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Hausse des dépenses de santé : la démographie n’est pas seule en cause

Le vieillissement de la population augmente les dépenses de santé. C’est particulièrement vrai dans les soins de longue durée. D’autres facteurs de renchérissement existent, tels que le progrès médicotechnique et une moindre croissance de la productivité due à l’effet Baumol.
Un pontage cardiaque constitue un progrès médical certain. Chaque nouveauté technique renchérit toutefois les coûts.

La Suisse consacre actuellement 11,1 % de son PIB à la santé[1], soit pratiquement deux fois plus qu’en 1970, et figure parmi les champions d’Europe aux côtés de la Suède, de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas. L’une des raisons de cette augmentation est le vieillissement de la population. Une population vieillissante recourt davantage aux services de santé et nécessite davantage de soins. La démographie n’est, toutefois, pas la seule responsable de la hausse des dépenses. D’autres facteurs sont à l’œuvre, comme les progrès médicotechniques, l’augmentation des revenus et la complexité du système de santé, lequel comporte un grand nombre d’acteurs.

La dynamique des dépenses et son corollaire, la charge financière, constituent par conséquent un problème de plus en plus aigu pour les politiques économique et budgétaire. Les projections en ce domaine[2] (voir encadré 1) montrent le besoin d’agir et les possibilités d’ajustements.

Plusieurs scénarios ont été élaborés pour mettre en évidence la sensibilité des projections aux différents facteurs (voir encadré 2). Outre l’impact direct de l’évolution démographique, on a surtout tenu compte de la variation des hypothèses concernant l’évolution de l’état de santé (morbidité) alors que l’espérance de vie augmente. L’évolution du solde migratoire est un facteur supplémentaire d’incertitude.

On a également tenu compte des facteurs non démographiques. Le premier est la corrélation entre l’évolution du revenu national et la croissance des dépenses de santé. L’élasticité du revenu entraîne des effets tant sur l’offre que sur la demande : exigences de la population et progrès médicotechniques, par exemple. Le deuxième facteur concerne l’évolution de la productivité dans le domaine de la santé. Au cas où celle-ci progresserait moins vite que l’économie nationale, les coûts seront sous pression si les salaires des professions de la santé augmentent à long terme au rythme des autres branches. Dans le domaine de la santé, une demande de prestations relativement peu élastique entraîne une hausse des prix plus forte que dans le reste de l’économie. On accorde à ce phénomène, dit effet Baumol[3], une importance majeure, principalement pour les soins de longue durée, gourmands en main-d’œuvre.

Les dépenses augmentent nettement dans les soins de longue durée


Selon le scénario de référence, les dépenses augmenteront de 10,8 % du PIB en 2013, année de base, à 14,0 % en 2045 (voir tableau). Les dépenses de soins de longue durée augmentent particulièrement vite (de 1,6 à 3,4 % du PIB). Il faut, en premier lieu, préciser que l’évolution démographique (vieillissement entraînant la modification de l’état de santé) affecte les soins de longue durée beaucoup plus durement que les autres domaines. En deuxième lieu, les dépenses de soins de longue durée croissent de 1,2 % par an, corrigées de l’inflation, en raison de l’effet Baumol, tandis que les facteurs non démographiques – soit la hausse du revenu par habitant – n’augmentent les dépenses de santé que de 0,9 % par an.

Dépenses de santé par domaine et par agent financeur, selon le scénario de référence 2013 – 2045, en % du PIB















Domaine

2013

2030

2045

Niveau Niveau Évolution Niveau Évolution
Santé (tous niveaux confondus) 10,8 12,2 +1,4 14,0 +3,2

  • Santé sans soins de longue durée

8,6 9,3 +0,7 9,9 +1,3

  • Soins de longue durée (à partir de 65 ans)

