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Les coûts de la santé augmentent plus vite en Suisse que dans les pays voisins

Plutôt que d’appeler leur médecin de famille, les Suisses ont tendance à consulter un spécialiste. C’est l’une des raisons pour lesquelles les coûts de la santé augmentent plus vite chez nous que dans les pays voisins.
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Se faire scanner par un spécialiste au lieu de consulter son médecin de famille ? Tomographie par émission de positrons (TEP).

Le système de santé suisse compte parmi les plus coûteux du monde. On en attribue généralement la responsabilité aux exigences excessives des assurés, à un activisme démesuré des médecins ou au grand nombre de lits d’hôpitaux. Ces hypothèses ne résistent toutefois pas à une comparaison avec les pays voisins. Pour le démontrer, il convient d’examiner en détail les prestations et les coûts du système de santé suisse.

Les prestations nettes – autrement dit celles qui sont payées par les assureurs – croissent de manière impressionnante. Entre 1996 et 2015, les dépenses à ce poste sont passées de 11 à 26 milliards de francs pour l’assurance obligatoire des soins (AOS). En pourcentage, elles ont donc nettement plus augmenté que la population. En moyenne annuelle, leur hausse est de 4,0 % par assuré. Même ajusté en fonction de l’inflation, ce taux reste de 3,5 %. Après cinq ans d’une croissance relativement faible, les coûts ont une nouvelle fois pris l’ascenseur en 2015, avec une hausse de 3,9 %. Corrigée en fonction de l’inflation négative, la croissance réelle atteint même 5,1 %[1].

Les coûts dans le domaine « Hôpital, ambulatoire » affichent une augmentation particulièrement forte, puisqu’elle s’établit à 36 % par personne entre 2009 et 2015. Alors qu’on enregistre un accroissement notable des consultations dans les services ambulatoires des hôpitaux (+ 33 % depuis 2009), les prestations brutes par consultation sont restées stables. Dès lors, la hausse des coûts s’explique avant tout par une extension du volume des prestations. Il faut noter à cet égard que le transfert souhaité du domaine stationnaire vers les soins ambulatoires – moins onéreux – a été réalisé.

Dans le domaine « Médecins, ambulatoire », l’augmentation par personne est également importante, puisqu’elle se chiffre à 20 % entre 2009 et 2015. Si le nombre de consultations par habitant est relativement stable au fil des ans (+ 3 %), l’accroissement des prestations brutes par consultation (+ 24 %) est ici particulièrement frappant. Les données issues de la facturation montrent une hausse des consultations auprès de spécialistes. On note, en outre, chez ces derniers un accroissement des prestations brutes par facture plus élevé qu’en médecine générale. Ainsi, malgré une intervention dans la structure tarifaire, qui visait à mieux rémunérer les généralistes aux dépens des spécialistes – tout en restant neutre en termes de coûts –, on constate que les dépenses pour ces derniers continuent de s’accroître. Manifestement, la baisse des prix a rapidement été compensée par une extension du volume des prestations.

Quant au domaine « Hôpital, séjours », il enregistre depuis 2009 une hausse de 15 % des coûts par personne et de 7 % des prestations brutes par facture. En raison du vieillissement de la population, la part des patients âgés de plus de 70 ans s’est accrue. Le nombre de cas d’urgence a augmenté dans une proportion supérieure à la moyenne et, comme mentionné plus haut, des prestations ont été transférées vers le secteur ambulatoire. Contrairement aux attentes, l’introduction en 2012 du système de forfaits par cas « Swiss DRG » (voir encadré) n’a pas calmé la situation, loin de là : dans le domaine « Hôpital, séjours », les prestations brutes et le nombre de factures par personne ainsi que le nombre de prestations brutes par facture en 2014 étaient nettement plus élevés qu’avant l’introduction de Swiss DRG.

Seul le secteur « Médicaments » (médecins et pharmacies) affiche une stabilité des coûts par habitant. Ceux-ci ont, en effet, à peine varié entre 2009 et 2015. Alors que le nombre de factures de médicaments par personne a augmenté d’au moins 24 %, les prestations brutes par facture ont diminué d’environ 13 %. Des mesures efficaces ont été prises ces dernières années pour contrôler les prix en ce domaine. La vérification des médicaments remboursés dans le cadre de l’AOS entre 2012 et 2014, en particulier, a permis d’épargner 600 millions de francs par an. La substitution d’anciens produits par de nouveaux, plus chers, reste une cause majeure de la hausse des dépenses à ce poste.

