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Coopération au développement : les partenariats avec le secteur privé sont essentiels

Les partenariats public-privé prennent de plus en plus d’importance dans la coopération au développement. Il faut maintenant savoir quelle forme leur donner. Les investissements d’impact et le mixage prêts-dons constituent, par exemple, des approches prometteuses.
Pour ceux qui investissent dans les pays émergents, les partenariats public-privé sont un gage de sécurité. Fabrique de meubles au Viêt Nam.

Comment faire pour qu’un franc investi dans le développement en engendre deux, voire plus ? Les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies et l’accord de Paris sur le climat se traduisent par d’énormes besoins de financement. La coopération au développement est donc de plus en plus confrontée à ce problème majeur. On estime que les moyens nécessaires chaque année à la réalisation des ODD se chiffrent en trillions. Comme les fonds publics consacrés au développement ne suffisent pas, il convient d’impliquer le secteur privé (voir illustration 1), ce d’autant plus que l’aide publique au développement diminue en termes relatifs.

L’aide publique au développement doit donc améliorer son efficacité en interagissant davantage avec les flux financiers privés. L’un des 17 ODD de l’ONU est d’ailleurs explicitement consacré aux partenariats public-privé[1].

Ill 1. Apport de fonds dans les pays en développement selon la source (1990–2014)




Le partenariat public-privé n’est pas un concept nouveau. Ainsi, les investissements d’impact, qui génèrent des rendements financiers tout en ayant un effet positif aux niveaux social et écologique, existent depuis l’an 2000. On estime que le volume de ce marché oscille entre 60 et 109 milliards d’USD et qu’il recèle encore un grand potentiel[2].

La microfinance fait partie des investissements d’impact. Les fonds levés reviennent à des prestataires locaux de services financiers, qui octroient des crédits pour l’achat de semences ou d’une machine à coudre, par exemple. Les prestataires suisses ont joué un rôle de pionniers sur ce marché. Avec l’aide d’investisseurs privés, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) a contribué à lancer le premier fonds public pour la microfinance en Suisse dans les années 2000. Aujourd’hui, ce fonds a dépassé le milliard d’USD et il investit dans 90 pays. Ce marché n’a cessé de croître à travers le monde. Souvent, il ne dépend même plus de fonds publics.

La place financière suisse gère un tiers du volume mondial des investissements dans la microfinance. La demande de placements durables est importante, tout comme les perspectives que ce marché recèle pour les opérateurs suisses. Afin d’améliorer le positionnement de la place financière dans le domaine des placements durables, l’association Swiss Sustainable Finance (SSF), qui rassemble les spécialistes impliqués dans les investissements durables, a été créée grâce à un financement initial du Seco. La SSF veut que les exigences sociales et environnementales fassent partie des activités de placement et de financement. Il s’agit d’utiliser les atouts de la place financière et de positionner la Suisse comme un centre international de la finance durable.

Mixer prêts et dons


Une approche prometteuse en matière d’investissements publics et privés consiste à mixer prêts et dons (« blending »), autrement dit à mélanger les ressources publiques et privées. Dans l’idéal, ce système incite les acteurs privés à investir dans des pays où ils ne seraient pas allés sans soutien public. Le mixage permet, par exemple, à une PME du Kirghizstan d’accéder à de nouveaux moyens financiers.

Concrètement, quelle doit être la répartition entre moyens privés et publics ? Le partenariat doit-il être permanent ou limité dans le temps ? Aucun consensus international n’existe sur ces points qui suscitent des débats animés au sein du groupe de travail que l’OCDE a mis en place dans ce domaine. Certains souhaitent surtout mobiliser des investisseurs ; d’autres considèrent qu’il est essentiel de créer un marché ; d’autres encore privilégient un partenariat limité dans le temps. Cependant, la voie est étroite entre la création d’un marché et sa distorsion. La difficulté consiste à engager juste ce qu’il faut d’argent public pour attirer les investisseurs privés. L’équilibre dépend beaucoup du secteur, du contexte national et des parties prenantes.

Sélectif, subsidiaire et temporaire


Il ne faut pas se laisser aveugler : le « blending » ne peut pas remplacer des réformes en profondeur lorsque celles-ci sont nécessaires. Même dans ce cas, la perception des risques doit reposer sur des fondamentaux. Sans amélioration, l’effet est limité, voire contre-productif. Pour rétablir la confiance dans les pays cibles, deux facteurs sont déterminants : un environnement politique et économique stable et un État qui fonctionne. Le Seco est également très engagé sur ces deux fronts.

Pour les donateurs, le mixage permet de renforcer l’effet que produisent des moyens publics limités. Pour parvenir à un tel résultat, il convient d’être sélectif, d’agir subsidiairement au marché et de limiter le projet dans le temps.

Avant de recourir au « blending », il faut se poser cette question : pourquoi le secteur privé n’a-t-il pas déjà investi ? Le schéma en cascade du Groupe de la Banque mondiale donne des éléments de réponse (voir illustration 2). Le principe est le suivant : le mixage peut être envisagé pour réduire les risques seulement si des mesures comme les réformes réglementaires ne sont pas assez efficaces. Par ailleurs, selon le contexte national, des choix politiques peuvent arbitrer cette collaboration entre services publics et secteur privé : est-elle possible et dans quelle mesure ?