1,6 2,3 +0,7 3,4 +1,8
État (y c. travail social) 3,5 4,2 +0,7 5,0 +1,5

  • Confédération

0,4 0,5 +0,1 0,5 +0,1

  • Cantons

2,4 2,9 +0,5 3,5 +1,1

  • Communes

0,3 0,4 +0,1 0,5 +0,2

  • AVS/ AIa

0,4 0,3 –0,0 0,4 +0,0
Assurance obligatoire des soinsb 3,3 3,7 +0,4 4,1 +0,8
Autres dépensesc (dont ménagesd) 4,0 (2,6) 4,3 (2,9) +0,3 (+0,3) 4,8 (3,3) +0,9 (+0,7)


a Allocation pour impotent, contributions aux prestations médicales et aux appareils thérapeutiques.

b Sans la participation des collectivités publiques sous forme de réduction individuelle des primes, considérée comme faisant partie des administrations publiques.

c Les « autres dépenses » recouvrent les dépenses des ménages, de l’assurance-accidents obligatoire (CNA et assurance militaire), des assurances complémentaires, des fondations privées et des prestations complémentaires à l’AI non liées au vieillissement.

d Participation aux frais AOS et paiements directs (« out of pocket », OOP).

Source : Brändle et Colombier (2017) / La Vie économique

Pour le scénario le plus optimiste (« Healthy ageing »), les dépenses de santé ne représenteront que 13,1 % du PIB en 2045, contre 14,0 % pour le scénario de référence, du fait que l’état de santé de la population s’améliore. Pour le plus pessimiste (scénario Baumol élargi), ces dépenses monopoliseront 15,7 % du PIB (voir illustration 1).

Ill. 1. Dépenses de santé totales, selon différents scénarios




Remarque : voir encadré 2 pour les scénarios.

Source : Brändle et Colombier (2017) / La Vie économique

Une augmentation surtout à la charge des cantons


Les soins de longue durée coûtent proportionnellement plus cher aux collectivités que la santé en général. Le vieillissement se répercute donc de plus en plus sur leurs budgets. Dans le scénario de référence, les dépenses publiques augmentent, en termes de PIB, de 3,5 % en 2013 à 5 % en 2045 (voir tableau).

Les dépenses publiques de santé hors soins de longue durée comprennent les frais hospitaliers, la réduction individuelle des primes (RIP) et les autres dépenses (prévention, recherche et développement). Elles représentaient 2,4 % du PIB en 2013 pour les budgets publics et monte à 3,0 % en 2045 dans le scénario de référence. La majeure partie de cette augmentation provient du domaine hospitalier et de la RIP, deux postes principalement financés par les cantons.

Les dépenses publiques dans le domaine des soins de longue durée à partir de 65 ans comprennent les dépenses des cantons et des communes en faveur des établissements médico-sociaux ainsi que des services d’aide et de soins à domicile (Spitex). Elles englobent aussi une partie des prestations cantonales complémentaires à l’AVS (PC AVS) et l’allocation pour impotent de l’AVS (API AVS). Ces dépenses représentaient 0,8 % du PIB lors de l’année de base ; elles doublent en 2045 (1,7 %). Les cantons en supportent de nouveau la plus grande partie, à savoir près des deux tiers ou 0,6 % du PIB.

Le vieillissement touche peu l’assurance obligatoire des soins


Bien que le niveau de départ (3,3 % du PIB) soit à peu près identique à celui des dépenses publiques de santé, les dépenses de l’assurance obligatoire des soins (AOS) augmentent moitié moins à l’horizon 2045 (+ 0,8 % contre + 1,5 % du PIB)[4]. Cela est dû au fait que la part des dépenses liées aux soins de longue durée, dont l’évolution est plus dynamique, s’élève à 9 %, un taux nettement inférieur aux 23 % de l’ensemble des administrations publiques pendant l’année de base 2013.

En raison de la part élevée des dépenses consacrées à la santé hors soins de longue durée, les dépenses de l’AOS réagissent de manière très sensible aux modifications des hypothèses concernant l’effet Baumol et l’élasticité des revenus. Plus l’effet Baumol est fort dans la santé hors soins de longue durée, plus la hausse des dépenses est soutenue par rapport au scénario de référence : + 0,7 % de PIB par rapport au scénario de référence selon le scénario Baumol élargi, + 0,5 % selon le scénario Baumol (voir illustration 2).