Densité de médecins et autres indicateurs : valeurs comparables


Si l’on excepte les coûts du système et ce que les assurés payent de leur poche, la majorité des indicateurs clés en Suisse sont bas ou affichent des différences non significatives par rapport à l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Autriche (voir tableau). La densité de médecins, par exemple, est comparable. Pour le nombre de lits de soins aigus dans les hôpitaux, la durée des séjours hospitaliers et le nombre d’hospitalisations, la Suisse se situe nettement au-dessous de ses voisins. En outre, les patients suisses consultent le médecin deux fois moins souvent. Les seules différences notables concernent la densité des soignants (+ 90 %) et celle des psychiatres (+ 150 %).

Indicateurs de santé en Suisse et dans les pays voisins

















Indicateurs des coûts de la santé Valeurs 2014 ou 2015 Valeurs 2007
Allemagne- France-Italie-Autriche (moyenne) Suisse Écart (en %) Suisse Écart (en %)
Dépenses de santé (en USD, en parité de pouvoir d’achat) 4397 6787 +54 4567 +35
Dépenses de santé (en USD courants) 4802 9674 +101 6126 +11
Dépenses privées (payées par les assurés « de leur poche », en USD, en parité de pouvoir d’achat) 636 1815 +185 1403 +173
Dépenses de médicaments (en USD, en parité de pouvoir d’achat) 638 730 +15 471 –15
Densité de médecins (pour mille habitants) 4,1 4,0 –1 3,8 +1
Densité de psychiatres 0,2 0,5 +150 0,4 +110
Densité de soignants 9,2 17,6 +90 14,7 +67
Lits de soins aigus (2013) 4,8 3,8 –20 4,5 –12
Examens IRM 77,1 65,7 –15
Consultations médicales (par habitant, 2013) 7,7 3,9 –49 4,0 –45
Hospitalisations (pour 100 000 habitants) 19 573 15 026 –23 13 904 –28
Durée de séjour en soins aigus (en journées, 2013) 6,7 5,9 –12 7,8 +12


 

Remarque : coûts en USD courants, cours de la Banque mondiale du 17 novembre 2016.

Statistiques de l’OCDE sur la santé / La Vie économique

Une comparaison entre les valeurs de 2014 et de 2007 montre que l’offre (densité de médecins et nombre de lits) et les résultats (hospitalisations et consultations ambulatoires) se sont accrus de façon similaire en Suisse et dans les pays voisins. Malgré cela, la Suisse a vu ses coûts croître nettement plus vite. Considérées en parité de pouvoir d’achat, les dépenses pour les médicaments ont elles aussi beaucoup augmenté.

La conclusion est évidente : d’une part, les écarts dans les dépenses sont dus aux effets de prix ; d’autre part, les prestations à bas coût cèdent le pas à d’autres plus onéreuses. En d’autres termes, la Suisse propose proportionnellement trop de prestations à un coût trop élevé chez les spécialistes et dans les hôpitaux ; à l’opposé, elle en offre moins dans la médecine de premier recours. Il s’ensuit une dynamique sans frein qui ne s’explique pas uniquement par des différences de niveau de vie, mais aussi par de fausses incitations contenues dans les structures tarifaires et les systèmes de facturation sous-jacents.

La piste de l’enveloppe budgétaire


Les hôpitaux qui pratiquent des soins aigus somatiques à la charge de l’AOS doivent avoir l’aval du canton. Ce dernier est tenu de planifier ses besoins en matière hospitalière – et donc d’établir une liste des établissements concernés –, afin d’éviter les surcapacités génératrices de surcoûts. La planification doit correspondre aux besoins. Les cantons doivent également se coordonner, en particulier dans le domaine médical hautement spécialisé.

La solution de l’enveloppe budgétaire – telle que l’appliquent les cantons de Genève, de Vaud et du Tessin – constitue une piste intéressante pour le financement hospitalier. Entre 2001 et 2014, en effet, le volume des prestations a augmenté moitié moins dans ces trois cantons que dans les autres. Dans le secteur ambulatoire, la limitation des autorisations de pratiquer à la charge de l’AOS accordées aux médecins représente un autre moyen de gérer le volume de prestations. Cet instrument est également entre les mains des cantons.

Les partenaires tarifaires sont tenus de structurer leurs tarifs selon des principes économiques et d’inclure dans les conventions des mesures permettant de garantir l’économicité. Ces dispositions contractuelles et les contrôles d’économicité effectués par les assureurs peuvent, toutefois, être améliorés. Il semble par exemple que les assureurs ne vérifient pas systématiquement chaque facture. Il est dès lors difficile de surveiller l’augmentation du volume des prestations pour certaines positions tarifaires.

