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Que se cache-t-il derrière une commode indienne ?

Pour les clients de Migros soucieux de durabilité, il existe de nombreux obstacles à surmonter dans les pays en développement et émergents. À l’exemple d’une commode fabriquée en Inde, de nombreux critères doivent être rempli avant qu'un meuble n'arrive sur le marché suisse.

Chaque tiroir de la commode Bethany est d’une couleur différente et l’un d’eux est même recouvert de peau de vache. Elle ne passe donc pas inaperçue dans les magasins de Micasa, filiale de Migros. Alors que tout client peut en apprécier l’aspect extérieur, la qualité « intrinsèque » du meuble n’est pas évidente. Le consommateur ne sait, en effet, pas si les ouvriers qui l’ont fabriqué ont reçu un salaire approprié ou si le bois provient d’une forêt à protéger. Il part, cependant, de l’idée que Migros agit de manière responsable. C’est en effet l’objectif que s’est fixé la coopérative, notamment parce que son fondateur Gottlieb Duttweiler lui a confié le mandat suivant : « Parallèlement à notre puissance matérielle croissante, nous devons offrir des prestations sociales et culturelles toujours plus importantes. » Une chose est sûre : Migros ne veut dans son assortiment que des produits acceptables sur le plan environnemental et social.

Quand Ingrid Angehrn, acheteuse pour le compte de Migros, aperçoit cette commode pour la première fois dans une foire en Inde, elle est convaincue que son style artisanal aura du succès sur le marché suisse. Cependant, elle ne la commande pas tout de suite. Elle fait savoir au bureau des achats de Migros à New Delhi qu’elle voudrait bien établir une relation commerciale avec le fournisseur basé à Jodhpur, dans l’État du Rajasthan, au nord de l’Inde. Migros dépêche alors un expert en durabilité sur le site de production. « Étant donné que les contrôles étatiques ne sont pas très approfondis en Inde, il est nécessaire que des spécialistes procèdent à une évaluation », indique Adrian Bahnerth, chef du domaine « Qualité et durabilité » au bureau des achats de Migros pour l’Inde et la Chine. En outre, les fabricants artisanaux de meubles travaillent souvent de manière moins professionnelle que, par exemple, les grandes entreprises textiles.

À Jodhpur, une première inspection révèle que la fabrique de meubles est déjà mieux équipée que d’autres entreprises locales. Ainsi, on y trouve un nombre suffisant de sorties de secours et d’extincteurs, ainsi que des dispositifs simples destinés à la protection des ouvriers. De même, rien n’indique que la fabrique recourrait à des pratiques telles que le travail forcé ou celui des enfants. Par ailleurs, le directeur se montre prêt à entreprendre des améliorations.

Migros décide donc de passer commande, en posant toutefois des conditions claires à la fabrique. « Pour que la situation des travailleurs s’améliore, il ne suffit pas de mettre les lacunes en évidence », relève M. Bahnerth. « Des conseils pratiques et un mentorat permanent sont beaucoup plus importants. » La fabrique de meubles s’engage donc à verser au moins le salaire minimum local et à rémunérer correctement les heures supplémentaires. Elle doit également fournir des documents qui en attestent.

La fabrique doit respecter les normes de la BSCI


L’ensemble des exigences qui lui sont imposées figurent dans le code de conduite de l’Initiative de conformité sociale en entreprise (Business social compliance initiative, BSCI). Cette norme sociale internationale, élaborée sous l’égide de l’Association de commerce extérieur (Foreign trade association, FTA) à Bruxelles, est déjà appliquée par près de 2000 entreprises à travers le monde. Avant d’entamer une relation commerciale avec Migros, le fournisseur doit signer le code de conduite. La mise en œuvre des directives de la BSCI est certes onéreuse, mais elle peut lui conférer un avantage concurrentiel. Les nombreuses entreprises membres de la BSCI préfèrent en effet passer commande à des fournisseurs qui connaissent déjà ce système. Migros a été en 2003 l’un des membres fondateurs de l’initiative et s’emploie activement à son développement.

Quelques mois après la première visite à la fabrique de Jodhpur, Migros organise et finance une formation à l’intention du personnel. Ce cours porte sur les mesures de sécurité, lesquelles sont malheureusement souvent négligées dans le travail quotidien. Même lorsque la direction fournit suffisamment de masques, de gants ou de bottes, il est fréquent que les travailleurs ne les portent pas systématiquement. Certains de ces accessoires sont inconfortables, en particulier lorsqu’il fait très chaud. D’autres, comme les gants qui protègent des coupures, ralentissent les travaux manuels. La formation doit amener les travailleurs à prendre conscience de l’importance de la protection pour leur santé.

Le bois de manguier n’a besoin d’aucun certificat


Outre les conditions de travail, l’acheteuse Ingrid Angehrn vérifie également si les matières premières entrant dans la fabrication de la commode s’avèrent problématiques. Il apparaît que ce n’est pas le cas du bois utilisé, car les manguiers servent principalement à l’agriculture. Lorsque ces arbres atteignent environ 15 ans, ils ne donnent plus assez de fruits et sont donc abattus. Leur bois, d’un bel aspect en raison de sa couleur brune, convient bien à la fabrication de meubles. De temps en temps, Ingrid Angehrn reçoit des questions de consommateurs préoccupés par le fait que le bois de manguier ne soit pas certifié. « Je me réjouis de ces réactions. Elles montrent que le concept de durabilité a été assimilé par la population », déclare-t-elle. L’acheteuse explique à ses interlocuteurs que l’on peut acheter le bois de manguier sans remords, même s’il est dépourvu de certificat, car son origine est connue. Quant aux espèces plus problématiques, comme le hêtre ou le chêne, Migros les vend sous le label FSC (Forest Stewardship Council) qui garantit une traçabilité complète et certifie que le bois est issu d’une gestion forestière durable. En raison des conditions inacceptables de détention des animaux dans de nombreuses fermes d’élevage, Migros renonce à vendre des produits comportant de la vraie fourrure. En revanche, ses fournisseurs sont autorisés à utiliser de la peau de vache transformée, comme celle présente sur la commode indienne, ainsi que du cuir.

« Vu la quantité d’exigences posées par Migros, seules des relations à long terme avec les fournisseurs sont pertinentes », explique M. Angehrn. Ce facteur est également important pour la durabilité : les fournisseurs ne sont en effet prêts à déployer des efforts particuliers que s’ils considèrent Migros comme un partenaire fiable[1].

  1. Le rapport d’activité 2016 fournit davantage d’informations sur le principe de durabilité de Migros. []

Proposition de citation: Martina Bosshard ; Jürg von Niederhäusern ; (2017). Que se cache-t-il derrière une commode indienne . La Vie économique, 22 juin.