Ill. 2. Approche en cascade du Groupe de la Banque mondiale




On trouvera ci-après trois exemples de projets menés par le Seco, qui font appel à des fonds publics et privés. Du point de vue uniquement commercial, leur attrait était faible auprès des investisseurs (voir le premier échelon de l’illustration 2). La conjugaison d’aides publiques et d’investissements privés permet d’augmenter l’effet général.

Exemple 1 : emprunts verts


Des donateurs posent des conditions à l’obtention de capitaux bon marché, afin de réduire les risques. Dans le cas des emprunts verts, par exemple, les normes internationales jouent un rôle essentiel, et ce pour trois raisons : premièrement, pour accroître la transparence et la crédibilité, et pour éviter l’écoblanchiment ; deuxièmement, pour faire baisser les coûts de transaction dans la négociation d’emprunts verts ; troisièmement, pour augmenter le financement dans le domaine du climat.

L’Initiative pour des obligations climatiques (CBI) joue un rôle déterminant dans la définition de normes internationales. Réunissant des scientifiques et des personnes actives sur le terrain, elle élabore des normes volontaires pour les emprunts verts. Un partenariat public-privé garantit l’indépendance de la CBI, promeut les normes empiriques et favorise leur application au niveau international. La Suisse soutient cette initiative avec le concours de certains instituts financiers privés, comme Credit Suisse. Elle fut le premier État à s’engager en faveur de la CBI.

Des initiatives de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Société financière internationale (SFI), soutenues par le Seco, vont dans le même sens. En accordant un appui technique, elles entendent promouvoir l’émission de prêts verts dans les pays en développement, ce qui réduira les coûts financiers des investissements de ce type.

Exemple 2 : moyens engagés à perte


Les fonds d’investissements qui se sont construits sur des moyens engagés à perte (« first loss ») se sont révélés efficaces pour mettre en place des partenariats public-privé : les premières pertes de capital financées par l’argent public agissent comme un volant de sécurité qui protège tout au moins en partie les investisseurs contre d’éventuelles pertes. Le fonds Loans for growth, soutenu par le Seco et administré par le gestionnaire de fortune genevois Symbiotics, est actif sur ce terrain. Le Seco et UBS ont chacun versé un apport « first loss » s’élevant à 2,5 millions d’USD. Cela leur a permis de mobiliser des investissements privés à hauteur de 45 millions d’USD.

Le capital ainsi constitué est prêté par l’intermédiaire de banques locales à des PME à forte croissance, par exemple au Pérou ou en Géorgie. Le fonds Loans for growth part du principe que les risques effectifs sont moindres que ceux perçus. Si cette théorie est avérée, l’engagement de moyens à perte se réduira progressivement. La durée du fonds est limitée, car il a avant tout vocation d’exemple.

Exemple 3 : obligations à impact social


Des partenariats entre donateurs publics et privés peuvent également se nouer afin d’utiliser les moyens à disposition de façon plus efficace. Les obligations à impact social sont un moyen d’y parvenir. En collaboration avec le Fonds multilatéral d’investissement (MIF) de la Banque interaméricaine de développement et le gouvernement colombien, le Seco pilote la mise sur pied d’un système d’obligations à impact social qui doit favoriser l’intégration de la population pauvre au marché du travail[3].

Le principe est le suivant. Un groupe d’investisseurs, dans le cas présent des fondations, préfinance un projet. Si les objectifs sont atteints, le remboursement est effectué par le gouvernement colombien et le Seco. S’ils ne sont pas tous atteints, les versements sont moins importants. Si les projets dépassent les objectifs, ils sont récompensés. Les obligations à impact social permettent de chercher des solutions innovantes auprès des prestataires, de transférer les risques à des tiers et de coupler les paiements aux résultats. Leur mise sur pied est complexe et nécessite des données de qualité. L’avenir nous dira dans quelle mesure cet instrument pourra être appliqué à grande échelle.

En conclusion, le processus d’apprentissage, une répartition claire des rôles et une application disciplinée de principes éprouvés sont essentiels pour mettre sur pied un partenariat public-privé crédible et efficace. Ce faisant, il ne faut cependant pas oublier que le financement public du développement reste une composante importante. C’est notamment le cas pour les pays les plus pauvres, où de gros obstacles empêchent toujours d’accéder au capital privé.

  1. Objectif 17 : Renforcer les moyens de mettre en œuvre le Partenariat mondial pour le développement durable et le revitaliser. []
  2. Voir  Balandina Jaquier Julia, Catalyzing Wealth for Change, Guide to Impact Investing, 2016. []
  3. Gustafsson-Wright Emily et Boggild-Jones Izzy, Colombia leads the developing world in signing the first social impact bond contracts, Brookings, 31 mars 2017. []

Proposition de citation: Christian Brändli ; Tim Kaeser ; Lukas Schneller ; (2017). Coopération au développement : les partenariats avec le secteur privé sont essentiels. La Vie économique, 25 juillet.