Apprendre de l’Allemagne et des Pays‑Bas


Pour limiter les coûts des soins stationnaires, la majorité des pays européens utilisent des instruments budgétaires. Le pilotage du volume des prestations est également très répandu. Les exemples de l’Allemagne et des Pays-Bas présentent un intérêt particulier pour la Suisse, car leurs systèmes fonctionnent également suivant le principe de la concurrence et montrent des similitudes en matière de structure tarifaire.

En Allemagne, la rémunération des prestations additionnelles selon un tarif réduit doit éviter un accroissement non justifié du volume des prestations hospitalières. Cet abattement de 25 % s’applique aux prestations qui dépassent le budget convenu dans le contrat de prestations pour l’exercice en cours. Au début de cette année, il a été remplacé par un abattement dégressif sur les coûts fixes, qui se situe à un niveau nettement supérieur. Pour 2017 et 2018, cet abattement a été fixé à 35 %[2]. Selon l’OCDE, la hausse des coûts allemands était de 2,3 % par habitant pour l’ensemble du système sanitaire et de 2,2 % pour le secteur hospitalier en 2015[3]. L’augmentation moyenne des cinq dernières années s’établit à 2,0 % par habitant et à 2,4 % pour les hôpitaux.

Aux Pays-Bas, les forfaits pour les traitements stationnaires sont subdivisés en deux segments : le premier concerne les cas complexes de gravité élevée, dont les tarifs sont fixés par l’État. Pour cela, les hôpitaux reçoivent chaque année un budget fixe, qui n’est pas augmenté après coup en cas de prestations additionnelles. Le second segment recouvre les traitements simples et pouvant être standardisés, dont les tarifs sont négociés librement entre hôpitaux et assureurs. Si un hôpital dépasse le volume déterminé dans ce segment, il peut négocier un tarif réduit avec les assureurs[4]. Par ailleurs, des conventions ont été signées entre le gouvernement et les associations de fournisseurs de prestations, afin de contenir la hausse des dépenses[5].

D’après l’OCDE, les coûts globaux du système de santé aux Pays‑Bas se sont accrus de seulement 0,3 % par habitant et le secteur hospitalier a même enregistré une baisse de 0,8 % en 2015. La moyenne des cinq dernières années montre une quasi-stabilité (augmentation de 1,9 % par an). À noter toutefois qu’en raison d’un changement de méthode de calcul, les chiffres ne sont pas directement comparables.

Une étude mandatée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) sur le pilotage de l’offre dans le domaine ambulatoire a examiné les systèmes et les régulations dans 22 pays de l’OCDE[6]. Dans bon nombre d’entre eux, les soins médicaux ambulatoires font l’objet d’un pilotage à long terme. L’Allemagne, la France, l’Italie et l’Autriche, en particulier, ont introduit des systèmes visant à limiter soit le nombre de praticiens autorisés à pratiquer à la charge de l’assurance-maladie, soit le volume des prestations remboursables effectuées par ces derniers. En Allemagne, chaque médecin pratiquant à la charge de l’assurance-maladie se voit fixer une enveloppe budgétaire qui n’est pas relevée après coup si le volume convenu est dépassé. Cela a aussi pour effet de réduire les coûts.

Selon cette étude de l’OCDE, les Pays-Bas sortent également du lot, puisque les coûts moyens de la santé y étaient même en recul au cours des cinq dernières années. Précisons à cet égard qu’en raison d’un changement de méthode de calcul, les chiffres sont à considérer avec prudence. Dans ce pays, les médecins de premier recours sont rémunérés dans la majorité des cas par le biais de forfaits par patient et par traitement. Les spécialistes ne peuvent fournir de prestations que si le patient leur est adressé par un médecin de premier recours (mesure appelée « gatekeeping »). Ils sont rémunérés à la prestation. Les Pays-Bas connaissent également des conventions nationales sur la croissance maximale des dépenses.

Solutions possibles

Tandis qu’à l’étranger, des instruments visant à endiguer l’augmentation indésirable du volume des prestations sont déjà en place, il n’y a pas pour l’heure en Suisse de consensus politique relatif à des mesures comparables. De plus, les incitations dans les structures tarifaires ont pour effet d’accroître le volume des prestations. Ainsi, les prestations techniques sont surfinancées dans le Tarmed. Étant donné l’absence de « gatekeeping », on enregistre également une hausse du volume des prestations dans le système de prise en charge.

