Les entreprises génèrent plus de croissance économique en créant délibérément de la valeur ajoutée sociale. Pour les prévisionnistes Thomas Malnight et Tracey S. Keys, cela consiste à passer du profit à la finalité[1]. Ce phénomène remonte en fait aux origines de l’entrepreneuriat, durant l’industrialisation du XIXe siècle, comme le démontre l’histoire de Maggi, l’une des marques de Nestlé.
Lorsqu’en 1882, le meunier Julius Maggi, 36 ans, rencontra l’inspecteur du travail Fridolin Schuler, ce fut un moment lourd de conséquences pour sa minoterie installée à Kemptthal, près de Winterthur. Face au patron, M. Schuler déplora la situation alimentaire des ouvriers qui, à cause de l’industrialisation, n’avaient plus le temps de cuisiner pour leurs familles. Il préconisait une alimentation riche en albumine et facilement digestible, à base de légumineuses. Julius Maggi, dont l’entreprise souffrait alors des importations de céréales nord-américaines bon marché, réagit en commercialisant des innovations telles que des soupes instantanées contenant de la farine de légumineuses. Quatre ans plus tard suivait le célèbre condiment qui porte encore le nom de son promoteur.
Durant les 151 ans d’histoire du groupe alimentaire Nestlé, Maggi n’est qu’un exemple dans lequel des employés s’attaquent à un problème social et élaborent une solution qui crée une plus-value à la fois sociale et financière.
À cause de la concurrence qui occupe le quotidien de l’entreprise et de la pression des actionnaires, dont les attentes sont à court terme, il peut arriver que le devoir social initial et primordial de l’entrepreneuriat soit oublié et que le profit passe avant la finalité. Dans le meilleur des cas, la devise de l’entreprise n’est alors plus confiée qu’à la division « Corporate Social Responsibility » qui finance des projets d’utilité publique. Certains secteurs de l’économie, à commencer par les entreprises cotées en Bourse, ont indubitablement été victimes de cette tendance au cours du XXe siècle.
Il y a environ dix ans, Nestlé a décidé de suivre une autre voie. Il a formellement intégré la création de valeur sociale et écologique dans sa stratégie d’entreprise, en la convertissant en valeur ajoutée financière. Avec le soutien de Michael E. Porter et Mark R. Kramer, professeurs à Harvard, le groupe a mis en œuvre la notion de valeur ajoutée partagée, censée aider des marques comme Maggi à se réinventer en permanence.
Définir les engagements sociaux
Afin de donner une orientation stratégique à la notion de valeur ajoutée partagée, Nestlé fait procéder tous les deux ans à une analyse de matérialité approfondie. Celle-ci tente de déterminer les questions sociales qui ont le plus d’importance pour les parties prenantes, internes et externes.
Il résulte de cette analyse que Nestlé se concentre sur les domaines clés « nutrition, santé et bien-être », développement rural, eau, durabilité écologique et « collaborateurs, droits humains et conformité ». Nestlé a ainsi défini un total de 42 engagements sociaux, placés chacun sous la responsabilité d’un membre de la direction.
L’un d’eux est la création d’aliments et de boissons riches en nutriments. Chaque année, à côté de son rapport financier, Nestlé rend compte dans son rapport Nestlé et la société du progrès réalisé par rapport à ces 42 engagements. Ce rapport est conforme aux normes internationales de la Global Reporting Initiative (GRI) et est validé par une société d’audit externe.
Combattre la carence en fer avec des cubes de bouillon
Dix ans après le lancement de la notion de valeur ajoutée partagée, les résultats sont appréciables. Ainsi, Nestlé a atteint son objectif de vendre 200 milliards de portions d’aliments et de boissons enrichies en micronutriments. De plus, le groupe se voit régulièrement en tête des classements basés sur les meilleurs indices de durabilité, comme l’Access to Nutrition Index ou le Dow-Jones Sustainability Index.
Les impulsions que la valeur ajoutée partagée donne aux activités économiques ordinaires sont plus importantes encore que la reconnaissance externe. Restons-en à Maggi ! Comme la carence en fer est fréquente en Afrique occidentale, Nestlé y a lancé il y a neuf ans un cube de bouillon enrichi en fer.
La carence en fer est considérée comme l’une des causes principales de l’anémie, maladie du sang qui peut entraîner un sous-développement physique et mental, en particulier chez les enfants. Les cubes de bouillon Maggi ne se distinguent pas de leurs prédécesseurs en goût et en prix, mais ils garantissent désormais à des millions de personnes un apport supplémentaire de fer par le biais de la nourriture. Rien qu’au Nigeria, il se vend chaque jour 80 millions de portions de cubes Maggi. Pour la marque, l’enrichissement en fer est un argument supplémentaire afin de convaincre les acheteurs des avantages de son produit.
Pour ancrer davantage la notion de valeur ajoutée partagée dans l’entreprise, Nestlé a reformulé sa devise l’année dernière : « Améliorer la qualité de vie et contribuer à un avenir plus sain ». Les plus de 2000 marques du groupe mettront cette devise en œuvre au cours des prochaines années et la moduleront selon la réalité des différents domaines d’activité. Nestlé jette ainsi les fondements d’un principe qui veut que la valeur ajoutée sociale génère une plus-value financière. Cette devise d’entreprise est la condition préalable du profit à long terme, et non l’inverse.
- « A top ten for business leaders », The Economist, 26 novembre 2012. []
Proposition de citation: Frutiger, Christian; Vousvouras, Christian A. (2017). Nestlé : vive la création de valeur partagée ! La Vie économique, 22. juin.