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La Banque mondiale, pilier de la coopération internationale au développement

Les profonds changements de société et de politique économique induits par la mondialisation confrontent la Banque mondiale à de nouveaux défis. Si l’organisation veut rester efficace et conserver son influence planétaire à long terme, elle doit sans cesse s’adapter.
La disponibilité de biens publics mondiaux, comme les services de santé, bénéficie à tous les pays. Infirmière dans un centre de soins au Bénin.

Mesurée à ses actifs qui s’élèvent à près de 644 milliards d’USD et à ses crédits engagés d’environ 64 milliards d’USD, la Banque mondiale est un acteur de taille moyenne dans l’actuel système financier international. Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans l’après-guerre, elle figurait parmi les dix plus grands établissements financiers du monde. La libéralisation des marchés de capitaux internationaux dans les années septante a permis aux pays en développement d’accéder à de nouvelles sources de financement, surtout privées. Par conséquent, la demande relative de crédits auprès de la Banque mondiale a baissé. La diminution de l’aide publique au développement dans l’ensemble des flux de capitaux se dirigeant vers les pays en développement en est un bon reflet.

Il serait cependant faux de réduire le rôle de la Banque mondiale aux seuls aspects financiers. La mondialisation a profondément changé le cadre social, économique et politique. La politique nationale est de plus en plus confrontée à des problèmes transnationaux dont la solution dépasse les moyens financiers et techniques de chaque État. L’importance de la Banque mondiale doit être comprise à travers cette interdépendance planétaire. Cette institution aide la communauté internationale à appréhender les défis qu’affrontent ses membres en matière de développement, à élaborer des solutions et à les mettre en œuvre aux niveaux local, régional et – toujours plus souvent – mondial.

La Banque mondiale en mutation


Depuis l’adhésion de la Suisse il y a 25 ans, la Banque mondiale n’a cessé d’évoluer pour se donner les moyens de réagir aux mutations internationales et aux besoins des clients. Son approche en matière d’aide au développement a, logiquement, aussi changé. Initialement axée sur le financement de projets d’infrastructure, son champ d’action s’est étendu dans les années quatre-vingts aux réformes politiques et au renforcement du cadre institutionnel. Avec le consensus dit de Washington, la Banque mondiale s’est d’abord limitée à un nombre restreint de mesures de politique économique visant à promouvoir la croissance. Progressivement, cette approche a été complétée par des objectifs majeurs, comme la lutte contre l’extrême pauvreté et les inégalités ainsi que la promotion du développement durable social, économique et écologique.

Résultat d’un long processus d’apprentissage institutionnel et largement éclectique, cette évolution a été marquée par de nombreux facteurs, comme les débats publics sur les projets d’infrastructure de la Banque mondiale ayant été mal exécutés ou ayant échoué. Le scepticisme à l’égard des ajustements structurels de l’ère Reagan et Thatcher a également joué un rôle important. Il en est de même du développement durable : on a progressivement pris conscience que celui-ci devait être mieux intégré aux programmes de développement. La pauvreté est, en outre, de plus en plus perçue comme un problème multidimensionnel auquel il faut répondre par des mesures impliquant les institutions, la politique économique, la société et l’économie comportementale. La formation, la santé, l’égalité entre les sexes et la bonne gouvernance sont ainsi des questions qui ont pris de plus en plus d’importance. En même temps, la Banque mondiale a renforcé et étendu ses normes sociales et environnementales.

L’élaboration d’une approche holistique en matière d’aide au développement n’a été ni directe ni simple. Le processus s’est accompagné d’une réflexion approfondie sur le rôle incombant à la Banque mondiale dans un univers en transformation rapide, les objectifs qu’elle doit atteindre ainsi que les ressources et les instruments à sa disposition. En la façonnant activement, les partenaires de développement bilatéraux, les organisations non gouvernementales, la société civile et le secteur privé ont largement contribué à la démarche. Ces 25 dernières années, la Banque mondiale a ainsi connu plusieurs restructurations et réformes destinées à améliorer son efficacité et son efficience. En même temps, elle a considérablement étoffé son catalogue de prestations et ses effectifs.