Il importe donc de réduire le volume des prestations en jouant sur les incitations. Il faut dans le même temps limiter celles que recèlent les structures tarifaires et qui aggravent la situation. En outre, la prise en charge médicale de base doit être renforcée. Sans cela, il ne sera pas possible de maîtriser les coûts liés au vieillissement démographique sans remettre en question les principes fondamentaux de l’assurance-maladie sociale. Si les primes s’élèvent trop, le système de l’assurance – et en particulier son caractère obligatoire – risque de perdre l’adhésion de la population.

  1. Calculs des auteurs, fondés sur la banque de données Sasis. Cette dernière est fiable depuis 2009. []
  2. Beschlussempfehlung und Bericht des Ausschusses für Gesundheit vom 9. November 2016, p. 43. []
  3. Ensemble des comparaisons internationales des coûts : statistiques de l’OCDE sur la santé. []
  4. Busse et al. (2013), 439 ss. []
  5. Schut et al. (2013, 21 ss. []
  6. Rütsche et al. (2013). []

Bibliographie

  • Busse R., Geissler A., Quentin W. et Wiley M., Diagnosis-Related Groups in Europe, European Observatory on Health Systems and Policies Series, Mc Graw Hill, 2013.
  • Statistiques de l’OCDE sur la santé 2016, ocde.org, octobre 2016.
  • Rütsche B., Poledna T., Gigaud P. et Flühler N., Angebotssteuerung im ambulanten Bereich, Lucerne, étude sur mandat de l’OFSP, 2013.
  • Schut E., Sorbe S. et Høj J., Health care reform and long-term care in the Netherlands, OECD, Economic Department Working Paper No. 100, 2013.

Bibliographie

  • Busse R., Geissler A., Quentin W. et Wiley M., Diagnosis-Related Groups in Europe, European Observatory on Health Systems and Policies Series, Mc Graw Hill, 2013.
  • Statistiques de l’OCDE sur la santé 2016, ocde.org, octobre 2016.
  • Rütsche B., Poledna T., Gigaud P. et Flühler N., Angebotssteuerung im ambulanten Bereich, Lucerne, étude sur mandat de l’OFSP, 2013.
  • Schut E., Sorbe S. et Høj J., Health care reform and long-term care in the Netherlands, OECD, Economic Department Working Paper No. 100, 2013.

Proposition de citation: Strupler, Pascal (2017). Les coûts de la santé augmentent plus vite en Suisse que dans les pays voisins. La Vie économique, 23. février.

Priorités de la Confédération et méthodes de facturation
Santé2020


Pour répondre aux défis que pose le domaine de la santé, le Conseil fédéral a élaboré la stratégie Santé2020. Grâce au paquet de mesures adopté dans ce cadre il y a quatre ans, il entend assurer la qualité de vie, renforcer l’égalité des chances, améliorer la qualité des soins et optimiser la transparence. Parmi les axes principaux figure la réduction des prestations médicales inefficaces dans le but de freiner l’accroissement excessif du volume de prestations et de maîtriser la hausse des coûts. Cette année, les efforts se focaliseront notamment sur l’augmentation des maladies chroniques. Ce thème était placé au cœur de la quatrième Conférence nationale « Santé2020 », qui s’est tenue en janvier. À cette occasion, les principaux acteurs ont cherché ensemble des moyens d’améliorer la prévention.

Swiss DRG


Depuis 2012, les prestations stationnaires fournies par les hôpitaux et les maisons de naissance dans le domaine des soins aigus somatiques sont rémunérées au moyen de forfaits liés aux prestations. Dans ce système dit des « forfaits par cas » (« Diagnosis Related Groups », DRG), les types de traitement sont regroupés de la façon la plus homogène possible (exemple : l’appendicectomie chez les enfants). Ces groupes de cas sont identiques dans toute la Suisse. Les assureurs et les hôpitaux en fixent ensemble le prix de base.

Tarmed


Les prestations médicales ambulatoires fournies dans les cabinets privés et les hôpitaux sont rémunérées depuis 2004 sur la base du tarif médical Tarmed. Les prix sont déterminés d’un commun accord par les médecins, les hôpitaux et les assureurs. Le Conseil fédéral a la compétence d’adapter la structure de ce tarif médical lorsque celui-ci ne s’avère plus adéquat et que les parties ne parviennent pas à s’entendre sur sa révision. La structure tarifaire actuelle est en vigueur jusqu’à la fin de l’année.