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Développer la politique familiale : un choix payant

Les structures d’accueil des enfants, le soutien aux familles à risque et l’aménagement de conditions de travail favorables à la vie familiale sont des domaines appelés à se développer fortement en Suisse. Ces mesures coûteraient près de 2 milliards de francs par an, mais elles seraient payantes à long terme.
Lorsqu'un enfant est pris en charge par une structure d'accueil spécialisée, les deux parents peuvent travailler. L'économie en profite aussi.

Actuellement, la politique de la famille fait l’objet d’un débat politique animé. Celui-ci porte sur des thèmes comme le projet de congé parental ou l’augmentation des moyens financiers consacrés à l’accueil extrafamilial des enfants. Afin de disposer d’une assise scientifique à ce débat, le bureau d’études et de conseil zurichois Infras a rédigé avec l’université de Saint-Gall, pour le compte de la Jacobs Foundation, un « livre blanc » sur le coût et l’utilité d’une politique de la petite enfance[1].

Une telle politique a pour but de garantir l’égalité des chances et de promouvoir l’épanouissement de tous les enfants. Elle doit également permettre de mieux concilier l’activité professionnelle avec la vie familiale. Pour atteindre ces objectifs, il faut pouvoir compter sur un large éventail de prestations de la part des pouvoirs publics, des entreprises et d’autres acteurs, comme les fondations et les associations.

Les chercheurs ont d’abord analysé les programmes de soutien destinés aux enfants d’âge préscolaire, comme les crèches, les familles de jour et les groupes de jeux. Ils se sont, ensuite, penchés sur les mesures de soutien destinées à des groupes bien précis, en particulier les familles à risque et les familles de migrants. Ils ont, enfin, étudié l’aménagement des conditions de travail – flexibilité des horaires et occupation à temps partiel – ainsi que le congé parental.

Un coût qui se chiffre en milliards


Sur la base des données suisses disponibles et de l’analyse des études menées ici et à l’étranger, les chercheurs ont procédé à une estimation sommaire du coût et de l’utilité des différents dispositifs rattachés à ces trois domaines. Pour 2015, ils sont arrivés à 2,7 milliards de francs. Les structures d’accueil des enfants (premier domaine étudié) et l’aménagement des conditions de travail (troisième domaine) représentaient chacun peu ou prou la moitié de cette somme. Le deuxième domaine étudié, celui du soutien aux groupes à risque et autres ne pesait pas bien lourd (1 % environ).

Actuellement, tous les domaines présentent un potentiel de développement. Il est ainsi possible d’augmenter le nombre de places pour l’accueil extrafamilial des enfants et d’en améliorer la qualité pédagogique. On pourrait aussi aménager les conditions de travail, en introduisant un congé parental allant de 24 à 44 semaines, une mesure qui irait dans le bon sens[2]. Si les différents volets de la politique familiale suivaient les scénarios formulés dans l’étude, les coûts augmenteraient de 70 % pour atteindre 4,6 milliards de francs par an (voir illustration).

Coût total annuel de la politique de la petite enfance (trois scénarios, 2015)




Source : Infras et université de Saint-Gall (2016), graphique Infras / La Vie économique

L’économie profite de l’accueil extrafamilial


La rentabilité de ces mesures est, par contre, extraordinairement élevée. Les données empiriques à notre disposition montrent en effet que le développement des structures d’accueil se traduit par une hausse réelle de la présence des femmes sur le marché de l’emploi. Cela constitue un avantage direct pour les entreprises, qui profitent de l’élargissement de l’offre de main-d’œuvre indigène à un moment où le marché suisse souffre d’une pénurie d’employés qualifiés. Les pouvoirs publics ne sont pas en reste, puisque leurs recettes fiscales augmentent et les charges des assurances sociales diminuent.

À ces avantages directs s’ajoutent les effets globalement positifs des structures d’accueil et des programmes de soutien analysés sur les compétences cognitives et autres des enfants, comme le prouvent diverses études. Ces effets sont particulièrement marqués pour les enfants des familles socialement défavorisées : les crèches et les groupes de jeu leur offrent un cadre favorable qui les prépare à l’école enfantine ; cela les aide dans leur parcours scolaire.

Dans ce domaine, les économies potentielles sont faibles, car les frais occasionnés par les places d’accueil, mesurés à parité de pouvoir d’achat, ne sont pas plus élevés en Suisse que chez nos voisins. Les salaires du personnel éducatif constituent le principal facteur de coûts ; or, ils sont plutôt bas en Suisse comparés à ceux versés pour d’autres professions[3]. Derrière les charges, on trouve surtout le taux d’encadrement – soit le nombre d’enfants par éducateur – et la proportion de personnel qualifié.