Ill. 2. Dépenses de l’AOS selon différents scénarios




Remarque : voir encadré 2 pour les scénarios.

Source : Brändle et Colombier (2017) / La Vie économique

Une pression accrue sur les coûts, due par exemple aux progrès médicotechniques (scénario fondé sur la pression des coûts) entraîne une hausse des dépenses correspondant à 0,3 % de PIB. Il en va à peu près de même lorsqu’on table sur une évolution défavorable de l’état de santé et des exigences de soins de la population (« Pure ageing »), alors que si l’on applique le scénario « Healthy ageing », les dépenses baissent.

Priorité aux politiques de santé


La politique de la santé doit avant tout s’efforcer de réduire le risque de développer une maladie chronique non transmissible en promouvant les mesures adéquates. La prévention, tout d’abord, doit renforcer les compétences en matière de santé et encourager les modes de vie sains (par exemple, amélioration du comportement en matière d’alimentation et d’activité physique, moins d’alcool et de tabac, exercices thérapeutiques pour la prévention des chutes chez les personnes âgées). Il s’agit également de mieux exploiter le potentiel d’efficacité du système de santé, en procédant par exemple à un examen systématique du rapport coût-intérêt des technologies de la santé, ou en tenant mieux compte des gains de productivité lors de la fixation des tarifs. Si les nouveaux forfaits par cas (DRG) contribuent à réduire les fausses incitations et à renforcer la concurrence dans le domaine stationnaire, les très obsolètes indemnisations à l’acte dans le domaine ambulatoire encouragent toujours les prises en charge excessives, surtout en cas de prestations techniques.

Des mesures visant à renforcer Spitex et à mieux concilier soins et vie professionnelle contribueraient par ailleurs à réduire la durée des séjours dans les établissements médico-sociaux. Enfin, les besoins en matière de personnel médical et de soins augmenteront dans les vingt ans à venir : il est donc plus nécessaire que jamais d’anticiper les besoins en personnel.

 

  1. En 2014, voir OFS (2016). []
  2. Pour une présentation détaillée des projections, voir Brändle et Colombier (2017). []
  3. Baumol (1967). []
  4. Afin d’éviter les doublons avec les dépenses publiques, les dépenses de l’AOS sont présentées après déduction des dépenses de la RIP. En outre, la participation aux coûts des ménages (franchise, quote-part) est déduite. []

L'exercice pratiqué régulièrement aide à prévenir les maladies. On économise ainsi des coûts.


Bibliographie

  • Groupe de travail sur le vieillissement de l’UE, The 2015 Ageing Report – Economic and Budgetary Projections for the 28 EU Member States 2013-2060, European Economy, 3/2015.
  • Baumol W. J., « Macroeconomics of Unbalanced Growth : The Anatomy of Urban Crisis », American Economic Review, 57(3), 1967, pp. 415-426.
  • Brändle T. et Colombier C., Ausgabenprojektionen für das Gesundheitswesen bis 2045, Working Paper der Eidgenössischen Finanzverwaltung n° 21, Administration fédérale des finances, paraît au printemps 2017.
  • Office fédéral de la statistique, Scénarios de l’évolution de la population des cantons de la Suisse 2015-2045, Neuchâtel, 2015.
  • Office fédéral de la statistique, Kosten des Gesundheitswesens seit 1960, Neuchâtel, 2016.
  • De la Maisonneuve C. et Oliveira Martins J., « The Future of Health and Long-Term Care Spending », OECD Journal : Economic Studies, vol. 2014 (1), pp. 61-96.
  • Département fédéral des finances, Perspectives à long terme des finances publiques en Suisse, 2016, Berne, 2016, Administration fédérale des finances.