En 2013, ces efforts ont abouti à la présentation du premier mandat commun à l’ensemble du Groupe de la Banque mondiale. Ce dernier comporte la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird), l’Association internationale de développement (AID), la Société financière internationale (SFI), l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Amgi) et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi)[1]. Dans ce mandat, la Banque mondiale se fixe comme objectif, à l’horizon 2030, de réduire à 3 % l’extrême pauvreté dans ses pays membres et de promouvoir durablement la prospérité des populations démunies. Le document a été réexaminé récemment et harmonisé avec l’Agenda 2030 de développement durable ainsi qu’avec l’Accord de Paris sur le climat.

Avantages de la Banque mondiale pour ses membres


Aujourd’hui encore, des doutes sont parfois exprimés sur l’efficacité et l’efficience de la Banque mondiale. D’un autre côté, la grande majorité s’accorde à penser que, en tant que plateforme mondiale de connaissances et d’échanges, elle est sans égale dans presque toutes les questions liées au développement. Elle constitue une très précieuse source d’informations pour la communauté internationale et un bien public véritablement mondial. Pour augmenter considérablement l’effet de levier de leurs interventions, les acteurs suisses de la coopération bilatérale, comme le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) et la Direction du développement et de la coopération (DDC), peuvent associer leurs moyens financiers plutôt limités aux initiatives de la Banque mondiale. Celles-ci concordent avec la politique de développement suivie par la Confédération. C’est, par exemple, le cas de la consolidation des finances publiques, du développement du secteur privé, de la prévention des conflits et de la lutte contre le changement climatique. Comme la Banque mondiale lie souvent ses crédits à des réformes politiques et institutionnelles, les bailleurs de fonds bilatéraux peuvent participer au dialogue politique s’y rapportant et en tirer de précieux enseignements pour leur propre travail.

Jusqu’ici, la Banque mondiale a su très habilement engager son capital relativement modeste. Depuis sa création avec une dotation en capital de 18 milliards d’USD, elle a réussi – tout en conservant sa notation AAA – à générer près de 900 milliards d’USD en financements internes et externes pour le développement. Cependant, son rôle ne se limite pas à un soutien financier. Présente partout dans le monde, la Banque mondiale contribue fortement à l’échange d’expériences et de savoir technique entre les pays partenaires. Cette coopération Sud-Sud a sensiblement renforcé l’acceptation de ses recommandations en matière de réformes, à l’exemple du rapport « Doing Business » qui, chaque année, présente des indicateurs de densité réglementaire nationale pouvant être comparés à l’échelle internationale. Ce document a incité de nombreux gouvernements à repenser leur cadre réglementaire et à l’optimiser le cas échéant. Selon des évaluations indépendantes, la Banque mondiale fait partie des organisations de développement les plus efficaces en termes d’efficience des coûts, de performance et d’influence politique. Autant de facteurs qui ont fait d’elle un partenaire jugé fiable, comme le reflète aussi un récent sondage sur ses prestations.

Future influence la Banque mondiale


La future influence de la Banque mondiale dépendra de sa capacité à trouver des solutions intelligentes pour aider les pays membres à surmonter les problèmes de développement auxquels ils se trouvent confrontés. Les enjeux en la matière sont au nombre de six.

Fixation de priorités claires


La Banque mondiale a besoin de priorités et d’objectifs clairs, ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Avec la diversité des défis que suscite le développement, leur changement dynamique au fil du temps et les divergences exprimées sur la manière de les aborder, fixer des priorités claires n’est pas chose aisée. Une démarche basée sur la sélectivité s’impose toutefois afin d’éviter une dilution des ressources limitées de la Banque mondiale et de garantir la qualité autant que l’efficacité de ses activités. Dans le même temps, l’institution doit rester ouverte aux nouveaux besoins de ses membres. Un exercice d’équilibrisme pour lequel elle doit régulièrement peser les intérêts, ce qui s’avère souvent politiquement délicat. La Suisse s’engage afin que les acteurs bilatéraux et multilatéraux du développement puissent se concentrer sur leurs compétences clés et répartir efficacement les tâches entre eux. Dans cet esprit, la Banque mondiale devrait choisir les nouvelles priorités avec discernement, même si cela va parfois à l’encontre des souhaits et des intérêts de certains membres.