Ces deux éléments définissent, en retour, la qualité de la prise en charge, notamment les réponses à apporter aux besoins de chaque enfant et le temps qui lui est consacré. En d’autres termes, toute économie réalisée sur ces aspects-là se fait au détriment de la qualité.

Dans une analyse réalisée en 2016, le bureau d’études et de conseil bernois Ecoplan a conclu que les normes régissant l’ouverture des crèches présentaient encore un certain potentiel d’amélioration. Toutefois, cette optimisation n’exercerait probablement qu’une influence négligeable sur les charges d’exploitation courantes.

Les familles à risque, les grandes bénéficiaires


Diverses études montrent que les enfants des familles socialement défavorisées, qui sont justement susceptibles de tirer le plus grand profit des crèches et des groupes de jeu, les fréquentent moins que leurs camarades. Dès lors, des mesures conçues pour les familles à risque et celles issues de l’immigration sont un pilier important de toute politique de la petite enfance. Les programmes de visite à domicile permettent ainsi d’aider à bon escient les parents dans leurs tâches éducatives et de les inciter à placer leur enfant dans une crèche ou un groupe de jeu. En l’occurrence, un investissement comparativement faible peut avoir un effet relativement élevé.

L’aménagement des conditions de travail, sous forme d’emplois à temps partiel et d’horaires souples, est une source de frais pour les entreprises. Ceux-ci sont, toutefois, directement compensés par l’augmentation du nombre de mères qui réintègrent leur emploi et par les économies réalisées au moment de recruter du personnel. Pour cette raison, les coûts définis par les différents scénarios établis sont surtout fonction, dans ce domaine, du congé parental.

Des études menées à l’étranger portent à croire que le congé parental influe positivement sur la présence des mères sur le marché de l’emploi. Or, cet effet dépend fortement des modalités dudit congé. Par ailleurs, les expériences faites à l’étranger ne sont pas nécessairement transposables à la Suisse. Il semble néanmoins logique que les parents aient moins recours aux structures extrafamiliales durant la première année de vie si le congé parental se développe, ce qui réduirait quelque peu les coûts générés par les crèches.

Le domaine des structures d’accueil et celui de l’aménagement des conditions de travail sont intimement liés. Pour parvenir à concilier vies familiale et professionnelle, il faut disposer d’un accueil extrafamilial de qualité ainsi que de conditions de travail ad hoc. Il est certes pratiquement impossible d’augmenter le taux d’activité des femmes sans crèches ni groupes de jeu. L’on ne doit, toutefois, pas oublier que la plupart des parents souhaitent aussi, tout comme avant, s’occuper de leurs enfants durant un maximum de temps.

Il faut aussi savoir que les avantages en termes de capital humain pour les mères et pour les enfants, produits par la politique de la petite enfance, renforcent la compétitivité et la productivité de l’économie. En outre, les mesures analysées dans l’étude contribuent à répartir plus équitablement la formation et le revenu. Elles constituent également une arme contre la pauvreté. Tout investissement dans la politique de la petite enfance peut, dès lors, se révéler payant, du moins à moyen et à long termes. Pour chiffrer précisément le retour sur investissement, il faudrait toutefois mener des études empiriques complémentaires sur le cas suisse, en particulier sur l’impact à moyen et à long termes des mesures proposées.

Des frais de garde élevés ont un effet dissuasif


Actuellement, une partie considérable du coût de la politique de la petite enfance repose sur les ménages. Les parents supportent environ les deux tiers du coût des crèches, cette proportion variant selon le canton et la commune. C’est même jusqu’aux trois quarts pour les groupes de jeu. Comparé à d’autres pays, l’accueil extrafamilial des enfants constitue une charge très lourde pour les familles suisses. Les ménages retenus pour l’étude dépensent, toutes catégories confondues, jusqu’à un quart de leur revenu annuel brut pour placer leurs enfants dans une crèche subventionnée. Si la structure n’est pas subventionnée, cette proportion est encore plus élevée. Elle peut atteindre jusqu’à 44 % du revenu brut des ménages à faible capacité financière. Une telle charge n’incite guère les parents à exercer une activité lucrative, quand elle ne les en dissuade pas purement et simplement. À court terme du moins, les parents n’ont pas avantage à travailler les deux.

