La redistribution qui s'opère actuellement dans le deuxième pilier n'avait pas été prévue. Elle permet aux retraités de profiter des revenus issus de la fortune des actifs.
Le système de prévoyance suisse repose sur trois piliers. Le premier se compose de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) et de l’assurance-invalidité (AI). Il s’appuie sur un contrat intergénérationnel. Son financement provient principalement d’un transfert des ressources fournies par les actifs vers les retraités. De ce fait, le premier pilier dépend fortement de la démographie, mais guère du marché des capitaux. La situation est exactement inverse pour la prévoyance professionnelle, soit le deuxième pilier, qui fonctionne par capitalisation. Dans ce système, toute personne active assurée épargne des fonds qui se transformeront en prestations de retraite à travers ses cotisations et celles de son employeur. Contrairement au premier pilier, la prévoyance professionnelle dépend donc fortement du marché des capitaux, alors qu’elle subit très peu l’influence de la démographie (pour autant que les paramètres actuariels soient correctement choisis). Ces deux systèmes se complètent donc parfaitement.
Le deuxième pilier couvre, outre la retraite, les prestations d’invalidité et de décès survenant durant la vie active. Dans ce dernier cas, l’assurance conserve sa validité après la cessation d’activité. Le système fonctionne selon le principe de solidarité : l’ensemble des cotisants financent, par le versement des primes de risque, les nouveaux cas d’assurance dus au décès ou à l’invalidité. La solidarité joue également entre les bénéficiaires de rentes qui décèdent plus tôt que prévu par la méthode actuarielle et ceux qui vivent au-delà de la limite d’âge attendue. Il convient toutefois de faire une distinction entre cette solidarité, souhaitée et nécessaire au système, et d’autres phénomènes de redistribution partiellement indésirables.
La redistribution des intérêts s’amplifie
La Suisse est souvent enviée pour son système de prévoyance reposant sur trois piliers : répartition, capitalisation et épargne libre. Les premier et deuxième piliers fournissent chacun un niveau de prestations à peu près égal. En 2015, les prestations de l’AVS/AI étaient d’environ 40 milliards de francs, tandis que celles du deuxième pilier atteignaient quelque 35 milliards. L’évolution démographique et la baisse record des taux d’intérêt imposent, toutefois, certains ajustements. La question ne fait pas débat, même si, sous certains aspects, elle a pu se transformer en pomme de discorde durant les délibérations parlementaires sur la Prévoyance vieillesse 2020.
Or, l’une des caractéristiques du premier pilier s’est glissée ces dernières années dans le deuxième : la redistribution, interne aux caisses, des ressources des assurés actifs vers ceux à la retraite (voir illustration).
Transfert des intérêts des assurés actifs vers les bénéficiaires de rentes (2005 – 2015)
Source : Swisscanto Prévoyance SA, Étude sur les caisses de pensions en Suisse, 2016 ; OFS, Statistique des caisses de pensions 2014, 2016 / La Vie économique
Au cours de la décennie écoulée, les bénéficiaires de rentes ont reçu chaque année, dans le cadre du deuxième pilier, plus de 1,5 % d’intérêt de plus que les assurés actifs. Le taux d’intérêt sur l’épargne de ces derniers est fixé annuellement par la caisse de pension. Il dépend, d’une part, de la situation financière de la caisse et, d’autre part, du rendement de la fortune obtenu. Durant les dix dernières années, ce taux a tourné autour de 2,35 % par an. En revanche, le taux d’intérêt appliqué aux bénéficiaires de rentes correspond au taux d’intérêt technique. On entend par là le taux d’intérêt qui est compris dans la réserve mathématique des rentiers et qui doit être crédité chaque année, indépendamment de la situation financière de la caisse. Il était en moyenne de 4 % ces dix dernières années.
Tant que le taux d’intérêt technique est supérieur au taux appliqué à l’épargne des assurés actifs, celle-ci est en partie réaffectée aux bénéficiaires de rentes. Tel est le cas aujourd’hui : si l’on prend par exemple le taux d’intérêt minimum de la LPP, actuellement de 1 %, comme référence et si l’on considère que le taux d’intérêt technique pour les bénéficiaires de la retraite est d’environ 2,5 %[1], on comprend qu’il est temps d’agir.
Le taux d’intérêt technique et le taux de conversion baissent
Si les taux d’intérêt demeurent aussi bas et si les caisses de pension veulent réduire cette redistribution qui se fait au détriment des assurés actifs, elles n’ont pas d’autre choix que d’abaisser le taux d’intérêt technique. Les rentes en cours ne pouvant être réduites, un abaissement du taux d’intérêt technique entraîne une augmentation des réserves mathématiques. Le financement d’une telle opération est généralement couvert par la réserve dite de fluctuation de valeur, Cela se fait donc aussi au détriment des assurés actifs, qui en assument les risques avec les employeurs. Si les placements débouchent sur de bons résultats, les excédents permettent de reconstituer la réserve de fluctuation de valeur. Cela permet de pallier les périodes de faibles rendements, qui résultent d’une dégradation des marchés financiers. Lorsque la réserve de fluctuation de valeur baisse, a fortiori lorsqu’un découvert se forme, la caisse met à contribution les assurés actifs, par exemple en appliquant des taux d’intérêt négatifs à leur épargne.
Afin de réduire durablement cette redistribution, qui n’était pas prévue dans de telles proportions pour le deuxième pilier, la seule option est d’abaisser le taux de conversion. Ce dernier contient implicitement le taux d’intérêt applicable aux nouveaux retraités. En outre, l’élévation continuelle de l’espérance de vie requiert, elle aussi, une baisse supplémentaire du taux de conversion. C’est pourquoi nombre de caisses de pension ont déjà abaissé le leur ou sont en train de le faire[2]. Cependant, en l’absence de mesures d’accompagnement, un abaissement du taux de conversion induit des réductions sensibles que les personnes arrivées au seuil de la retraite ne peuvent plus compenser par elles-mêmes. Pour les plus jeunes, il n’est pas certain que les années de placement à venir soient meilleures et permettent de compenser la réduction du taux de conversion.
La justice intergénérationnelle n’a jamais été autant menacée depuis l’introduction en 1985 de l’affiliation obligatoire à une caisse de pension.
- Voir Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP), Rapport sur la situation financière des institutions de prévoyance 2016, 2017. []
- Par exemple la caisse de prévoyance professionnelle du canton de Zurich (BVK), dont le taux de conversion est aujourd’hui inférieur à 5 %, ou Publica, la caisse de pension de la Confédération, qui abaisse le sien à 5,09 %. []
Proposition de citation: Spuhler, Patrick (2017). Des jeunes vers les aînés. La Vie économique, 22. juin.