Promotion du secteur privé


La Banque mondiale aide les pays partenaires à soutenir de manière ciblée le secteur privé pour donner un nouvel élan à la croissance et au développement. Au cours du quart de siècle écoulé, la SFI et l’Amgi – les deux organisations de la Banque mondiale spécialisées dans la promotion du secteur privé – ont fortement développé leurs activités dans les pays en voie de développement. Cela se voit dans l’approche en cascade[2] lancée récemment. Son objectif est de recourir davantage à des sources commerciales pour financer les projets de la Banque mondiale et d’utiliser ses moyens concessionnels limités là où l’urgence et l’impact sont les plus grands. Avec le volet de l’AID – le fonds pour les pays les plus pauvres – dédié au secteur privé, l’approche en cascade veut améliorer la complémentarité entre les activités de la SFI et de l’Amgi dans le secteur privé avec celles de la Bird et de l’AID dans le secteur public. Le but est de soutenir, ensemble, la création d’un environnement favorable aux entreprises et de mobiliser des moyens supplémentaires provenant du secteur privé, également dans les pays les plus pauvres et les pays fragiles. La Suisse est l’un des principaux bailleurs de fonds pour les prestations de conseil de la SFI bénéficiant aux entreprises dans les pays en voie de développement. À ce titre, elle soutient pleinement ces efforts.

Mise à disposition de biens publics mondiaux


Les défis mondiaux, tels que les crises économiques et financières internationales, le changement climatique, la migration, les pays fragiles, les conflits et les catastrophes humanitaires, menacent la croissance économique mondiale. Ils renforcent la vulnérabilité de tous, et pas seulement dans les pays en développement. Les pauvres sont souvent les plus fortement touchés. Par son expertise et sa présence planétaire, la Banque mondiale est en mesure de saisir rapidement la nature et la complexité de ces phénomènes et d’offrir des ébauches de solutions appropriées. Elle a démontré que des biens publics mondiaux mis en place à temps ont un effet positif sur la pauvreté et l’inégalité, à l’instar du Mécanisme de financement d’urgence en cas de pandémie (« Pandemic Emergency Financing Facility », PEF) créé récemment (voir encadré). Les stratégies de la Banque mondiale, élaborées en coopération avec les pays partenaires concernés, accordent une importance toujours plus grande à ces enjeux de développement régionaux et mondiaux.

Dans la mesure où bon nombre desdits problèmes dépassent les frontières nationales, se concentrer uniquement sur les pays en développement n’a plus guère de sens aujourd’hui. En plus, la Banque mondiale a prouvé qu’elle peut aussi aider substantiellement des pays comme la Pologne, la Grèce ou le Bahreïn. Un engagement fort dans les pays à revenu intermédiaire reste en tout cas primordial, car ceux-ci abritent la grande majorité des pauvres de la planète. Leurs économies sont plus vulnérables et n’exploitent souvent pas au mieux leur potentiel de croissance. Comme ils représentent une part importante de l’économie et de la population mondiales, ces pays jouent aussi un rôle déterminant dans la mise à disposition de biens publics à l’échelle du globe. Les problèmes universels, comme le changement climatique, ne peuvent pas être réglés sans leur participation active. Cela vaut tout autant pour les pays à revenu intermédiaire au sein du groupe de vote suisse auprès de la Banque mondiale. Des États comme le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan, qui n’ont pas encore achevé leur mutation politique et économique, profitent directement du soutien financier et technique de la Banque mondiale, notamment pour relever les défis transfrontières. Cet engagement bénéficie également au Kirghizistan et au Tadjikistan, les pays les plus pauvres de la région. Pour ces raisons, la Suisse s’engage en faveur d’une Banque mondiale qui soutienne tous ses membres, pas seulement les plus pauvres.

Engagement dans les pays fragiles ou touchés par des conflits


Près de 2 milliards de personnes vivent aujourd’hui dans des pays fragiles ou touchés par des conflits. En plus de précipiter les populations dans la misère, la faiblesse des institutions, les tensions politiques et la violence portent aussi atteinte à la sécurité mondiale. Sans engagement actif de la part des banques de développement, les Nations Unies ne peuvent plus remplir leur mandat et promouvoir la paix. Les actuelles crises suscitées par les réfugiés en Afrique, au Proche-Orient et en Europe exigent elles aussi une solution à long terme en matière de développement. Grâce notamment au long soutien financier de la Suisse, la Banque mondiale est aujourd’hui en mesure d’aider les pays fragiles dans leurs efforts de développement. La 18e reconstitution des ressources de l’AID, conclue en décembre 2016 par un résultat record de 75 milliards d’USD, permet à la Banque mondiale de développer cet engagement.