Les pouvoirs publics participent financièrement à plusieurs programmes pour la petite enfance. La contribution aux frais de garde dans les crèches, les groupes de jeu et les familles de jour constitue leur plus gros poste de dépenses, suivi des programmes de soutien aux familles à risque et aux familles de migrants. Les dépenses totales de la Confédération, des cantons et des communes dans le domaine de la petite enfance peuvent être estimés à quelque 600 millions de francs par an, soit 0,1 % du produit intérieur brut (PIB).

Ces dépenses publiques sont inférieures à la moyenne des États industrialisés. À lui seul, le budget de l’accueil extrafamilial des enfants d’âge préscolaire représente en moyenne 0,3 % du PIB dans les pays de l’OCDE[4].

Les employeurs financent, eux aussi, la politique de la petite enfance, de trois façons différentes. Ils participent d’abord directement au financement des crèches et des familles de jour. Ils acquittent, ensuite, leurs cotisations au régime des allocations pour perte de gain. Ils offrent, enfin, à leurs employés des postes à temps partiel permettant de concilier vies professionnelle et familiale.

Aborder le sujet du financement


Le bilan coût-utilité montre que si la politique de la petite enfance requiert des investissements considérables, ceux-ci s’avèrent payants à moyen et à long termes. La lourde charge que supportent les ménages empêche les familles à faible revenu de faire pleinement appel aux structures d’accueil des enfants. Cela freine l’intégration des mères sur le marché de l’emploi.

À l’opposé, les dépenses consenties par les pouvoirs publics en matière de politique de la petite enfance sont inférieures à la moyenne internationale. Il semble donc utile de mener un débat sur le financement futur de cette politique.

  1. Infras et université de Saint-Gall (2016). []
  2. Voir Commission fédérale de coordination pour les questions familiales, Congé parental – allocations parentales. Un modèle de la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales COFF pour la Suisse, 2010. []
  3. Infras et université de Saint-Gall (2015). []
  4. Base de données de l’OCDE sur la famille (2012), OCDE 33. []

Bibliographie

  • Ecoplan, Regulierungen für die Eröffnung einer Einrichtung der familienergänzenden Kinderbetreuung, rapport scientifique élaboré pour le compte de l’Office fédéral des assurances sociales, 2016, Berne.
  • Infras et université de Saint-Gall, « Analyse des coûts complets et du financement des places de crèche en Allemagne, en France et en Autriche, en comparaison avec la Suisse », Aspects de la sécurité sociale, Rapport de recherche no3/15, 2015, Office fédéral des assurances sociales.
  • Infras et université de Saint-Gall, Whitepaper zu den Kosten und Nutzen einer Politik der frühen Kindheit, 2016, Jacobs Foundation.

Bibliographie

  • Ecoplan, Regulierungen für die Eröffnung einer Einrichtung der familienergänzenden Kinderbetreuung, rapport scientifique élaboré pour le compte de l’Office fédéral des assurances sociales, 2016, Berne.
  • Infras et université de Saint-Gall, « Analyse des coûts complets et du financement des places de crèche en Allemagne, en France et en Autriche, en comparaison avec la Suisse », Aspects de la sécurité sociale, Rapport de recherche no3/15, 2015, Office fédéral des assurances sociales.
  • Infras et université de Saint-Gall, Whitepaper zu den Kosten und Nutzen einer Politik der frühen Kindheit, 2016, Jacobs Foundation.

Proposition de citation: Susanne Stern ; Monika Bütler ; (2017). Développer la politique familiale : un choix payant. La Vie économique, 27 avril.

Manuel PME Travail et famille

Le fait de concilier l’activité professionnelle avec la vie familiale est à la fois une stratégie d’entreprise utile aux employeurs et une politique du personnel progressiste que la société appelle de ses vœux. Les PME suisses ont, elles aussi, avantage à formuler des stratégies de ce type adaptées à leur situation. Soucieux de fournir aux employeurs un guide adapté aux conditions actuelles, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) a mis à jour l’an passé le Manuel PME Travail et famille, publié en 2007. Présentée sous la forme d’un document PDF interactif, cette nouvelle édition fait le point sur les dernières tendances concernant l’équilibre entre vies familiale et professionnelle. Le Seco a entièrement revu les informations pratiques à l’usage des entreprises. Des exemples provenant de toutes les régions du pays montrent à quel point les nouvelles technologies de la communication facilitent la mise en œuvre des mesures proposées.

Le document au format PDF peut être téléchargé sur le site seco.admin.ch/Manuel PME. Contact : dragan.ilic@seco.admin.ch.