans le secteur privé. En 2014, le Conseil fédéral et le Parlement ont accepté une motion du conseiller aux États PDC lucernois Konrad Graber, intitulée « Caisses de pension. Placements à long terme dans les technologies d’avenir et création d’un fonds à cet effet »[4]. Un atelier organisé dans ce contexte par le Seco a, en juin 2015, posé le cadre pour de premiers entretiens entre l’industrie dite du capital-risque et les institutions de prévoyance. Il a apporté des clarifications et permis aux promoteurs de fonds de discuter directement avec des intéressés potentiels.
En octobre dernier, à l’issue d’une rencontre au sommet[5] sur invitation des chefs du Département fédéral de l’intérieur (DFI) et du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), les acteurs ont signé une déclaration commune. Ils y expriment leur volonté de développer et de renforcer le marché du capital-risque – et donc les possibilités de financement à travers des fonds importants de capital-risque – pour les jeunes entreprises à croissance rapide de Suisse. Les efforts visent notamment à donner aux investisseurs institutionnels – caisses de pension incluses – un accès plus large aux fonds de capital-risque. L’année prochaine, il est prévu que l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) organise une autre réunion dans le but d’améliorer la situation au regard de l’information.
La situation est satisfaisante, sauf sur certains points
En comparaison internationale, la Suisse se distingue par un nombre important d’entreprises, jeunes et moins jeunes, à croissance rapide[6]. Même si ce tableau semble positif au premier regard, l’on ne doit pas sous-estimer le besoin d’agir dans plusieurs domaines, par exemple la fiscalité.
Quant au financement des jeunes pousses, les mesures avancées dans le cadre de la motion Graber devraient accroître son potentiel d’amélioration. La meilleure méthode consiste à adopter une approche progressive et continue qui privilégie la concertation avec les cercles concernés et intéressés.
- OCDE, Financing SMEs and Entrepreneurs, an OECD Scoreboard, 2013. []
- État au 1er février 2016. []
- Postulat 13.4237 : « Pour un meilleur développement des jeunes entreprises innovantes ». []
- Motion 13.4184. []
- L’Association suisse des instituts de prévoyance (ASIP), l’Association suisse des banquiers (Swissbanking), l’Association suisse d’assurances (ASA) et des entreprises de capital-risque (venture capital) y ont également participé. []
- Au sujet de l’étude mandatée par le Seco, voir l’article de Michael Mattmann et Felix Walter (Ecoplan) dans ce numéro. []
Proposition de citation: Willimann, Markus; Godel, Martin (2016). Les jeunes entreprises disposent de multiples sources de financement. La Vie économique, 21. décembre.