Garantie de la viabilité financière


Il faut que la Banque mondiale dispose de ressources financières adéquates si elle veut remplir son rôle de partenaire mondial de développement. Pour cela, elle a besoin du soutien financier de ses actionnaires. L’AID repose aujourd’hui sur une base solide, grâce à une généreuse capitalisation et à un nouveau modèle de financement qui lui permet d’émettre des titres de créance sur les marchés des capitaux internationaux. Dans les années à venir, elle pourra ainsi accroître les moyens destinés aux pays les plus pauvres de la planète. À l’inverse, la Bird et la SFI ont largement épuisé leurs ressources financières. Si elles ne veulent pas mettre en péril leur solvabilité et leur capitalisation, elles devront tôt ou tard passer par une augmentation de capital. À défaut, elles risqueront de perdre de leur importance. D’autres institutions, comme la nouvelle Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, pourraient en théorie combler cette insuffisance. Il leur faudra toutefois encore du temps pour devenir des partenaires de développement crédibles et fiables, à l’image de la Banque mondiale.

Adaptation des structures de gouvernance


La structure des participations et la représentation des pays membres dans les organes de décision de la Banque mondiale ne correspondent plus aux rapports de force prévalant dans l’économie planétaire. Cela mine sa crédibilité et sa légitimité en tant qu’institution universelle. En outre, les pays surreprésentés – essentiellement occidentaux – ne veulent ou ne peuvent pas doter l’organisation d’un capital suffisant, ce qui justifierait du moins en partie leur actuelle surreprésentation. Quant aux économies émergentes, elles n’augmenteront leur engagement financier qu’en contrepartie d’un plus grand droit de décision.

Pour pérenniser sa légitimité, la Banque mondiale doit se doter d’une structure organisationnelle reflétant mieux l’évolution des rapports de force dans notre monde multipolaire. Les États-Unis et la Chine, en particulier, devront adapter leur volonté financière à leurs ambitions politiques, que ce soit dans le domaine économique ou extérieur. Des mesures ont déjà été prises pour mettre la structure de gouvernance de la Banque mondiale en accord avec le poids économique et les contributions financières de ses membres. D’autres devront suivre pour tenir ce cap. En tant que membre actif du conseil d’administration et neuvième plus grand bailleur de fonds de l’AID, la Suisse continuera d’œuvrer en faveur d’une structure de gouvernance tenant équitablement compte des apports de chaque pays membres au mandat de développement de la Banque mondiale.

  1. Pour simplifier, nous avons choisi d’utiliser l’appellation Banque mondiale dans le présent texte. []
  2. On trouve de plus amples informations dans l’article de Christian Brändli, Tim Kaeser et Lukas Schneller. []

Proposition de citation: Ivan Pavletic ; Jörg Frieden ; (2017). La Banque mondiale, pilier de la coopération internationale au développement. La Vie économique, 25 juillet.

« Pandemic Emergency Financing Facility »

En 2014, l’irruption de la fièvre Ebola en Afrique occidentale a montré à quel point la communauté mondiale était démunie face à un tel phénomène. Avec l’Organisation mondiale de la santé ainsi que Swiss Re et Munich Re, la Banque mondiale a alors créé le « Pandemic Emergency Financing Facility » (PEF). Ce mécanisme de financement d’urgence en cas de pandémie garantit que, au moment où se déclare une flambée épidémique, les autorités et les organismes d’aide dans les pays les plus pauvres reçoivent immédiatement les moyens financiers nécessaires pour endiguer sa propagation. L’instrument a été développé avec la participation financière de la Suisse.

Le PEF dispose de fonds à hauteur de 500 millions d’USD. La couverture d’assurance est complétée par l’émission d’une nouvelle catégorie de titres de créance pour un volume de 320 millions d’USD, les « obligations pandémies ». Celles-ci fonctionnent selon le même principe que les « obligations catastrophes » : lorsqu’une catastrophe prédéfinie survient, les souscripteurs des titres de créance doivent s’attendre à perdre leur investissement. Cette prise de risque est rémunérée par un rendement.

Le 30 juin 2017, le premier emprunt sur trois ans a été émis avec succès. La Banque mondiale espère créer ainsi un nouveau marché. Elle avait déjà réussi avec les obligations catastrophes : à ce jour, elle a placé des titres de créance pour une valeur de 1,6 milliard d’USD.