Bibliographie

  • Groupe de travail sur le vieillissement de l’UE, The 2015 Ageing Report – Economic and Budgetary Projections for the 28 EU Member States 2013-2060, European Economy, 3/2015.
  • Baumol W. J., « Macroeconomics of Unbalanced Growth : The Anatomy of Urban Crisis », American Economic Review, 57(3), 1967, pp. 415-426.
  • Brändle T. et Colombier C., Ausgabenprojektionen für das Gesundheitswesen bis 2045, Working Paper der Eidgenössischen Finanzverwaltung n° 21, Administration fédérale des finances, paraît au printemps 2017.
  • Office fédéral de la statistique, Scénarios de l’évolution de la population des cantons de la Suisse 2015-2045, Neuchâtel, 2015.
  • Office fédéral de la statistique, Kosten des Gesundheitswesens seit 1960, Neuchâtel, 2016.
  • De la Maisonneuve C. et Oliveira Martins J., « The Future of Health and Long-Term Care Spending », OECD Journal : Economic Studies, vol. 2014 (1), pp. 61-96.
  • Département fédéral des finances, Perspectives à long terme des finances publiques en Suisse, 2016, Berne, 2016, Administration fédérale des finances.

Proposition de citation: Thomas Brändle ; Carsten Colombier ; (2017). Hausse des dépenses de santé : la démographie n’est pas seule en cause. La Vie économique, 23 février.

Encadré 1. Méthodologie des projections

Les projections se fondent d’une part sur les profils de dépenses de santé établis par catégorie d’âge, de l’autre sur les scénarios démographiques de l’OFS pour la période 2015-2045. Ces derniers supposent une baisse de la fertilité, une augmentation de l’espérance de vie et une immigration nette. Conformément aux usages internationauxa, les projections des dépenses de santé ont été établies en supposant que l’environnement juridique ne varierait pas. Elles distinguent également les soins de longue durée accordés aux plus de 65 ans des autres prestations, les coûts engendrés n’obéissant parfois pas aux mêmes moteurs. Les résultats de ces projections doivent être interprétés comme des hypothèses et non comme des prévisions.

a Voir les travaux du groupe de travail sur le vieillissement de l’UE (2015) ou de l’OCDE (de la Maisonneuve et Oliveira Martins, 2014).

Encadré 2. Scénarios
Scénario de référence


Ce scénario suppose qu’une moitié des années de longévité gagnées seront vécues dans un état de santé satisfaisant et l’autre moitié dans un état précaire. Le scénario sans les soins de longue durée se base sur une élasticité du revenu de 1,1 et une absence d’effet Baumol. Le scénario pour les soins de longue durée exclut l’effet revenu, lequel n’influence pas les besoins en matière de santé. On suppose également qu’aucun gain de productivité n’est réalisable et donc que l’effet Baumol se fait pleinement sentir.

Scénarios fondés sur la morbidité


Selon le scénario « Pure ageing », les années de longévité gagnées seront vécues dans un état de santé précaire ; selon le scénario « Healthy ageing », elles le seront dans un bon état de santé.

Scénario migratoire


On suppose un solde migratoire positif de 10 000 à 20 000 personnes par an.

Scénarios Baumol


Selon le premier scénario Baumol, les gains de productivité du secteur de la santé hors soins de longue durée progressent d’environ 40 % moins vite que ceux de l’économie nationale. Le scénario Baumol élargi suppose que l’effet Baumol est plus fort dans le domaine de la santé hors soins de longue durée, ces derniers enregistrant en revanche certains gains de productivité.

Scénario fondé sur la pression des coûts


On part du principe que les déterminants non démographiques, tels que les progrès médicotechniques, une densité plus importante de médecins liée aux incitations dans le domaine de la santé ou une demande croissante de la population accélèrent la hausse des dépenses dans le secteur sans soins de longue durée. Comme le groupe de travail sur le vieillissement de l’UE (2015), on retient l’hypothèse d’une élasticité du revenu de 1,4.